Scientologie - Quid du couac
Nul besoin d’avoir un penchant pour « les affaires » ni non plus pour « les complots » quand s’installe un silence consterné autour du procès de la Scientologie qui se tient au tribunal correctionnel de Paris et dont le jugement est en délibéré jusqu’au 27 octobre après que le Ministère public ait requis la dissolution judiciaire de la secte pour escroquerie en bande organisée. Dissolution dorénavant impossible.
Le silence médiatique sur cette affaire depuis une dizaine de jours s’explique-t-il par l’attente d’un jugement qui, sans surprise, ne sera pas la dissolution ? Il succède toutefois à une avalanche d’informations grâce auxquelles il n’est pas toujours aisé de comprendre pourquoi la secte, dans le collimateur des associations anti-sectes depuis de nombreuses années et qui a réussi à prendre pied en Espagne et en Russie notamment, menace de poursuivre son œuvre prosélyte en France.
Des articles de journalistes et d’hommes de loi éclairent cependant le citoyen esbaudi qui, occupé à travailler plus ou à faire montre de bonne foi dans sa recherche d’emploi, éprouve ces temps-ci bien de la peine à décrypter les faits, les causes, les conséquences, dans les concerts d’indignation servis chaque jour au menu de la vie politique française. De scandales en brouhahas, les faits divers susceptibles notamment de fabriquer de la loi et du décret se succèdent à un rythme effréné. Et précipitation n’étant pas raison, il convient de s’y arrêter.
Nul besoin donc d’être amateur de romans noirs ou paranoïaque excessif. Nul besoin non plus de manifester une nouvelle éruption d’antisarkozysme aigu au motif que le Président, qui prône une « laïcité ouverte », a reçu en grande pompe à Bercy en 2004, tandis qu’il était ministre des Finances, la star américaine Tom Cruise suspecté d’être devenu au fil des ans l’homme numéro deux de la secte. Et bien que l’acteur attaque en diffamation le journaliste Andrew Morton auteur d’une biographie non autorisée [1], deux extraits vidéo en accès libre sur Internet montrent de quoi il retourne lorsque, recevant une médaille aussi honorifique que kitch des mains de Miscavige, le dirigeant mondial actuel de l’organisation, l’ex-futur séminariste demande à une foule en délire si elle est prête à « nettoyer le monde ». Laquelle évidemment régurgite un oui massif avant de se tourner vers un buste de Ron Hubbard (écrivain américain de seconde zone, créateur de la Dianétique ou Scientologie) pour l’acclamer [2].
Mais outre les aménagements législatifs express décidés par nos politiques sur pression populaire ou médiatique, des travaux de fond incombent aux parlementaires dont la mission consiste en principe à donner corps à la volonté de leurs administrés. En l’occurrence, le député UMP Jean-Luc Warsmann (3e circonscription des Ardennes), par ailleurs président de la commission des lois de l’Assemblée nationale [3], exprime très clairement sur son site la nature de ses devoirs et les engagements qu’il tient. Sur la liste des propositions de loi qu’il soumet figure celle dont il est question ici : la loi dite « de simplification et de clarification du droit et d’allègement des procédures ». C’est par elle que le scandale arrive : adoptée le 12 mai, elle rend caduque la requête du Ministère public, formulée un mois après sa promulgation...
Les détails de rédaction de cet alinéa dont personne à l’Assemblée nationale comme à la Chancellerie, hormis l’honorable juriste Michel Véron en juillet, n’avait mesuré les conséquences, figurent sur le très utile blog de Maître Eolas, l’avocat qui explique aux quidams les arcanes d’un droit hexagonal de plus en plus labyrinthique et hermétique. A lire l’extrait incriminé, on comprend certes que les lignes fâcheuses aient échappé à la vigilance des lecteurs les plus avertis.
Seulement il y a plusieurs problèmes. Cette suppression du pouvoir de dissolution d’une personne morale pour escroquerie a été adoptée sans débat et, selon le Figaro, « à l’insu des autorités judiciaires ».
En outre, proposée le 22 juillet 2008 et mise en distribution le 5 août suivant, la loi a passé près d’un an dans un tiroir sans que quiconque ne la révise.
Enfin, elle ne concerne bizarrement que la sanction de dissolution pour escroquerie et non, par exemple, pour abus de confiance.
Révélé le 14 septembre par un communiqué de presse de la Miviludes [4] le bug juridique a évidemment mis en émoi tant la magistrature que le monde politique. Pour Corinne Lepage, par exemple, "un lobbying a été exercé en ce sens, même si je n’en détiens pas la preuve. La coïncidence est trop grosse. Par le passé, l’Église de scientologie a déjà profité de circonstances étonnantes qui lui ont permis d’échapper à ses procès" [5].
