Sarkozy : pragmatisme ou oubli des valeurs ?
Le jour où il déclara devant les médias « j’ai changé », Sarkozy se mit à changer vraiment. Ce qu’il fallait entendre en réalité dans cette affirmation c’est « je vais changer ». Et l’on vit en effet l’homme une fois élu se montrer plus affable, ouvert, jusqu’à l’ouverture à gauche. On lui reproche toujours néanmoins son opportunisme, son omniprésence et son pragmatisme excessif.
Les mérites et qualités de Sarkozy :
Nicolas Sarkozy n’est pas dépourvu de mérites ni de qualités. Le démon que l’on craignait voir surgir de la boîte de la "France d’après" n’a pas jailli.
Les mérites de Sarkozy ? Avoir remisé au placard les idées rétrogrades et fallacieuses du socialisme (entre autres l’extension forcée des 35 heures, l’augmentation spectaculaire des allocations d’assistance, du SMIC...) Ségolène Royal a admis le caractère irréaliste de ces propositions qu’elle avait défendues lors de sa campagne. Si bien que Sarkozy est parvenu à mettre en route un mouvement de modernisation de la droite (avec un bémol pour les idées venant du FN) et de la gauche ! Pour être honnête, il faut aussi admettre que Bayrou lui a bien préparé le terrain en dénonçant comme stérile et dépassé le clivage gauche-droite et en prônant l’esprit d’ouverture.
Les qualités de Sarkozy ? Sa présence médiatique forte, ses discours bien troussés imprégnés de parler vrai. C’est un acteur ! Ses efforts de parité et de représentation des minorités dans son gouvernement sont aussi à mettre à son crédit. Sa culture du résultat et sa volonté de réformer vite présentent des avantages utiles surtout après l’immobilisme que la France a connu sous les années Chirac (pas dans tous les domaines).
Là où cela pèche, c’est sur les valeurs :
1 - Sarkozy n’est pas un intellectuel
On le savait. Il l’a dit. Mais pis ! Sa pensée ne repose pas sur un socle de valeurs bien définies et cohérentes. Proche du Français moyen (il regarde la télé, vénère Johnny, possède une vie familiale qui ressemble à celle de beaucoup de gens ordinaires...), il est soumis comme ce Français moyen à la dictature douce des "temps de l’immédiateté". Pas de mise en perspective historique ou philosophique de sa politique qui vole pour ainsi dire au ras des pâquerettes. Dans certains cas, cela peut révéler un esprit concret et permettre de dénouer des situations difficiles, tendues et rendues compliquées par des conflits d’intérêts, l’inaction des gouvernements précédents.
Mais, au nom de l’opportunisme électoral et du pragmatisme de l’action du gouvernement, toutes les valeurs sont bonnes à prendre le temps utile - électoral - (et à jeter sitôt qu’elles ont servi). Mais qui embrasse trop mal étreint. Passer de Jean Jaurés, de Léon Blum aux valeurs nationalistes et ultra libérales, témoigne d’une absence totale de référence à un système de valeurs. Sarkozy n’a pas seulement bougé les lignes, il a brouillé les cartes et les valeurs.
2 - Sarkozy se pose en chef d’entreprise
Il est aisément qualifié de patron par les gens de l’UMP et les journalistes. C’est en patron qu’il s’adressa aux ouvriers durant sa campagne. Il a revêtu les habits d’un chef d’entreprise pour réhabiliter et relancer le travail, mais aussi pour mieux faire de l’immigration une source de main-d’oeuvre. Le chef d’entreprise France veut produire plus et permettre aux patrons de licencier ceux qui refusent de faire des heures supplémentaires. En effet, lors de la discussion sur l’article 1er du projet de loi, il a été rappelé qu’un arrêt de 1997 de la Cour de cassation n’admet le refus du salarié que de manière exceptionnelle : "Le refus d’exécuter des heures supplémentaires ne peut être considéré comme fautif lorsqu’il est exceptionnel et motivé par le fait que le salarié n’a pas été prévenu suffisamment tôt". Dans tous les autres cas, le refus sera donc fautif.
