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Servage numérique

 

Au pays de la liberté, les Etats-Unis d’Amérique, la démocratie a son prix, 14 milliards USD pour l’accès à la fonction suprême, la présidence, 200 millions USD pour une législation, taillée sur mesure, dans l’Etat de Californie.

Abritant, dans sa mythique « Silicon Valley », les plus importantes multinationales de technologie, la cinquième économie de la planète est également à l’origine d’un nouveau schéma, la « gig economy », ou économie à la tâche, avec son abondante « armée de réserve » (1) de travailleurs journaliers, inspiré des méthodes des propriétaires terriens du 19ème siècle.

Ce « nouveau » concept de l’auto-entrepreneur, dont la notion de liberté d’action et de responsabilité peut à priori paraître séduisant, dans un contexte de marché libre et non-faussé, fait en réalité partie d’un narratif bien rodé des voix, soutenant le dogme du néolibéralisme, narratif qui est évidemment un travestissement délibéré de la réalité.

Le marché n’est jamais libre et encore moins non-faussé, car il se trouve que ces mêmes multinationales, « Uber » « Lyft » « DoorDash », peuvent se permettre d’opérer à perte, sans craindre la concurrence. C’est grâce aux sources intarissables du secteur de la finance, alimentées par la création monétaire des banques privées, elles-mêmes fournies en amples liquidités par la Réserve Fédérale, également en mains privées. La concurrence, c’est le travailleur qui doit la craindre.

En termes macro-économiques, l’objectif est clair, la baisse de la quote-part de la collectivité publique dans l’économie, comme le démontre la « Réforme du marché du travail allemand Hartz IV » de 2003, introduite par la coalition rouge-verte du Chancelier socialiste Gerhard Schröder, avec sa promotion de la « Ich AG », ce qu’on pourrait traduire par « moi-même SA », une société simple, crée par un chômeur, face à la concurrence des multinationales. Le marché libre et non faussé.

Il se trouve que la justice a en effet cherché à protéger les droits des travailleurs, par un jugement de la « Cour suprême de l’état de Californie » du 30 avril 2018, balayant une plainte de la société « Dynamex Operations West », jugement du nom de « California Assembly Bill 5 », entré en vigueur au mois de septembre 2019, accordant aux auto-entrepreneurs, par défaut, le statut d’employé, obligeant du coup leurs employeurs à s’acquitter des charges sociales et autres assurances maladie usuelles en tout état de cause. 

C’était sans compter avec la puissance financière des « Uber » « Lyft » et autres « Door Dash » qui se lancèrent sans attendre dans une campagne référendaire, investissant 205 millions USD pour la « bonne cause », appelée « Proposition 22 », acceptée par le peuple californien à 58,65 % voix contre 41,35% le 3 novembre dernier.

Ce furent les cabinets de conseil « Bicker, Castillo & Fairbanks » et « MB Public Affairs » qui accomplirent le gros du travail de conviction, utilisant des méthodes, frôlant la légalité, en se servant abondamment des réseaux sociaux « twitter », « facebook » et autres « Instagram » connus pour leur neutralité légendaire. (Jacobin magazine 14.09.2020)

Dorénavant les livreurs de pizza et chauffeurs de taxi, menés à la baguette par une application numérique, seront considérés comme des entrepreneurs.

Suite à l'annonce des résultats de la votation, Anthony Foxx, ancien « Secrétaire aux Transports » dans l’administration Obama entre 2013 et 2017 et actuel directeur exécutif de la société « Lyft » se réjouit d’un nouveau modèle économique, potentiellement applicable au monde entier, et le directeur général irano-américain de la société « Uber », Dara Khosrowshahi, vante les avantages de « Proposition 22 » : « Vous avez le meilleur de deux mondes. Vous avez la flexibilité. Vous êtes votre propre patron, votre propre CEO, et vous avez certaines protections. »

Mister Khosrowshahi a raison, il est tout de même plus valorisant d’être son propre patron que de devoir se plier au bon vouloir d’un patron. Seulement, c’est un peu comme avec le principe des franchises, en principe vous êtes votre propre chef, mais au fond vous êtes mené à la baguette par une multinationale.

