Sexisme ordinaire ou la misandrie des misogynes
Ce 24 mai, un jeune homme abat quelques 6 personnes et en blesse une dizaine. Ce n'est pas le sujet de ce billet.
A vrai dire, c'est à peine si ce jeune homme servira de tremplin d'analyse, histoire que je me jette à l'eau avec ma première publication, préférentiellement sur un sujet pas trop épineux.
Mmh, avec un titre pareil, c'est mal parti.
Recontextualisons rapidement : Elliot Rodger, fils d'un réalisateur dont je me contre-schtroumpf (mais pas la presse), annonce dans une vidéo (rendue indisponible dim.26) qu'il souhaite très concrètement « massacrer chaque salope blonde gâtée et coincée » qu'il viendrait à croiser lorsqu'il déclenchera ce qu'il appelle le « jour du jugement ». Effectivement, le lendemain il s'est empressé de se mettre à la tâche, avec le résultat que l'on connaît. Encore un jeune taré made in USA... Mais LA question qui me picote le neurone à ce moment là, c'est : Pourquoi spécifiquement des blondes de petite vertu ? La réponse est éparpillée un peu partout dans un soliloque grandiloquent, à savoir que les femmes (ces salopes) méritent punition pour la terrible « injustice, le crime » (sic) dont il est victime, lui, le « mec parfait, le gentleman suprême » (re-sic). L'injustice ? Être puceau à 22 ans ! Bon ok, c'est réducteur. À vrai dire, il parle de solitude, des femmes qui l'obsèdent, celles qui le rejettent, les « brutes » avec qui elles sortent, en rajoute via un « syndrome du nice guy » (j'y reviendrai) et blâme le monde de ne pas voir son absolue perfection. Entre autre, mais je ne vais pas en rajouter trente couches, je pense qu'on aura compris et je trouve que l'on a déjà de quoi travailler, pas vous ?
Bien, on va commencer par ceci : ce jeune homme ne tourne pas rond. Visiblement. Définitivement. Son discours est déstructuré, répétitif, autocentré et ses actes furent meurtriers... L’œuvre d'un psychotique en pleine folie meurtrière, en somme. La presse l'a d'ailleurs suffisamment dit, et bien mieux que moi. Ceci étant, la presse a quand même « oublié » de faire mention des motivations d'Elliot, à savoir sa haine profonde des femmes. Et dans mon souvenir, être psychotique n'excuse ni n'explique la misogynie. J'ai quand même checké le DSM-IV, pour me rassurer, ne pas sauter à la va-vite sur mes conclusions, mais là encore, la réponse reste la même : La misogynie ne fait pas partie du full package que nous délivre usuellement une pathologie mentale. Mais elle sort d'où alors ? Parce que la presse généraliste évite peut-être le sujet, mais il me paraît central.
Sexisme ordinaire
Elliot a beau être ce que l'on nomme pudiquement un déséquilibré, il n'en reste pas moins un objet social intégré à une dynamique sociale. Il est et demeure, d'abord par le principe d'impéritie, puis par les dynamiques de groupe, par socialisation, par normalisation et par ses interactions (au sens le plus large du terme) ; un élément de la mécanique sociale. Insidieusement, cette mécanique sociale s'entend à minimiser les femmes, voire les rabaisser (quoique les causes féministes aient pu changer tant factuellement que symboliquement la donne vis-à-vis de nos représentations et schémas de pensée).
Une femme apprend toujours très (trop) tôt qu'il est normal de se plier aux caprices des hommes, qu'elle n'a de rôle sinon minime (je vous renvoi à ce joli dossier, quoiqu'un brin dogmatique), reléguée au second plan, avec des injonctions telles que « tu ne seras intéressée que par des choses futiles », « tu ne peux être rationnelle et seras toujours contrôlée par tes humeurs ». Souvent simple objet de plaisir, ou de fantasmes improbables, les femmes n’existent qu’en tant que jouets, à la disposition des hommes. Objets sexuels dont on se repaît ou objets de mépris dont on se moque, généralement les deux à la fois (pour l'exemple, et pour les francophones). Être femme à Hollywood, c'est devenir un objet de fantasme masculin, avec près de 3 fois plus de chances de finir nue qu'un homme. Et qu'on ne vienne pas me dire que c'est minoritaire (gaffe, je mord), tout simplement parce que ces biens à la consommation sont et restent avant tout le produit d'un marketing global calibré, qui s'adresse à un cœur de cible forcément majoritaire (le but restant quand même de vendre au plus grand nombre, est-il besoin de le rappeler). Et on ne se restreint pas uniquement au marketing « pour homme », il suffit de voir le nombre impressionnant de publicités dirigées exclusivement aux célèbres « ménagères de moins de 50 ans ».
