Saturations médiatiques

Le monde s’écroule et le crétin se rase dit un proverbe grec. Certes. Cependant, l’insouciance n’est pas des plus vilains défauts. Par contre, l’étaler comme un sacerdoce, la promouvoir comme le dernier iPad, la rendre obligatoire à travers des heures interminables des programmes télé aux mains des amuseurs publics au point de travestir tout événement - même des plus tragiques -, en bouffonnerie sarcastique, finit par faire nous perdre le sens des réalités élémentaires. A commencer par celle de l’exercice du pouvoir et de ses conséquences. Vous diriez, mis à part un style ou des attitudes, mis à part les professions de foi tintammaresques, ou les postures dont on renforce le trait jusqu’à la caricature, qu’est-ce qui sépare les politiques des uns et des autres ? Qu’est-ce qui différencie ceux qui nous gouvernent ? Leurs femmes ? Leurs maîtresses ? La couleur de leur slip, les rayures de leurs cravates, le prix de leur montre ? Si on les prend à la lettre, les amuseurs nous prient de choisir entre un forcené volontariste qui, tant pressé, démonte son échafaudage avant de ravaler pour le monter ailleurs où - croit-il – l’urgence est plus urgente et un ballot heureux et naïf qui, durablement, ne sait pas par quel échafaudage commencer. Nos amuseurs ne font que leur travail, pourrait-on rétorquer, et leur mauvaise foi est intrinsèque à leur métier. Même lorsqu’ils manipulent, comme ce fut le cas pour le Petit Journal et l’ITV du premier ministre en Asie.
Confondre vulgarisation et vulgarité, c’est aussi leur métier pourrait-on penser, même si eux semblent penser qu’ils s’adressent systématiquement à des ignares inféodés aux plus bas sentiments et que donc toute sophistication deviendrait d’un soporifique mortel. N’allons pas jusqu’à exiger de l’éthique et de l’esthétique, on ferait preuve de naïveté malsaine. N’allons pas non plus jusqu’à se demander pourquoi nos hommes politiques n’ont pas non plus la moindre de ces exigences et allégrement participent à ces jeux du cirque dévastateurs : le pire n’est pas quand il n’arrivent pas à en placer une, c’est, au contraire, quand on leur délègue ce privilège et, pris entre la peur du dit (communément gaffe) et l’obligation d’éléments de langage prédéfinis, discourent sur le rien.
Viennent ensuite les spécialistes : toujours les mêmes, répétant à l’infini des dogmes et refaisant les mêmes calculs, ils sont là pour séparer la paille du grain, nous dire quelle mesure est sérieuse, laquelle n’est qu’utopie frivole - voire dangereuse -, qui ment, qui rêve, qui hallucine. Que la question du jour soit géopolitique, économique, militaire ou diplomatique, peu importe. L’essentiel étant de pérenniser les évidences du comptoir de café du coin et ses personnages copiés à Wolinski. Béni oui-oui ou béni non-non, la litanie se refuse toute pensée, qu’elle soit digressive ou même pâlement divergente, avec les maîtres de cérémonie qui, in fine, tranchent utilisant leurs augustes certitudes. Au fil du temps ces spécialistes dits sérieux, se sont transformés en Dupont et Dupond, procurant plus d’amusement que les amuseurs, sublimant le ridicule, pavoisant leurs discours formatés jusqu’à l’épuisement total, ne nous laissant comme échappatoire à notre frustration qu’un gros rire amère et, comme choix ultime, aller brouter ailleurs, chez Cinéma Classic, ou Arthur Penn, Bo Widemberg, Renoir ou père Audiard nous procurent des tirades autrement plus jouissives et fécondes que leur discours périmés avant même d’être prononcées.
Si la fiction devient le dernier refuge de la réalité pensée, c’est aussi par ce que ces amuseurs et spécialistes, pratiquent parallèlement l’ubiquité permanente et la transhumance des chaînes. Ils ne sont pas seulement toujours les mêmes, il sont aussi partout. Télé et radio, internet, blogs et presse écrite - quotidienne ou hebdomadaire - sont saturés par une petite vingtaine de personnes, qui vous travaillent au corps de l’aube aux confins de minuit, ne laissant quasiment plus aucun espace à autre chose qu’à eux mêmes, au point que les uns font des émissions sur les autres, s’invitant à tour de bras à longueur de journée.
Cette boulimie de l’apparence occulte les derniers vestiges d’entendement et ruinant le peu de chose qu’ils pourraient dire ayant encore du sens. Ils deviennent eux mêmes des sujets d’observation, la question n’étant plus ce qu’ils disent mais combien ils ont perdu de kilos, ou combien de leurs cheveux implantés ont survécu. Promenant leur trade mark, qui un foulard, qui des lunettes hors de prix, qui leur barbe perpétuellement naissante, qui leur rire en forme de staccato ma non tropo, ils vieillissent ainsi devant nos yeux, se croyant toujours éternels chérubins.
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