Sexualité : le libertinage
Le député Jean Lassalle élu des Pyrénées-Atlantiques et membre du groupe Libertés et Territoires a surpris tous ses collègues de l'Assemblée, au mois de mai 2021, en leur révélant : « les lieux d’échangisme, et de libre échangisme" sont, eux, "restés ouverts pendant le confinement. (...) De très nombreux de nos collègues y avaient leurs habitudes dans des mandats précédents et je ne compte même pas les ministres ». Le député LR Philippe Gosselin, sarcastique : « Il est bien connu que dans ces clubs, on pratique tous les gestes barrières. C'est même d'ailleurs pour ça qu'on y va » !

Ces pratiques sont aussi vieilles que les orgies et bacchanales de l’époque Romaine. La mythologie montrait des scènes condamnées par la morale, et seuls les Dieux pouvaient se permettre la lubricité. Les scènes érotiques se popularisent au XV° siècle sous forme de tableaux suspendus dans des cabinets privés, et au XVIII° siècle avec l'engouement pour la littérature érotique : Restif de La Bretonne, Nerciat, Sade, Laclos. Le « phénomène » libertin est loin d'être marginal, on compte en France 400 clubs échangistes et plus de cinq cent mille couples adeptes du libertinage ! Selon un sondage IFOP (2012), cinq pour-cent des Français et sept pour-cent des Belges auraient déjà pratiqué l’échangisme.
Les hommes sont quatre fois plus nombreux que les femmes à être à l'origine de la proposition, mais 16 % des femmes accepteraient une partie carrée (à quatre) si leur partenaire leur en faisait la suggestion ! Si l'amour est le produit de l'imagination et de l'éducation, les raisons de s'adonner au libertinage (du latin libertinus, affranchi) sont multiples : pimenter sa vie sexuelle - désir de transgression - assouvir sa curiosité - se sentir désiré(e) - témoigner de sa confiance à l'autre - palier une libido en berne - thérapie (sur les conseils d'un sexologue) - se rabibocher (couple qui bat de l'aile) - sentiment de compétition (le mari veut dépasser les prouesses du précédent) - abattre le tabou de l'homme bafoué - bisexualité (latente ou refoulée) - Influence des films pornographiques (remplacer l'actrice par sa propre partenaire) - féminisme (liberté et épanouissement sexuels de la femme) - sentiment d’humiliation (masochisme) - misogynie (dégrader l’image de la femme) - piège (arnaque, chantage, braquage, vol) - « dressage » (préparation à d'autres pratiques) - illusion de garder le contrôle (livrer sa femme dans la crainte d'une infidélité future) - donnant-donnant (l'homme de revendiquer la même liberté).
Les pratiques diffèrent tout autant que les raisons : côte-à-côtisme (faire l'amour à côté d’un autre couple) - candaulisme (l'homme regarde sa partenaire faire l'amour avec un(e) autre) - triolisme - mélangisme (pas de pénétration hors couple) - échangisme (couple hétérosexuel, bisexuel, homosexuel, transgenre) - partouze (sexualité de groupe) - multisexualité (plusieurs partenaires dans un même lieu et en même temps ou à la suite) - Quick-Sex (rapport rapide sans préliminaires) - Sex-friends (rapports sexuels sans lien amoureux) - « Gang-bang » (soumission à un groupe) - recordite (en 1995, une actrice du « X » de 23 ans et adepte de la triple pénétration, a établi 251 rapports aboutis avec 80 hommes, record battu l'année suivante, 300 rapports) - échangisme rémunéré (le sexe finance le sexe). La pratique est onéreuse, droit d'entrée (femme seule 15 Euros, couple 35, homme seul 80, les tarifs varient selon les villes, les prestations (sauna, back-room, licence IV, etc.), le jour et créneau horaire (parfois gratuite pour les femmes seules), tenues sexy (le dress code rejoint parfois le fétichisme), « gadgets », déplacements, passages de petites annonces, abonnements à des magazines. Les hommes représenteraient 51 %, les couples 41 % et les travestis 2 % des clients (D. Welzer).