La représentation de la femme dans le matériel culturel mis à notre disposition est donc pour le moins problématique. Dans le cinéma Hollywoodien, les rôles usuels des femmes sont généralement la mère, qu'elle soit ou non au foyer, ou l'amante (désirée ou déjà « acquise » par le héros) et ses activités sont les commérages et quelques tâches subalternes. La femme n'est rien sans homme, en somme. C'est très concrètement mis en forme dans l'image habituelle de la demoiselle en détresse, le TRES récurrent problème posé par le Bechdel-Wallace Test (qui n'informe par ailleurs pas de la qualité d'un film, seulement de la sous-représentation des femmes dans ceux-ci), la concupiscence ambiante de nos médias (TV, comics, mangas, musique, art) et j'en passe. Bon, vous me direz « ouais mais nan, c'est des trucs qui nous sont extérieurs, ça nous concerne que de loin, détachement, tout ça tout ça, je suis pas les films que je regarde, pas plus que les jeux auxquels je joue, ni moins que les bouquins lus et relus ». Sauf que cet environnement culturel et social induit des croyances, des représentations, conscientes ou non, sur les femmes et les relations des hommes à celles-ci. La société moderne industrialisée objectifie le corps féminin de manière chronique et généralisée et beaucoup de femmes en sont venues à faire ce que l'on appelle de la self-objectification, à savoir se considérer elles-mêmes comme des objets sociaux liés par essence à des attentes masculines. Infantiliser une ingénieure en physique nucléaire ne dérange pas ; rechercher, dans le cadre d'un emploi, exclusivement une caissière ou une vendeuse est habituel et dans un autre style ce genre (haha) de témoignage pullule, et fait trop souvent face à des réactions des plus virulentes. Ce que je sous-entend ici, c'est qu'il est devenu normal et acceptable pour tout un chacun d'entendre dans la rue des « hé mamzelle, hé pssst » (florilège), et même ceux qui ne soutiennent pas ces comportements n'émettent plus qu'un bête « faut faire avec », que c'est le lot quotidien de ces allumeuses de toute façon, alors bon qu'elles aillent me faire un sandwich et qu'on en parle plus. Même sans cautionner, même lorsque l'on trouve ces comportements affligeants, toutes et tous refusons généralement de les interroger, de réagir, et même de les remarquer. Dans les questionnaires RH, il est fortement recommandé dans les questions additionnelles de demander aux candidats de sexe féminin, elles seules, si elles sont mariées ou non, et si elles ont déjà des enfants. Entre mépris, exclusion, paternalisme « bienveillant », rien n'est plus intégré dans nos relations sociales qu'une petite blague sexiste ou une remarque à l'emporte-pièce. Les femmes sont la cible, tirons à vue ! Elles seules ?
La misandrie des misogynes
On parle des femmes, on parle de sexisme ordinaire, on parle de ce qu'elles subissent. C'est bien de le rappeler, toujours, car quelques paternalistes ne manqueront pas de minimiser le problème, d'en appeler à la victimisation des femmes, à la misandrie des féministes, et que ça va bien là non mais oh. Mais dans toute cette mécanique sociale/culturelle, il n'y a pas que les femmes et les misogynes. Si si, je vous assure, il y a aussi des hommes qui ne tirent pas les ficelles du damné patriarcat. À l'instar des femmes, les hommes subissent aussi l'intégration de ces croyances et modèles de conduite. Je pense, parallèlement à mon exemple des femmes-potiches-nues d'Hollywood, à ce qui s'appelle « l'injonction à la virilité ». Leadership, sportivité, ne pas se plaindre, ne rien craindre, savoir se battre, ajoutons à cela le pouvoir, l'argent et un maximum de conquêtes sexuelles... C'est tout juste si j'ai besoin de développer, nous connaissons tous le mâle alpha.
