Ségolène Royal, sans fleurs ni couronne
Si Ségolène se prend une grosse tôle jeudi, ce qui n’est pas acquis, il faudra bien que quelqu’un se dévoue pour ramasser les miettes de désirs d’avenir. Bayrou semble en pôle, même si le béarnais n’a pas l’âme d’un ambulancier. Sarkozy, lui, pourrait proposer à Royal d’entrer au gouvernement, à moins que la grande dame du Poitou ne se lance dans le cinéma, ou la chanson. Prospectives (et bilan).

Depuis que la droite a fini de s’auto détruire, on n’avait pas autant ri : le rocambolesque congrès de Reims, malheureusement pas filmé en direct par 200 caméras qui auraient pu tout nous dire des vacheries des uns ou des mesquineries des autres, qui auraient pu au ralenti nous décortiquer le départ de Ségolène, soudain levée de sa chaise, blafarde et agacée, soudain raide de haine péniblement contenue, vexée comme deux poux, Ségolène s’éclipsant dans une nuit nuageuse, humide et froide, loin de ces étoiles qu’elle voulait quelques heures plus tôt dans un de ces discours christiques dont elle a désormais le secret, ces étoiles qu’elle voulait donc « rallumer » et qui se retrouvèrent soudain plus qu’éteintes, soudain disparues,évanouies, rayées de la carte. Ce grand moment de télévision, la chute de la maison Royal, soudain lézardée, loin du Palais, loin des Ors, ce grand moment de vérité là aura échappé à tous, et c’est dommage, parce que la politique nous en donne peu à voir, de ces gamelles, tant l’image y est calculée, mesurée, calibrée. Depuis que la droite a un peu fini d’être la plus conne du monde, on n’avait pas connu de singerie de cette taille là, une bataille de polochons digne d’un parti de cabine téléphonique ou de salle des fêtes de Tarnac. Reims, c’était de la piquette certes, mais millésimée !
Cette honte péniblement bue, et parce qu’il faut bien, tout de même, continuer d’avancer, les socialistes militants auront donc à se prononcer entre trois options : la vieille gauche faisant un peu sous elle mais toujours hargneuse, avec pour déambulateur Martine Aubry, et à ses bras accrochés Lang, Fabius, Jospin et Delanoë ; une plus jeune gauche qui entend s’élargir vers sa gauche menée par le relativement perdreau de l’année Benoît Hamon, un peu fade mais souriant, qui n’a aucune chance si ce n’est celle d’exister cinq jours durant jusqu’à sa défaite, et enfin une gauche qui entend se décentrer, se libéraliser pour mieux embêter l’UMP, drivée par Ségolène Royal, mi actrice, mi mystique, mi chèvre mi chabichou, ex partenaire de l’ex premier secrétaire François Hollande, parti lui aussi de Reims la queue entre les jambes et les oreilles basses. Arithmétiquement, Aubry n’a que peu de chance de perdre. Le PS « canal (pré)historique » lui est acquis, et Delanoë, vedette des sondages d’opinion, a fini par accepter de se compromettre, au risque de décevoir, ou désorienter, nombre de ses soutiens. Arithmétiquement, donc, Royal est mal barrée. Même si, à mieux y regarder, rien n’est encore perdu : elle garde le soutien de fédérations importantes, toutes aussi (pré)historiques que les partisans d’Aubry, et elle a sans doute encore sous le coude une bonne réserve de militants sensibles à son verbiage new age.
Rien n’est perdu, donc, mais faisons comme si : si Madame « deuxième tour de la présidentielle » venait à choir, qui serait donc en mesure de la rattraper ? De la récupérer ? Le premier sur la liste s’appelle bien sûr François Bayrou. Le béarnais, seul dans son parti sans envergure, se pourlèche les babines depuis le début des déboires socialistes, arguant que ceux qui « sont contre une alliance avec le modem soutiennent Nicolas Sarkozy », autrement dit qu’il est la seule chance de la gauche de barrer la route de la droite. Une ânerie bien sûr, tout le monde sait que pour l’actuel locataire de l’Elysée, le second meilleur adversaire après Royal s’appelle justement François Bayrou : contre l’une comme contre l’autre il est sûr de gagner, regagner, encore et encore. Qui (excepté Royal) peut réellement penser au PS qu’une alliance avec un demi parti de bobos chrétien démocrate dont le chef a grosso modo perdu nettement tous les scrutins dans lesquels il s’est aligné depuis deux ans en faisant fuir la quasi-totalité de ses amis, effrayés par son omnipotente incompétence, qui donc peut réellement penser que cette roue là est le seul recours possible à un nouveau mandat de Sarkozy ? Personne, en tout cas ni les vieux aigris misogynes et jaloux, ni les jeunes loups, pourtant naïfs et inexpérimentés. Mais Royal y croit, et Bayrou aussi. Ces deux-là pourraient donc légitimement s’unir, au sortir d’une éventuelle défaite de Ségolène jeudi ou vendredi.
L’autre voie de délestage pour la dame du Poitou, qui apparaît depuis Reims très blanche et très fatiguée, serait de céder aux éventuelles sirènes de Sarkozy lui-même, bien capable dans un des ces élans de générosité suspecte qu’on lui connaît de proposer quelque ministère bien encombrant à son ancienne adversaire honnie. Ce serait énorme mais drôle, comme un week-end sur un yacht de milliardaire ou un jogging dans Manhattan, comme Bigard chez le Pape ou Tapie renfloué. Ce serait sarkozien, et une humiliation de plus pour le PS, qui n’en finirait plus d’avaler son chapeau. Ce serait surtout la confirmation que la seule façon, dans l’immédiat pour la gauche d’exister c’est…au gouvernement, comme Kouchner, ou au FMI, comme DSK, seuls socialistes en pleine bourre aujourd’hui, tous les deux couvés, chouchoutés et installés par Nicolas lui-même, ce qui leur vaut des records de popularité, loin des singeries de leurs anciens camarades de classe, dépassés ou démodés, ou les deux à la fois.
Bayrou, Sarkozy, une troisième voie existe aussi pour Ségolène en cas de défaite : le cinéma, ou le « music hall », comme dirait Patrick Sébastien. La dame fantasque, coachée par le zozotant agent de stars Dominique Besnéhard, a manifestement pris goût à la comédie, à la scène, au jeu : qu’à cela ne tienne, dans la nouvelle grille des programmes du service public privé de recettes publicitaires, quelque bonne âme lui trouvera bien un rôle à sa démesure, personnage historique ou bonne sœur, ange gardien ou flic…
Ultime possibilité, enfin, pour Ségolène désavouée par les militants : rester au PS, accepter la « main tendue » (mollement) par Aubry, rentrer dans le rang et se faire toute petite aux côtés des éléphants. Une sorte de petite mort qui ne correspondrait en rien à ce que cette femme têtue a montré ces dernières années : on peut donc affirmer que Ségolène vit en ce moment ses dernières heures au PS, un parti noyauté par quelques-uns de ses pires ennemis, où elle n’a jamais eu sa place. Née sous Mitterrand, morte sous la fille de Delors, bilan médiocre d’une ambitieuse trop tard déclarée, ou trop tôt surévaluée, qui n’aura en fait jamais été en mesure de changer les choses, ni de faire bouger les lignes.
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