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Semmelweis

C’est la thèse de Louis-Ferdinand Céline, publié en 1924. C’est la vie et l’œuvre de Philippe Ignace Semmelweis (1818-1865). Semmelweis est un génie bizarre, il a découvert l’asepsie mais a voulu l’imposer par l’entêtement et l’insulte à un monde médical qui n’a pas la moindre antériorité pour intégrer à sa pensée et à ses pratiques le fait de se laver les mains. S'ensuit un acharnement contre lui, alors qu'il avait absolument raison et que ce qu'il a mis fugitivement en place est en application partout.

Semmelweis a appliqué la méthode scientifique : il a observé. Il a observé que les femmes en couche mouraient fréquemment d’infection puerpérale. Tout d’abord, il a observé une différence de mortalité entre deux maternités voisines, les femmes le savent et le disent qui prient de tomber du bon côté (elles sont placées selon leur arrivée). Semmelweis a également observé que les femmes qui n’avaient pas le temps d’arriver à la maternité étaient moins atteintes. Il a cherché les « variables » : l’établissement le moins performant fait appel à des étudiants et l’autre non. Il fait déplacer les étudiants et la mortalité suit les étudiants. Ils remarquent que lesdits étudiants ont disséqué des cadavres, ils ont peut-être rapporté sur leurs mains des « choses » mortelles, ce qui était repérable à l’odeur de leurs mains. Semmelweis leur fait laver les mains et la mortalité baisse.

Se laver les mains n’avait aucun sens dans l’esprit scientifique de l’époque. Il faudra attendre Pasteur quelques années plus tard pour avoir une reconnaissance complète de ces animalcules porteurs de maladies, les microbes. Sommé de donner des explications, Semmelweis n’en a pas, il propose des « expériences pour voir ». Il voulait tenter le hasard. Le pragmatisme devrait suffire : d’abord, on voit que cela fonctionne et on cherche ensuite d’où cela vient, les antécédents, les explications. Les médecins supportent mal le fait qu’ils pourraient être eux-mêmes vecteurs de la maladie : « les mains peuvent être infectantes ». Semmelweis est calomnié par le directeur de la maternité et doit partir.

D’autres maternités dans le pays pratiquent le lavage des mains, sans résultats, selon eux. Il semble bien que l’orgueil des médecins l’emporte sur toute autre considération, ils ne peuvent admettre que la maladie vienne d’eux.

« Mais décidément, la raison n’est qu’une toute petite force universelle, car il ne faudra pas moins de quarante ans pour que les meilleurs esprits admettent et appliquent enfin la découverte de Semmelweis. Obstétrique et Chirurgie refusèrent d’un élan presque unanime, avec haine, l’immense progrès qui leur était offert. »

Semmelweis et sa méthode a des soutiens chez les courtisans mais ils ne font pas le poids dans les rapports de pouvoir des commissions, du ministère…etc.

La mort de son professeur avec les mêmes symptômes que les accouchées victimes de la fièvre puerpérale à la suite d’une coupure lors de la dissection d’un cadavre conforte Semmelweis dans ses observations « statistiques ». Le suicide d’un autre professeur qui déclare par écrit qu’il se sent responsable de la mort de sa cousine en couche parce qu’il n’a pas suivi les recommandations de Semmelweis l’affecte particulièrement.

On l'avait cru assagi, soumis à cet avis de la communauté scientifique : il attendit de devenir lui-même directeur d’une maternité pour reprendre son combat pour cette pratique hygiéniste, du côté de la santé, du côté de la vie, contre la mort. Sans plus de succès que la première fois. Il semble probable, puisque nous savons, nous, l’intérêt de la propreté des mains, que l’on ait volontairement infecté les accouchées pour donner tort à ce médecin à qui tout le monde donnait tort depuis si longtemps !

« Quand on fera l’Histoire des erreurs humaines, on trouvera difficilement des exemples de cette force et on restera étonné que des hommes aussi compétents, aussi spécialisés, puissent dans leur propre science demeurer aussi aveugles, aussi stupides.

Mais ces grands officiels ne furent pas qu’aveugles, malheureusement.

Ils furent à la fois bruyants et menteurs et puis surtout bêtes et méchants. »

Comme il est difficile d’admettre qu’il y ait des victimes, au sens de victimes parfaites, c’est-à-dire recevant l’agression sans y participer, sans pouvoir l’empêcher, Céline cite bien le mauvais caractère de Semmelweis, le fait qu’il insulte ses détracteurs, et considère que peut-être, d’autres à l’esprit plus large et plus ambitieux seraient parvenus à imposer cette hygiène des mains.

La science finit toujours par se mettre à l’école du réel et l’entêtement idéologique y finit toujours par sombrer. Une des questions est de savoir combien de morts auraient été évitées si l’impératif scientifique avait été accepté et mis en œuvre par les scientifiques eux-mêmes dès ses premières manifestations.

« Rien n'est plus fort qu'une idée dont l'heure est venue. » aurait dit Victor Hugo. Mais rien n’est plus dressé contre celle ou celui qui la dit, rien n’est plus dangereux pour l’auteur ou l’autrice qu’une idée dont l’heure n’est pas encore venue.

