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Accueil du site > Tribune Libre > Schizophrénie et destruction progressive

Schizophrénie et destruction progressive

Après des mois de septembre et d’octobre particulièrement doux (au niveau mondial, ces mois sont les plus chauds jamais enregistrés [d’après NOAA (National oceanic & atmospheric administration)], revoilà les gelées. La végétation doit donc se préparer à hiverner, et les travaux d’hiver peuvent commencer.

Sagement disposés en tas alignés, les premiers sarments de vignes attendent d’être brûlés. Dur labeur que celui du vigneron qui, cassé en deux et dans un froid intense, taille d’une main experte les ceps de son vignoble ! Les rangs sont longs, et il lui faudra plusieurs mois de persévérance et d’efforts pour en venir à bout. Les doigts gourds, mais le mouvement leste, la silhouette progresse lentement. Travail solitaire qu’il faut, chaque année, recommencer, mais qui porte en son sein des espoirs de vendanges chaleureuses et animées, qui rassembleront jeunes et moins jeunes dans un rush final éreintant, dont la paulée sera l’apothéose...

Retranché dans la douce chaleur de notre véhicule, l’esprit occupé par notre habituelle conduite sur fond d’infos publicitaires, nous n’attachons que peu d’importance à ces travaux de saisons. Tout au plus serons-nous interpellés quelques instants par ces fines volutes de dense fumée blanche, qui se dressent, immobiles piliers, à la verticale des parcelles travaillées.

Il faut dire que nos regards n’ont plus l’habitude de s’attarder sur notre environnement. Qui, de nos jours, aperçoit encore un horizon de nature quand il n’est pas en vacances ? Pour notre confort, nous avons retiré de nos vies tout ce qui pouvait perturber nos activités, nous coupant ainsi peu à peu de notre biotope. Même le cycle de la vie et de la mort, qui était encore si coutumier aux enfants de la première moitié du siècle dernier, toujours en contact avec les animaux de la ferme, a disparu avec l’urbanisation. Pour les générations ultérieures, la mort ne fait plus partie de l’univers familial, comme le prouve la disparition de la veillée funèbre. Au même titre que les saisons, nous avons réduit au maximum l’influence de celle-ci sur notre vie. Nous en arrivons même à essayer d’empêcher le temps d’avoir prise sur nous, refusant à notre image le droit de vieillir. Paraître dix ans de moins, dans son physique comme dans son comportement, est le jeu permanent des générations actuelles...

En psychologie, cet état pathologique, "caractérisé par une déstructuration de la personnalité, qui est responsable d’une perte de contact avec le réel et d’une inadaptation progressive au milieu", s’appelle la schizophrénie.

Heureusement, nous n’en sommes pas encore au stade des délires hallucinatoires, bien que notre rapport avec les médias n’en soit pas loin. En effet, même si cela fait maintenant plus de dix ans (sommet de Rio - 1992) que l’information a été criée à la face du monde (les études, et donc les inquiétudes, sont encore plus anciennes, puisque la création du GIEC [Groupe intergouvernemental sur l’évolution du climat] date de 1987), nos médias n’intègrent toujours pas la détérioration progressive de notre planète dans la vision qu’ils nous donnent quotidiennement. À croire que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes...

Or, si nous n’avons effectivement plus beaucoup de relations avec la nature, nous sommes, pour le moins, en relation quasi-permanente avec un message qui nous rappelle, à l’envi, que la solution de tous nos problèmes réside dans la consommation. Et l’on a même vu notre gouvernement chercher à relancer celle-ci en incitant la population à dépenser ses économies, voire à s’endetter, alors même que nous vivons déjà tous au-dessus de nos moyens, puisque notre pays a une dette de 2000 milliards d’euros [voir Le monde]. Du coup, comment songer un seul instant arrêter cet acte quotidien, alors que celui-ci nous permet de bénéficier pleinement du dynamisme de notre société, dont les perpétuels progrès ne peuvent que nous mener vers l’Eden.

Malheureusement, comme pour la mort, nous aurons beau nous masquer la vérité, cela n’empêchera pas la réalité de faire son œuvre. Et, jusqu’à preuve du contraire, notre consommation est, elle aussi, assujettie au second principe de la thermodynamique, qui traduit l’irréversibilité de nombreux phénomènes, et qui explique que notre croissance ne pourra pas être éternelle, puisque nos ressources ne le sont pas.

Arrêtons donc de nous laisser bercer par nos illusions, et prenons conscience que nous détruisons, jour après jour, le capital de nos enfants.


Publié sur VieRurale.com.