Cette votation californienne, à première vue anodine, s’insère dans le contexte actuel de la pandémie du COVID et la destruction volontaire de l’économie de proximité par des mesures administratives. La conséquence sera une concentration sans précédent du pouvoir économique, favorisant une nouvelle économie planifiée et centralisée, dominée par des plateformes numériques, et un servage numérique des travailleurs, un peu à l’instar de l’Union des républiques socialistes soviétiques. 

(1) Armée de réserve industrielle de travailleurs est un concept développé par le philosophe Karl Marx. 


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18 réactions à cet article    


  • Clark Kent Séraphin Lampion 30 novembre 2020 09:39

    va falloir procéder au sevrage numérique, et ça va être douloureux pour les intoxiqués


    • izarn izarn 30 novembre 2020 19:44

      @Séraphin Lampion
      Non tu détournes, tu pollues, tu bifurques, tu ruines, tu te moques, tu crétinises, tu ridiculises,et tu volatilises !


    • Opposition contrôlée Opposition contrôlée 30 novembre 2020 10:11

      Le « travail à la pièce » n’est ni une particularité du XIXème siècle, ni des USA. Jusque dans les années 70, en France, de nombreux ouvriers de petits ateliers étaient payés en liquide, chaque semaine, au prorata de leur production. 

      « menés à la baguette par une application numérique » ? Dans les questions de rapports sociaux, c’est la culture et la conscience politique qui sont déterminant, la technologie n’est qu’un moyen.

      La vraie question est celle de la marge des centrales. Et la vraie réponse est la capacité des prestataires à s’organiser en syndicat.

      Pourquoi pas « l’application numérique du syndicat des chauffeurs Uber » ? Une crasse de l’employeur ? Grève générale pendant l’heure de pointe. Même pas une grève au sens légale, puisque vous êtes « entrepreneur », et donc libre de travailler ou non. Je dis ça à titre d’illustration, mais vous devez comprendre que la technologie est au service de celui qui s’en sert.


      • Opposition contrôlée Opposition contrôlée 1er décembre 2020 10:10

        @Sébastien A.
        L’exemple de l’organisation syndicale est pourtant explicite...


      • Yann Esteveny 30 novembre 2020 10:19

        Message à Monsieur Bruno Hubacher,

        L’auto-entreprenariat est un miroir aux alouettes qui se conjugue parfaitement à ceux de démocratie, de liberté et de révolution numérique.
        Lorsque le rapport de forces est écrasant avec des règles faussées dans une société vénérant le Veau d’Or, l’auto-entreprenariat équivaut au statut de métayer face à des grands propriétaires terriens sans foi ni loi !
        Vivre dignement en gagnant son pain à la sueur de son front exige une société avec une autre transcendance.

        Respectueusement


        • izarn izarn 30 novembre 2020 19:26

          @Yann Esteveny
          L’auto entreprenariat n’est qu’une distraction pour les chomeurs...


        • V_Parlier V_Parlier 30 novembre 2020 21:56

          @izarn
          C’est en effet un moyen de valoriser symboliquement un petit boulot de subsistance dans un pays désindustrialisé qui veut continuer à vivre à la mode d’un pays industrialisé (ça ne marche qu’un temps).


        • amiaplacidus amiaplacidus 30 novembre 2020 11:47

          En bonne théorie économique libérale, pour que la loi du marché puisse fonctionner, il faut, entre autres, qu’il y ait atomisation des demandeurs et atomisation des offreurs.

          Il est patent que cette économie « uberisée » ne respecte absolument pas la règle de base de la théorie libérale, on est en présence d’un oligopsone (voire monopsone) : beaucoup d’offreurs (les livreurs) et peu (voire un) de demandeurs (Uber et autres).