« Tout s’expie, le bien comme le mal, se paie tôt ou tard. Le bien, c’est beaucoup plus cher, forcément. » et « La bonté n'est qu'un petit courant mystique parmi les autres et dont on tolère difficilement l''indiscrétion. » Céline aurait acquis dans cette thèse sa misanthropie, difficile en effet d’aimer la vie et d’aimer l’Homme quand on voit cet écrasement du bienfaiteur par les puissants installés au pouvoir, quand on voit cette malfaisance instituée contre l’évidence, contre les lois que lesdits hommes de pouvoir ont la charge de garder et de faire fructifier.

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Semmelweis

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8 réactions à cet article    


  • Breizh Atao 18 avril 2016 20:52

    Intéressant et peu connu.


    • ZenZoe ZenZoe 19 avril 2016 14:12

      Oui, cela fait d’ailleurs longtemps que je me suis promis de lire la thèse de Céline, il parait que son tuteur lui avait dit qu’il avait un sacré talent d’écrivain (me demande même si c’était pas son beau-père !).
      Ceci dit, pour le lavage des mains, il faut savoir introduire une idée nouvelle avec tact et finesse, sans froisser les susceptibilités, peut-être que Semmelweiss est arrivé un peu comme un tank ?
      Bien sûr, quand des vies sont en jeu, on devrait mettre son orgueil de côté.


      • Orélien Péréol Orélien Péréol 19 avril 2016 16:08

        @ZenZoe
        En principe, quelqu’un qui fait la preuve par l’expérience qu’il a raison ne devrait avoir besoin d’aucune qualité supplémentaire. Il ne devrait pas s’inquiéter de « froisser les susceptibilités ».


        Je n’ai pas d’exemple, mais je pense qu’on trouverait des créateurs scientifiques qui ne sont pas parvenus à se faire entendre par trop de gentillesse et de timidité.
        D’ailleurs, il me vient le nom de Bachelier, dont on trouve une narration dans le livre de Mandelbrot... ça va me revenir. C’est dans « les objets fractals » de Mandelbrot que ce dernier raconte l’histoire de Bachelier. Bachelier fait une thèse (un théorème) à partir des cours de la bourse. Thèse jugée insuffisamment bonne. Quelques années plus tard, Fizeau je crois (celui de l’effet Doppler-Fizeau) démontre un théorème (sur des données liées au temps qu’il fait, je crois). Bachelier va le voir, lui dit qu’il a re-démontré son théorème. Fizeau en convient, disant : « je ne peux rien pour vous, ce théorème aura mon nom ». Trop de tact, cette fois...
        Tout ce qui précède est dit de mémoire, il se peut qu’il y ait des à—peu-près... Soyez indulgent. l’idée étant que quelqu’un qui a raison scientifiquement peut ne pas faire entendre ses raisons par trop de tact. Même si l’exemple de Bachelier était insuffisamment juste écrit tel que je m’en souviens (je n’ai plus le livre de Mandelbrot), on peut comprendre qu’il soit possible de « perdre » par trop de tact.

      • JC_Lavau JC_Lavau 19 avril 2016 17:45

        @Orélien Péréol
        Exemples :
        Louis de Broglie,
        Erwin Schrödinger.


      • Orélien Péréol Orélien Péréol 19 avril 2016 17:56

        @JC_Lavau
        Merci pour ces exemples (que je ne connais pas).

        A l’émission « le tête au carré » il a été dit que Pasteur n’avait pas inventé ce qui est lié à son nom... Il faut que je réécoute calmement.

        « Au génial Semmelweiss, la misère.
        A l’escroc Pasteur, la gloire et l’argent.C’est ainsi que notre société rétribue ses grands hommes, et ses petits. » C’est un commentaire de l’autre article sur Semmelweis sur agoravox.


      • JC_Lavau JC_Lavau 19 avril 2016 19:54

        @Orélien Péréol :

        Les procédés employés par Niels Bohr pour vaincre Schrödinger : http://citoyens.deontolog.org/index.php/topic,1141.0.html

      • JC_Lavau JC_Lavau 19 avril 2016 14:15

        Consulter aussi Das Jahrhundert der Chirurgen.
        http://www.amazon.de/Das-Jahrhundert-Chirurgen-J%C3%BCrgen-Thorwald/dp/B0000BOKZR
        Le suicidé en question fut le docteur Michaelis de Kiel.

        La mort de Semmelweis fait toujours l’objet de légendes. Il semble qu’il était dépressif bipolaire, et que si sa mort est due à une septicémie, c’est qu’il avait été roué de coups par les surveillants, et que les blessures s’était infectées, non soignées. Le « suicide » n’a été inventé que pour les disculper.
        La persécution de Semmelweis par l’institution médicale de l’époque fait toujours l’objet d’un déni féroce par certains, anxieux de préserver leur juteuse réputation d’infaillibles.


        • Orélien Péréol Orélien Péréol 19 avril 2016 15:48

          Sauf erreur de ma part, je n’ai pas mis de nom en dehors de celui de Semmelweis (et de Céline).J’ai sorti du livre de Céline certaines choses et pas d’autres, je n’ai pas rendu compte de ce livre.J’ai rendu compte du fait que même dans le domaine scientifique, les combats peuvent prendre des tournures idéologiques, l’idéologie étant pour moi le contraire de la science.J’ai traité ce phénomène dans un article précédent, à propos de tout autre chose : « Les nouveautés scientifiques n’entrent pas dans la science facilement, il y a des luttes qui ressemblent fortement aux luttes idéologiques, mais la réalité finit toujours par être le juge, ce qui n’est pas le cas de l’idéologue. »


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