Virilisme et sexisme sont en fait des parties intégrantes de l'identité masculine socialement reconnue et valorisée. Une telle vision de l'homme « masculin », réductrice et abrutissante, dépeint et véhicule entre autre l'idée que l'homme ne PEUT fondamentalement pas comprendre les femmes, qu'il ne s'exprime que par la violence (physique, comme dans le monde du jeu vidéo, ou plus symbolique/psychologique, comme on peut le retrouver dans l'excellente série House of Cards), que patience et douceur ne peuvent être attendues de lui et qu'il est habité par le démon libido à chaque instant de sa vie d'aventures. L'homme est un animal, parfois monstrueux, mais toujours irrépressible, irréfléchi, motivé par la concupiscence naturelle qui l'habite, et parfaitement dissocié de la gente féminine rabaissée. Les exemples ne manquent pas, entre les fausses-accusations (qui font de l'homme-agresseur le coupable automatique et non-discutable), la mise en compétition homme-femme (Battu par une fille ? Bouuuuuuuh le nul), la remise en question de certains attributs (t'as pas de couille !) ou encore les attaques sur la sensibilité (pleurer comme une... Gonzesse. Oui.). Les hommes qui ne correspondent pas au mâle alpha se retrouvent en souffrance, et de manière plutôt singulière : l'absence de « virilité » est en effet communément associée à une perte identitaire totale et absolue. Pour rétablir cette perte identitaire, le « non-mâle » peux chercher des groupes d'appartenance différents de ceux qui lui font consciemment ou non perdre son identité. Ces nouveaux groupes d'appartenance seront certes moins valorisés (pyramide sociale oblige) mais lui permettront de réussir à se reconsidérer, et ce par comparaisons positives. La comparaison endogroupale (à l’intérieur du groupe) et les biais pro-endogroupes vont solidifier une identité positive perçue par celui qui fût « non-mâle ». Mais ça n'en fait pas pour autant un mâle. Pour être un mâle dans ce nouveau groupe, il faut surtout que ce groupe, déjà pas bien valorisé, ait le moins d'attributs connotés « féminins ». L'entre-soi entretient dès lors un climat proprement sexiste, alimenté tant par l'environnement culturel que l'environnement social, ce qui renforce les comparaisons à l'exogroupe ultime, les femmes.
Exemple frappant, de l'hypersexisme tangible (pro-victimaire) de la communauté geek, d'une part, mais aussi dans ce que l'on nomme le « syndrome du nice guy » d'autre part. Ce dernier exemple est plutôt problématique en soi, et concerne tout particulièrement notre jeune Elliot (mais si, vous vous souvenez, au début de l'article). Le syndrome du nice guy, de manière assez grossière, c'est un type qui ne correspond pas aux codes identitaires normatifs et qui pour pallier va composer une identité de « gentil », d'attentif, de sociable, etc. Le problème, car il y en a un, c'est que ce n'est pas désintéressé. Le but ultime de l'opération est d'obtenir les faveurs des femmes avec qui il va être particulièrement gentil, perpétuant ainsi l'idée que la femme est un objet-récompense, et aliénant totalement la notion de choix/goût/identité des diverses « cibles », et ne s'impliquant socialement avec les femmes (l'exogroupe, on retrouve la mécanique vue précédemment) que dans un cadre transactionnel type. Le second problème, découlant du premier, c'est que ces personnes vont développer d'autant plus de frustration que les demoiselles qu'ils « payent » par leurs temps et leurs attentions vont se refuser à lui. Considérant « l'investissement », la frustration engendrée va ancrer un certain nombre de comportements-types du sexisme excluant, consolider certains processus de victimisation et développer la haine que ces nice guy ont pour les femmes qui « continuellement se refusent ».
Dans le milieu du marketing, entretenir le mythe du mâle alpha, comme rapidement décrit plus haut, est particulièrement important. C'est dans cette optique que l'on retrouve par exemple dans les meetings de passionnés d'automobile, de tuning (ok, ça reste des milieux un peu beaufs quand même), de comics/mangas, de gaming (censés être moins connotés « beauf » dans l'imaginaire collectif) un phénomène portant le doux nom de babes. Ces babes sont visiblement passionnées par un W12 surcompressé ou la programmation en C++ (non mais fanchement). Bon, concernant les babes, on pourrait très bien en parler plus haut avec l'objectification de la femmes, mais je crois qu'on a suffisamment d'exemple pour ça. Alors, pourquoi s’arrêter sur les babes, quel lien avec la misandrie du patriarcat ? Tout simplement parce qu'il est plus qu'éloquent de remarquer que les personnes qui vont à ces conventions sont des passionnées, qui ont dépensé à la fois du temps et de l'argent pour pouvoir y entrer, et le seul argument que leurs équipes marketing aient trouvé, plutôt que la mise en avant du super boulot fait par BMW/marvel/ubisoft/lustucru, c'est de réduire le passionné à un chibre sur pattes. Par l'entretien consciencieux d'un certain nombre de stéréotypes « viriles », il est assuré que le message soit compris, entendu, et entretienne un certain nombre de stéréotypes « viriles » qui... Enfin, vous avez compris l'idée.
