Serge Portelli : « Les idées de Sarkozy ne sont pas celles de la droite française... c’est autre chose »
Le livre de Serge Portelli - Nicolas Sarkozy : une république sous haute surveillance - est disponible depuis quelques jours aux éditions de L’Harmattan. On laissera de côté la polémique qui a entouré le refus des éditions Michalon de le publier pour s’intéresser au fond. D’une manière plus générale, il était intéressant d’interroger Serge Portelli, sur certaines des thématiques de cet ouvrage. Ce que nous avons fait.
On rappellera que Serge Portelli est vice-président au tribunal de Paris, président de la 12e Chambre correctionnelle. Il est également membre du syndicat de la magistrature.
Eric Nicolier : Votre dernier livre (1), contient des exemples de déclarations de M. Sarkozy que vous présentez comme des contre-vérités ou des manipulations délibérées des statistiques en matière pénales. Si tel est le cas, pourquoi l’opinion publique adhère-t-elle aussi facilement à ce discours et pourquoi la presse ne vérifie-t-elle pas davantage les sources de M. Sarkozy ?
Serge Portelli : C’est le problème tragique des médias. Le contre-pouvoir des intellectuels et des médias n’existe plus. Il n’y a plus la place pour une investigation sérieuse des médias. Il n’y a plus de contre-pouvoir à ce que j’appelle la « politique du marketing ».
Aujourd’hui les médias n’ont pas compris comment fonctionne le discours politique. Les justifications fausses sont rarement vérifiées. La logique du slogan publicitaire domine. On constate ainsi un fossé terrible entre les médias et cette nouvelle manière de communiquer des politiques. De plus, en dépit de l’indépendance individuelle des journalistes, on assiste à une main mise des médias.
Je déplore l’absence d’un vrai débat technique sur certaines questions. C’est un hiatus tragique, car on peut désormais développer n’importe quoi.
Eric Nicolier : M. Sarkozy a rappelé que l’une des premières mesures de son quinquennat serait l’instauration des peines planchers. Ce dispositif est-il demandé par les Français et que pensez vous de sa mise en œuvre ?
Serge Portelli : Evidemment, les peines planchers n’ont jamais été demandées par l’opinion publique, ni par les spécialistes de la question. C’est tout l’art du marketing politique de créer la demande chez le « consommateur ». Pour autant, ces peines planchers ne sont pas une bonne idée, aussi bien sur le plan des principes que techniquement.
Sur le plan des idées, les peines planchers sont contraires à l’idée de justice et contraire à l’idée de la proportionnalité des peines. Rappelons d’ailleurs que Le Conseil Constitutionnel a rappelé que cette proportionnalité des peines était un principe à valeur constitutionnelle.
Ce n’est pas une posture idéologique de ma part. En tant que juge, je vis la réalité du tribunal. La justice a besoin de respirer, d’être assez souple pour apprécier les cas individuellement. Et puis, techniquement, si l’on met en place ces peines planchers, les prisons exploseront. Il n’y aura pas la place pour accueillir ces nouveaux détenus.
Eric Nicolier : Dans ces conditions, la loi visant à mettre en place des peines planchers ne risque-t-elle pas l’inconstitutionnalité ?
Serge Portelli : Oui bien sûr. Ce n’est pas un hasard si au sein même du gouvernement de nombreuses personnalités depuis plusieurs années, à commencer par Dominique de Villepin, ont freiné des quatre fers. Les peines planchers sont contraires à notre pratique, notre manière de juger, nos principes républicains.
On voit bien que Nicolas Sarkozy incarne une autre droite que la droite à laquelle nous étions habitués jusqu’à maintenant en France. J’ai appelé mon livre « Ruptures » car je voulais traiter de la rupture que risque d’incarner Nicolas Sarkozy dans les domaines de la justice et de la politique pénale. Mais on aurait pu aussi se pencher sur les autres ruptures qui risquent de se produire dans des domaines aussi différents que l’économie, le droit social, les relations internationales ou la laïcité.
Eric Nicolier : Dans votre livre vous êtes très critique à l’égard de M. Sarkozy. Mais en même temps vous esquissez les traits d’une autre politique pénale. Mais une autre politique pénale aurait elle le soutien de l’opinion publique ? Et puis existe-t-il des forces politiques suffisamment majoritaires pour la défendre et la mener ?
Serge Portelli : Aujourd’hui l’opinion publique est formatée. Regardez les infos télévisées depuis quelques semaines : c’est une avalanche de faits divers. On nous présente, comme par hasard, le procès de multirécidivistes. On se focalise sur tel serial killer, tel crime horrible. On va présenter une victime, une mère de famille en pleurs. On raconte le martyr de sa famille... Que dire de plus ?
Certes la douleur est là, bien présente. Mais où est le débat des idées ? Où est le débat contradictoire qui permettrait de parler de ces questions sereinement et avec une certaine profondeur ?
Dans le cas précis, on a uniquement les images d’une mère en pleurs... et derrière un homme politique qui récupère la mise.
Par rapport à votre question, sur les forces politiques, malheureusement ce n’est pas le cas. Il est difficile de faire poids à un homme politique comme Nicolas Sarkozy qui a fait son cheval de bataille de ces questions. Il est difficile et long d’expliquer et de débattre raisonnablement lorsque les mots employés sont aussi réducteurs que « barbare » ou « kascher ».
Eric Nicolier : Vous semblez pessimiste sur la capacité aujourd’hui de la société à approfondir ces questions de politique pénale ?
Serge Portelli : Je suis même très pessimiste...
Eric Nicolier : On vous reproche parfois en tant que magistrat de sortir de votre devoir de réserve et de critiquer le gouvernement ?
Serge Portelli : J’ai lu récemment dans le Monde (2) une déclaration d’Yves Bot (3) dans laquelle il fait part de son amitié pour Nicolas Sarkozy. Curieusement personne n’a rien dit ! J’ai entendu aussi Philippe Bilger défendre le principe des peines planchers. Cela n’a dérangé personne. Tout le monde sait que Philippe Courroye tutoie Nicolas Sarkozy. Pour ma part, je ne tutoie pas Ségolène Royal. J’ai du la croiser quinze secondes une fois. Il y a deux poids deux mesures selon que l’on exprime son amour pour Nicolas Sarkozy ou que l’on critique son action politique.
On a souvent tendance à caricaturer. Je suis engagé dans le débat. Je n’ai rien contre les idées de droite... en tout cas la droite telle qu’on la connaît en France depuis des décennies. Les idées de Nicolas Sarkozy ne sont pas celles de la droite française... c’est autre chose.
(1) PORTELLI Serge, Nicolas Sarkozy : une république sous haute surveillance. L’Harmattan - 2007
(2) Yves Bot droit dans sa robe - Le Monde - 16/03/07
(3)
Yves Bot est ancien procureur général de Paris. Il est actuellement
avocat général à la Cour de justice des communautés européennes
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