L’immigration, Sarkozy ne va pas la restreindre. Au contraire, il veut l’amplifier car les besoins en main-d’oeuvre actuels et à venir dans de nombreux secteurs ne sont pas satisfaits. Dans l’avenir, le pays devra donc recourir davantage à l’apport d’immigrés. Simplement, l’immigration sera moins généreuse, moins humaine aussi d’ailleurs : elle sera fermée à la plupart des demandeurs d’asile et des arrivants au titre du regroupement familial.
3 - Sarkozy se pose en chef de parti
Le président ne respecte pas la tradition républicaine de la Ve République qui veut que le chef de l’Etat se place au-dessus des partis. A tel point que Didier Mathus, député PS de Saône-et-Loire, a adressé une lettre au CSA demandant à ce que son temps d’intervention soit intégré au temps de parole global.
Sarkozy s’implique personnellement dans la préparation des élections municipales. Lors de son intervention devant 2 000 cadres de l’UMP réunis à Paris, un militant s’exprime : "Il se pose plutôt en président de l’UMP. Il sort de sa réserve présidentielle. Ce n’est pas la première fois et sans doute pas la dernière", dit-il, approuvé par une jeune femme, également conseillère nationale de l’UMP. "Il s’éloigne de l’héritage de la famille politique de l’UMP."
Cette attitude partisane se montre même revancharde envers le Modem :
Ainsi le TGV atlantique est-il en panne. Pourtant, comme le souligne le quotidien Le Télégramme dans son édition du 5 juillet « Plus rien techniquement ne s’oppose à ce que le ministre signe le décret de chemin de fer entre Le Mans et Rennes ». Les élus locaux s’en émeuvent et un élu de l’UMP qui connaît bien le dossier leur répond sans complexe « On sait comment la Bretagne a voté ! ». Voilà qui est clair : la célèbre phrase de Sarkozy « On est avec moi ou contre moi » s’applique ici dans tout son esprit de discrimination. La politique des tarifs ferroviaires et aériens prohibitifs est maintenue pour punir les usagers bretons. C’est ce que dénoncent, entre autres, les élus de l’UDF-Modem Mikaël Cabon et Albert Sparfel.
4 - Sarkozy abandonne les valeurs fondamentales de la construction européenne
Par pragmatisme, Sarkozy a repris l’idée du traité simplifié que proposait le Modem. Seulement, voilà : les valeurs ne figurent plus dans le projet. Les symboles de l’Union européenne - l’hymne à la joie, le drapeau et la journée de l’Europe - sont passés à la trappe. Le traité n’aura pas de caractère constitutionnel. C’était un reproche qui était fait au TCE rejeté par le "non" français : il était bien trop long et n’avait par les caractéristiques d’une constitution. On s’attendait donc à ce qu’il soit remédié à ce défaut. Ce ne sera pas le cas ! Quant aux symboles de l’Europe qui ont disparu, les Français y sont pourtant attachés.
Selon un sondage, 78 % des Européens interrogés affirment que le drapeau européen est une bonne chose. L’idée d’une Constitution recueille également un soutien majoritaire presque partout dans l’Union (66 %), y compris en France (68 %). Et cela est ignoré. Phénomène curieux dans une société où l’audiovisuel prime pourtant sur le politique (source : blog de Valréry Giscard d’Estaing).
Enfin Sarkozy ne se pose pas non plus en chef historique. Il rejette une partie du devoir de mémoire qu’il nomme "esprit de la repentance", déclare son mépris total pour la génération de Mai-68. Un peu comme s’il faisait un tri dans notre histoire et dans les valeurs des Français, alors que nos présidents précédents (et avant eux, Napoléon) nous avaient plutôt habitués à montrer qu’ils assumaient tout le passé.
N’est-il pas temps alors de se poser la question de l’équilibre à trouver entre le pragmatisme et le respect des valeurs ?
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