          Ces gens se prétendant libéraux ne respectent même pas le B, A, BA de l’économie libérale.

          .

          À noter que je ne crois absolument pas à la théorie libérale, pour deux raisons.

          La première est fondamentale, c’est que la sommes des intérêts particuliers ne représente pas l’intérêt général, contrairement à ce que prétend A.Smith.

          La deuxième est plus pratique, il suffit d’observer comment va le monde sommis à la loi « libérale », pour voir que cela ne marche pas.


          • izarn izarn 30 novembre 2020 19:23

            @amiaplacidus
            Si la majorité des cons vont sur Amazon au lieu de la FNAC ou autres...
            Les cons ça ose tout, c’est juste à ça qu’ils se font entuber !
            Ensuite, les USA c’est pas la France...
            Pas encore !
            Dieu Merci !
            Mais Satan Macron s’y emploie !


          • binary 30 novembre 2020 14:24

            Cet exemple montre bien, une fois de plus, que la « démocratie » a pour principe de base, le fait que les populations ne comprennent pas ce pour quoi elles votent.


            • Eric F Eric F 30 novembre 2020 19:02

              Le recours au travail à la tâche est effectivement en plein essor. Il y a le vrai-faux statut d’autoentrepreneur pour le compte de grandes chaines comme Uber et autres, mais également chez nous le « contrat d’extra », CDD ultra court.

              C’est une régression aux pratiques anciennes où les patrons venaient sur la place du village embaucher des « journaliers ».


              • izarn izarn 30 novembre 2020 19:17

                Organisez vos propres réseaux...

                Ouais, vous livrez pour Amazon en auto-entrepreneur...

                Pauv’con !

                Tu livres qui tu veux, et ça manque pas !


                • zygzornifle zygzornifle 1er décembre 2020 07:36

                  Dorénavant les livreurs de pizza et chauffeurs de taxi, menés à la baguette par une application numérique, seront considérés comme des entrepreneurs.

                  il y a même des puces dans les olives pour mieux cibler le client ....


                  • Trelawney 1er décembre 2020 08:24

                    Uber et son chauffeur En aparté l’auto-entreprenariat trouve plein de débouché intéressant dans beaucoup de secteurs de l’économie : informatique, événementiel, tourisme, etc. où l’autoentrepreneur s’y épanouie. La logique d’un chauffeur autoentrepreneur serait de faire appel au service d’une plateforme logistique pour ce trouver quelques clients. Je dis quelques clients, car c’est à lui de se faire sa communication. Hors nous avons une plateforme qui traite directement avec un client et sous traite cette prestation. Donc Uber est l’entreprise et le chauffeur son prestataire. de plus le chauffeur n’a comme seul client Uber qui le paie. Donc c’est de la « gestion de fait » et c’est interdit par la loi. Dans un système libéral qui se respecte, cette société Uber par sa façon d’opérer devrait être interdite. Il n’est pas nécessaire de faire une loi pour protéger le chauffeur car ces lois existent. Mais vous comprenez qu’un système comme Uber apporte un plus chez les fabricants de voitures, le système de crédit et permettent aux ville de développer leur système de transport individuel sans y mettre un euro.


                    • Bruno Hubacher Bruno Hubacher 1er décembre 2020 08:48

                      @Trelawney
                      Je ne veux pas tempérer votre enthousiasme, mais le « système libéral qui se respecte » est une illusion, car le marché libre et non-faussé n’existe pas, pour la simple raison que l’accès au grand capital est réservé à quelques acteurs économiques qui l’obtiennent de ceux qui le créent du néant, les banques privées. C’est comme avec le tiercé, dans ce système vous pouvez en effet gagner le gros lot, mais pas tout le monde. 