Et concernant l'entretien des stéréotypes, on m'a fait part d'une idée plus qu’intéressante : On se camoufle, on se planque, bref, on lisse nos rapports à autrui. Que je m'explique : Imaginons que vous soyez dans la situation où il vous faut pondre un commentaire de littérature. Votre correcteur est, vous le savez, fanatique de Gide. Vous, vous seriez plutôt du genre à les lui faire manger, ses Nourritures Terrestres. Mais vous faîtes l'effort de fournir ce que vous considérez être « le job attendu » par votre correcteur. Transposez donc la situation à votre vie de tous les jours maintenant. Votre chef que vous vouez pourtant aux gémonies vous trouve très agréable, non ? Vous abondez dans le sens attendu et alimentez la représentation erronée qu'il a de vous. Dans les relations homme-femme, la mécanique est la même, perpétuant ainsi un certain nombre de croyances, apprises puis recrachées pour correspondre à de supposées attentes. C'est évidemment limité et limitatif dans le sens où conforter ces stéréotypes, c'est alimenter le patriarcat tel quel.
De Churchill à Simone Veil, l'avancée est perfectible.
On nous dit que le sexisme est une affaire de femme, que le féminisme, par son essence étymologique, ne peut concerner les hommes. J'entends que dans nos sociétés, à tous les niveaux, on ne peut rien sans confrontation, que dans nos médias réducteurs, tout est binaire, que si l'on est pas l'un, on est l'autre. Ce schéma simpliste s'est appliqué et s'applique à chaque problème de société. Le patriarcat est un système dynamique, une mécanique sociale qui implique selon moi éminemment plus que le package idéologique que l'on nous vend depuis des années, et particulièrement ce que j'ai pu croiser ces derniers mois dans le monde du féminisme médiatique et du féminisme radical. Je pense à la répétition, dernièrement, des attaques contre la cible favorite des radicales : Le mâle blanc cis-hétérosexuel. Il est trop facile de s'attaquer à la majorité normative dominante, sans prendre en compte que les femmes ne sont pas les seules à subir les dérives d'un système inégalitaire au possible. Oui, ce système est avant tout un système de privilèges lié à l'homme, oui les représentations de l'homme et de la femme dans nos sociétés n'ont foncièrement pas la même portée, tout comme les rôles désignés, les mises-en-valeurs, etc.
Mais prendre une cible désignée, et tirer à vue n'est pas plus judicieux que soutenir un tel système. J'ai peur que l'on ne se soit pas mal éloigné des combats que furent le droit de vote (Nouvelle-Zélande 1893, Danemark 1915, Grande-Bretagne 1918, États-Unis et Allemagne 1920. Quant au pays des droits de l'homme, attendons encore un quart de siècle...), l'égalité d'accès au travail, le droit à l'avortement, le droit à la disposition de sa propre personne. À la place, le combat se fait sur la dichotomie (artificielle, liée à des agendas politiques) entre féminisme moral et féminisme social, sur des contradictions telles que faire face au harcèlement sexuel, en considérant que la sexualité n'est pas un service ni un travail, tout en avançant que certaines femmes puissent gagner leur vie en rendant, à temps plein, ce genre de service.
Ou sur l'abolition du port de la jupe.
Les radico-féministes se sont axées de toute leurs forces sur un combat contre tout et tous le monde, à commencer par les représentations normées : hommes blancs cis-hétérosexuels (donc dominants par nature), et femmes blanches cis-hétérosexuelles (donc forcément soumises). Cet extrémisme idéologique, en rupture avec en somme tout ce qui fût l'histoire du féminisme et du monde en général, est une plaie qui a pourtant pignon sur rue médiatiquement parlant. Lorsque je dis une plaie, je ne parle pas uniquement de la stigmatisation de l’homme (masculin) comme espèce de monstre-animal dominateur, pulsionnel, dégradant, etc. Je parle aussi de ce qu’elle renvoient du combat féministe (le vrai, pas le fémino-féministe), et plus généralement ce qu’elles tentent de faire de la femme, en la niant d’une part, et en la stigmatisant d’autant plus au niveau du débat social. Exemple bête : pour ces dames, une femme ne portera jamais une robe/jupe par soucis d’esthétique, mais bien parce qu’elle est dominée et qu’elle subit une pression sociale masculine et masculiniste. Il y a une négation de nombreux facteurs dans de tels discours, un réductionnisme que je trouve assez terrifiant en vérité. Rappelons-nous tous et toutes que combattre l'homme et combattre un système sont deux choses différentes, que l'un en prend plein la gueule pendant que l'autre prospère de ces petites gué-guerres. Il faut rappeler au monde médiatique, politique, social, ce qu'est un féminisme constructif, apartisan, respectueux, pas stigmatisant ni dévalorisant. Il ne faut pas qu'il écrase, il faut qu'il fasse prendre conscience, qu'il développe des consciences. Le revendicatif me paraît stérile, se grandir en dévaluant les autres n'est qu'une illusion de grandeur.
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