Et il en effet permis de s’interroger sur ce nouveau couac au vu des fâcheux antécédents ayant déjà perturbé le déroulement d’actions à l’encontre de la puissante secte, comme le rappelle Marie-Anne Kraft sur Mediapart [6].
Le budget pharamineux de la puissante secte autorise en outre à s’interroger.
Pour remédier à ce cafouillage navrant, le Syndicat de la Magistrature ainsi que l’avocat de victimes Me Olivier Morice, ont demandé l’ouverture d’une enquête parlementaire [7 et 8] pour comprendre comment cette bourde venue à point au secours de la secte a pu être commise.
Le même jour, Michèle Alliot-Marie répondait de façon très pragmatique et se voulant probablement rassurante à ces mises en cause. Evoquant une « erreur matérielle », la Garde des Sceaux, note Le Figaro du 15 septembre, a déclaré qu’elle allait « déposer à l’occasion du prochain texte pénal une mesure qui permettra effectivement de dissoudre notamment des associations, des groupes ou des sectes qui auraient procédé à des escroqueries », confirmant ainsi une annonce de la Chancellerie, la veille.
Marianne en ligne du 1er octobre, rapportant les propos de Bernard Accoyer sur une « erreur de référencement sans interférence extérieure » semble pourtant annoncer que la messe est dite : « En clair, un fonctionnaire de l’Assemblée s’est trompé lorsqu’il a fallu relier le nouveau texte sanctionnant le délit d’escroquerie aux articles préexistant du code, en ne faisant pas référence à l’article prévoyant la dissolution. Pas de référence, pas de sanction. » Pourtant, si selon le président de l’Assemblée nationale la faute incombe aux politiques, le journal note, à raison, qu’il « s’agit en fait d’une erreur d’un fonctionnaire de l’Assemblée ».
La Garde des Sceaux avait par ailleurs ajouté que le droit français permet tout de même de prononcer une interdiction d’exercer sur le territoire national. Une peine jugée insuffisante entre autres par Me Morice, qui a adressé une missive au Président de la République [9], d’autant que, précise-t-il au Parisien, « d’autres affaires [relatives à l’Eglise de Scientologie] vont être frappées par cette modification ».
Qu’attend donc M. Sarkozy pour répondre ?
Note : à lire, cet excellent article paru le 21 septembre dans La Voix du Nord.
[1] AFP, janvier 2008.
[2] Ici, dans un entretien télévisuel, Tom Cruise exprime son enthousiasme et assure des miracles de la Scientologie. Par « nettoyage du monde », il faut comprendre « purification » des êtres humains considérés comme des sous-hommes sauf à grimper les échelons de la Dianétique. Ici, lors de la fameuse cérémonie.
[3] « La Commission des Lois est l’une des 6 commissions permanentes de l’Assemblée Nationale en charge d’examiner les projets et les propositions de lois qui seront discutés en séance publique. Composée de 73 députés issus de la majorité et de l’opposition, ses domaines de compétences sont multiples : droit civil (ex : mariage, filiation), organisation judiciaire ; droit constitutionnel et électoral, administration générale ; droit pénal et procédure pénale ; collectivités territoriales et décentralisation ; outre-mer ; sécurité et liberté publique ; droit administratif, fonction publique et réforme de l’Etat ; droit commercial et propriété intellectuelle ; législation générale. »
[4] (Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires)
[5] Dans un entretien accordé au Point le 16 septembre 2009.
[6] « - En 1998, une partie du dossier d’instruction s’était volatilisée comme par magie du palais de justice de Paris. Une chose qui n’arrive jamais, le rappelle Corinne Lepage, avocate de profession.
- Un policier chargé d’enquêter sur la Scientologie avait été mis à l’écart lorsque Sarkozy était ministre de l’intérieur. Voir article de Libé. Comme le dit cet article de Betapolitique : "2002, Arnaud Palisson, en charge des sectes aux RG, publie sa thèse d’Etat à la Sorbonne et obtient la plus haute mention et les félicitations du jury malgré la saisine du Tribunal administratif par l’Eglise de scientologie. Favre, l’éditeur universitaire suisse le contacte et décide de publier cette thèse… et de la diffuser en ligne sur Internet. A partir de ce moment (Nicolas Sarkozy est ministre de l’intérieur), les pressions hiérarchiques sur M. Palisson commencent, et ce dernier est finalement « déchargé » du dossier des sectes, et remplacé par un inspecteur ne connaissant rien à la scientologie…" »
(Il est rappelé dans le même article les propos tenus par Emmanuelle Mignon en 2006 et la nuance que le Président introduit dans La République et les religions entre sectes et « nouveaux mouvements spirituels ».)
[7] http://www.syndicat-magistrature.org/spip.php?article970
[8] http://www.humanite.fr/Une-loi-votee-par-l-UMP-evite-a-la-Scientologie-une-dissolution
[9] http://preview.leparisien.fr/complements/2009/09/17/642074_une-lettre.jpg
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