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2 réactions à cet article    


  • argoul (---.---.18.97) 6 décembre 2005 20:36

    Vous oubliez quand même que l’on « consomme » aussi des services dont la variété ne dépend que de l’imagination, dont chacun sait qu’elle peut être infinie... On en consomme même de plus en plus, même si le mot « consommation » laisse subliminalement entrevoir une « fin ». Usage serait plus approprié. Je suis jeune (d’esprit) donc optimiste, pas porté à la dolence des jours perdus et des artiuculations qui craquent, sans parler d’Alzheimer ou de schizo... Je crois que l’homme s’adaptera, comme il a toujours fait. Quand aux prévisionnistes, cher Monsieur, depuis qu’ils écrivent (les Grecs), ils se sont toujours trompés, c’est une constante. En 1904, une « prévision » ne faisait-elle pas état de « l’impossibilité » pour les véhicules de rouler dès 1950, la (trop) simple arithmétique calculant de façon « imparable » de bon sens qu’ils se tiendraient tous pare-choc contre pare-choc ? Quant à la terre qui ne « mentirait pas », selon l’odeur de votre texte, j’ai déjà entendu ça quelque part. Durant une autre période de France vieillie, après la faillite d’une autre soi-disant « élite incontournable », sous la présidence d’un autre vieillard, de 20 ans plus âge encore que le nôtre, c’est dire ! Assez de regrets stériles et de contemplation de nombril, retroussons-nous plutôt les manches.


    • Thierry Meyer (---.---.89.50) 12 décembre 2005 08:57

      Bonjour argoul,

      Et merci pour ce commentaire, on ne peut plus représentatif de la population que souhaite toucher cet article.

      Passons quand même rapidement sur tout ce qui est hors sujet. À l’évidence, vous avez vu dans mon texte une apologie "de la dolence des jours perdus" que je ne recherche pas, même si, contrairement à vous, j’ai un profond respect pour les métiers de la terre.

      Mais revenons à votre optimisme que vous faites reposer, malheureusement, sur des raisonnements erronés.

      Tout d’abord, vous semblez sous-entendre que les services ne sont pas des biens de consommation, ce qui les mettraient à l’abri de la critique. Or, il faut bien comprendre que les services sont l’apanage des sociétés riches et que, à se titre, on ne peut pas les dissocier de ce qui a permit leur apparition, à savoir notre niveau de vie. Estimer, par exemple, que d’avoir le plaisir d’utiliser les services de la Grande Bibliothèque de Paris ne pollue pas, est donc révélateur d’une certaine tendance à "occulter" une partie de la réalité.

      Cependant, comme il semble clair que vous n’appréciez pas les oiseaux de mauvais augure, je ne pense pas que ma vision du monde pourra vous toucher d’une quelconque manière. C’est pourquoi je préfère vous citer des personnes qui sont indéniablement mieux placer que moi pour avoir une vue d’ensemble de notre avenir...

      "La calotte glaciaire arctique a fondu sur un espace aussi grand que la France. Au mont Blanc, 400 mètres de glace ont disparu en quelques années. Il est urgent d’agir vite et fort.[...]Le message des scientifiques est sans appel. Les changements climatiques dus aux émissions anthropiques de gaz à effet de serre sont une menace pour nos sociétés. Si nous souhaitons limiter le réchauffement moyen de la terre à 2° C, nous devons réduire de moitié les émissions mondiales d’ici à 2050, soit par 4 à 5 celles des pays industrialisés. Ce défi est réalisable, il exige cependant une prise de conscience très forte et une réelle mobilisation.[...]Voyons loin, agissons vite ! Si nous n’agissons pas dès maintenant, nous serons à la fois responsables et coupables"

      Extrait d’un article de Nelly Olin, Ministre de l’écologie et du développement durable, paru dans Le figaro le 08/12/2005

      "Si l’entente internationale fait défaut, si les égoïsmes et l’irresponsabilité prennent le dessus, le monde ne parviendra pas à enrayer la machine infernale du réchauffement climatique. Et ce siècle verra la résurgence de maladies que l’on croyait à jamais vaincues, la multiplication des épisodes climatiques extrêmes, la ruine de régions entières et la montée inexorable des réfugiés du climat. Faute d’agir aujourd’hui, pendant qu’il en est encore temps, le monde court à un grand désordre, avec son cortège de conflits, de destructions et de souffrances."

      Extrait du Message du Président de la République française au 3ième Forum mondial du développement durable [02/12/05].

      Et là, nous ne parlons que du dérèglement climatique, que nous allons devoir affronter en pleine crise énergétique à plus de 9 milliards d’individus, alors que les seuls occidentaux dégradent les ressources de la planète (air, eau, nourriture) depuis déjà plus de 50 ans (voir Rapport de synthèse de l’Evaluation des écosystèmes pour le Millénaire).

      Mais heureusement que vous, cher Monsieur, vous nous affirmez que depuis les grecs (?) l’humanité n’a pas subi de revers. Alors gardons l’esprit jeune, et continuons de vénérer les Moaï d’occidents.

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