Sarkozy n’est pas président de la France

Si Magritte était vivant, il peindrait une copie de la photo officielle de Monsieur Sarkozy en apposant en grosses lettres la mention suivante au bas du tableau, « celui-ci n’est pas président ! » Dire de Sarkozy qu’il n’est pas président relève soit de la folie, soit d’une attitude post-moderniste associant une vision du réel proche de l’art conceptuel et une ironie à la Desproges. Quoique, nul besoin d’un imaginaire débordant pour s’apercevoir que Nicolas Sarkozy n’est pas un président comme les cinq qui l’ont précédé dans cette cinquième république qui a atteint l’âge de la retraite. Déjà, les premières semaines après son élection, on pouvait lire dans les colonnes ou entendre dans les conversations cet étrange constat. « Sarkozy, il fait pas président ! » Il faut dire qu’il y a mis du sien. Mise en scène bling bling sur un yacht, exhibitionnisme en tenue de jogger… La suite n’a pas arrangé les choses. Même si le style « riche parvenu » fut délaissé, on se souviendra du « casse toi pov-con ! » Une réplique qui restera dans la mémoire des gens, comme si elle avait été écrite par Audiard pour un polar contemporain. Plus de deux ans ont passé depuis l’élection de 2007 et pour ma part, j’ose le confier, Sarkozy ne fait toujours pas président. Rien n’y fait, impossible de me convaincre, mon appréciation n’a pas varié d’un pouce.
Pourtant, Nicolas Sarkozy est bel est bien le chef de l’Etat et à ce titre, je lui adresse mes sentiments les plus respectueux. Etant un citoyen légaliste, je reconnais la fonction de Sarkozy comme étant celle qui lui est conférée par le texte officiel de la constitution. Je n’irai même pas jusqu’à évoquer une procédure de destitution comme l’ont fait l’autre soir quelques intellectuels énervés sur le plateau de Frédéric Taddéi. Sarkozy n’a pas trahi la fonction d’un point de vue formel. De plus, il n’a commis aucun fait justifiant l’application de l’article 68 prévoyant une procédure de destitution en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat. Il faudrait que les faits reprochés à Sarkozy soient inconciliables avec la poursuite de son mandat pour qu’il soit destitué. Par exemple, gifler en public Angela Merkel, foutre un pain dans la gueule à Barroso ou bien se foutre à poil lors de la cérémonie du 14 juillet. Je ne suivrai donc pas ces extrémistes mettant les propos sur les Roms sous la coupe de l’article 68. Je reste légaliste mais tendance surréaliste. Je ne vois pas un président quand Sarkozy fait son apparition à la tribune dans les médias. Cette vision ne fait que se renforcer lorsque Emmanuel Todd osa parler du machin qui nous gouverne en évoquant notre président alors que Didier Porte en rajouta une couche en affirmant haut et fort que Sarkozy possède la maturité affective d’un gamin de 19 ans. Au fait, quand on a seulement 19 ans, on est majeur certes mais on ne peut pas se présenter à l’élection présidentielle. A l’inverse, même si je n’étais pas en accord avec sa politique, j’ai toujours vu dans Jacques Chirac un président de la France. Idem pour ses prédécesseurs.
Pour résumer cette affaire alambiquée, il faut distinguer légalité et légitimité. Du point de vue des prérogatives et pouvoirs qui lui sont accordés, on doit le respect au président en tant qu’il est le chef d’Etat élu au suffrage universel par les Français. Par contre, dans le champ symbolique, on peut penser que selon les règles de la légitimité, Sarkozy n’est pas le président de la république, autrement dit, il ne représente pas la France en tant que contenu spirituel mais seulement en tant que forme, en tant que présence corporelle et verbale. Lorsque Sarkozy apparaît à la tribune de l’ONU, il est l’incarnation de la France, il est le chef d’Etat qui parle au nom des Français vivants et officiellement, pour la France mais peut-être pas la France éternelle. Allusion à une formule employée par De Gaulle qui on le sait, refusait que Pétain ait pu représenter la France, tant d’un point de vue légal que symbolique. Il faut dire que ça remonte à loin cette histoire. Jusqu’aux racines de la France au Moyen Age.
Pourquoi alors ne pas convoquer Kantorowicz et son livre sur les deux corps du roi, dans lequel il explique les racines symboliques comme ressort permettant l’émergence de l’Etat moderne en Occident. Le pouvoir s’inscrit dans une théologie politique dans laquelle le roi, au-delà de sa personne charnelle, incarne le divin auprès de ses sujets, sans pour autant représenter une incarnation divine (comme le furent certains tyrans en Orient après Alexandre). Cette distinction peut être transposé dans un univers laïc où un chef d’Etat pourrait incarner la nation éternelle en plus d’être une personne corporelle présente dans les réunions et active avec son gouvernement. C’est d’ailleurs courant aux Etats-Unis. Obama n’a-t-il pas fait référence à quelques-uns de ses prédécesseurs enterrés sous terre mais vivants dans les livres d’Histoire. Là-bas, pour de mauvaises raisons, quelques excités de droite pensent qu’Obama ne mérite pas d’être président des Etats-Unis. Ici, pour de bonnes raisons, on peut penser que Sarkozy ne représente pas la France éternelle et ses valeurs séculaires. Cette subtilité ne vaut que dans un univers de pensée ancien, émané de saint Augustin puis des deux corps du roi et enfin de la doctrine spiritualiste de la Nation forgée pendant la Troisième République. Sans doute suis-je un esprit archaïque. Après tout, la doctrine actuelle c’est celle de la compétence. Pourquoi exiger de Sarkozy qu’il représente la France éternelle. Ce qu’on lui demande, ce sont des résultats. Soyons certains que si la France n’était pas dans une situation économique calamiteuse, personne ne s’en prendrait avec tant de hargne à notre président.
Un président qui n’est pas fou mais qui pourrait rendre fou certains. Pour preuve, ce déchaînement de mauvaise foi chez un Emmanuel Todd reprochant à Sarkozy de salir l’image de la France et de faire perdre à notre pays des centaines de milliards d’euro sur les marchés extérieurs. Est-ce du second degré, de l’humour à la rocky horror picture show ou bien un coup de folie. Si tel est le cas, alors un psychanalyste de secteur saura nous éclairer en invitant à élaborer une symbolisation adéquate. Et là, rien de tel que cette idée d’un Sarkozy qui n’est pas au sens éternel président de la France.
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