                    • Trelawney 1er décembre 2020 11:12

                      @Bruno Hubacher

                      dans ce système vous pouvez en effet gagner le gros lot, mais pas tout le monde. C’est impossible que tout le monde gagne un éventuel « gros lot ». Car tous les systèmes économiques passés présents ou futurs, tiennent compte de deux lois universelles et inchangeable : 1 la loi de l’offre et de la demande (une abondance de VTC fait baisser les prix de ces derniers) 2 la compétence du prestataire qui est fait référence à l’article 1 cité plus haut. (un médecin qui a fait des études sera toujours mieux payé qu’un VTC ou un livreur).

                      Dans ce « système libéral », le législateur a mis des barrière par : la loi antitrust qui empêche le monopole d’un secteur d’activité. la loi sur le salariat déguisé qui transforme un prestataire de service en employé au rabais.

                      Maintenant on peut ou pas faire appliquer la loi, mais ce n’est pas la système libéral qui est à mettre en cause, car il s’est imposé de lui même sans interventionnisme d’état ou de cartel.

                      Pour ce qui est d’Uber, il est certain qu’il ne respecte pas les règles, ni la loi en vigueur dans beaucoup de pays. C’est aussi pour cela qu’il est interdit à Londres, Barcelone, Bruxelles (bientôt à Paris), mais aussi dans l’Allemagne et les pays nordiques. Les californiens ont considéré que les chauffeurs VTC travaillant avec Uber, et du fait de l’exigence de monopole, sont des salariés Uber.

                      Pour que ce système fonctionne dans une économie libéral, il faut que le chauffeur VTC qui fait appel à une plateforme doit : Etre reconnu officiellement en tant que chauffeur VTC (carte professionnelle) Posséder obligatoirement une part en actions de la plateforme et cette dernière doit lui donner la totalité des bénéfices sous forme de dividendes. En quelque sorte il achète un droit d’utiliser la plateforme et cette dernière ne lui facture que les frais de gestion. ce n’est pas la peine de faire une loi puisque c’est la loi. Il suffit de la faire appliquer.


                    • julius 1ER 1er décembre 2020 10:17

                      Mr Hubacher.... et les Suisses que vous connaissez bien, ont voté pour que les multinationales aient encore moins de contraintes .... en fait non en voix c’est 50,7% qui ont voté pour et 16 Cantons sur 28 qui ont voté contre mais ce qui apparait le plus c’est les Cantons germanophones qui ont voté à plus de 66% contre l’initiative alors que les francophones ont voté pour .... clivage étonnant ????

                      mais c’est la 2ie partie de la votation qui est étonnante où les gens ont voté contre l’initiative visant à rendre les investissements plus vertueux en ne finançant pas l’armement ou le travail des enfants ....

                      là pour le coup les suisses n’apparaissent pas vertueux pour 2sous !!!!

                      pour l’article en lui-même, vous feignez de découvrir que le Capitalisme réinvente le travail à la tâche, et même causes, même effets, il crée à nouveau une précarité extrème qui créera un chaos sociétal sans faille et des mouvements « de gilets jaunes » à répétition vont se multiplier jusqu’à déstabiliser la société ..... alors d’abord on envoie l’armée et la police, puis comme cela ne suffit pas il faudra légiférer et mettre en place des Lois sociales pour éviter que le chaos social ne dérive en chaos économique !!!!!!

                      on peut dire que l’Histoire est inscrite dans les gènes du Capitalisme mais que celui-ci n’apprend rien de celle-ci ..... pour répéter toujours les mêmes erreurs ???

                      en fait « erreurs » pour certains mais pour d’autres c’est toujours l’idée du profit maximisé qui importe et c’est bien là la principale constante du Capitalisme qui toujours prépare la corde pour se pendre !!!


                      • I.A. 1er décembre 2020 11:56

                        Très bonne analyse.

                        Le pire, selon moi, est que ce pseudo « auto-entrepreneuriat » désolidarise les employés les uns des autres : point de syndicalisme ou d’actions communes dans ces conditions !

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