Avant la « Révolution sexuelle » des années soixante-dix (Peace and Love), les « sex-toys » étaient vendus sous une autre appellation pour contourner l'article sur l'outrage aux bonnes mœurs, et les magazines pornographiques achetés à l'étranger ou vendus « sous le manteau ». Ces années marquent l'âge d'or de l'érotisme et de la liberté sexuelle : ouverture de sex-shops, boutiques de lingerie, sortie du film « histoire d'O » en 1972 suivi d'Emmanuelle au cœur de l'été 1974 (plusieurs millions d'entrées), pilule contraceptive, fermeture des salles de cinéma « porno » en raison de la majoration de la TVA et de la perte des subventions publiques. Les premiers achats d'appareils photographiques de la marque Polaroïd et les caméscopes sont motivés par l'auto-érotisme du couple. Le sentiment d'anonymat offert par le Minitel contribue au développement des « messageries roses » (1982) et au site de rencontre 3615 Ulla (1,29 franc la minute), la chanson « Libertine » de Mylène Farmer figure au Top 10 des meilleures ventes (1987). La société post soixante-huitarde, « Jouir sans entrave », semble vouloir renouer avec les Aphrodites et les Morosophes, une société secrète polissonne décrite par Andrea de Nerciat, dont les sectateurs et sectatrices : « sont des gens dont la sagesse est d'être fous à leur manière ».
Pour Colette, l'« amour n'est pas un sentiment honorable », l'amour et la sexualité n'obéissent ni aux lois ni à la morale. Joseph Kessel précise à propos de Belle de Jour (1928) : « J'ai tenté de montrer le divorce terrible entre le cœur et la chair, entre un vrai, immense, et tendre amour et l'exigence implacable des sens. Ce conflit, chaque homme, chaque femme le porte en soi ». L'ancien ministre DSK a donné sa définition du libertinage : « Ce sont des hommes seuls, des femmes seules, des couples, qui se réunissent pour le plaisir du sexe et pas pour des raisons affectives ». S'agit-il de plaisir ou de la jouissance du dominateur ? L'affaire dite du Sofitel, New-York (mai 2011) semble en attester autrement, Dominique Strauss-Kahn suit l'un des préceptes du Marquis de Sade (1740-1814) : « Le bon plaisir d'un seul a force de loi ».
Le confinement et le développement des plate-formes en ligne ont insufflé un nouveau souffle au libertinage. Certains sites accueillent plus de dix millions de visites par mois (le prix moyen d'inscription est d'une dizaine d'euros), principalement des trentenaires qui partagent des vidéos, des photographies, voire des soirées privées. Pas une grande ville qui n'ait son lieu de drague. Les échangistes parisien(ne)s se retrouvent le samedi soir Porte Dauphine au bas de l'Avenue Foch avant de rejoindre un appartement privé ou loué via un site Internet.
Le libertinage n'est pas perçu par les couples impliqués comme une infidélité, puisque la fidélité repose sur une promesse (contrat moral) et que les choses sont dites et assumées dans le couple. N'est-ce pas une façon de se défausser ? La scène fait penser au rat enfermé dans un labyrinthe qui ne peut suivre que le dédale mis en place par le chercheur. Qui est le manipulé, le rat qui explore un chemin imposé ou celui qui l'a conçu ? Le libertinage génère-t-il une relation de pouvoir et la femme ne serait qu'une poupée de chiffon ou marionnette amoureuse, une femme-objet proche d’une fille publique que l’on prend à loisir ? Au XVIII° siècle Tiphain de La Roche écrivait : « On ne dira jamais cette femme est à moi, car chaque femme sera l'épouse de tous les citoyens, et chaque citoyen sera l'époux de toutes les femmes ».
L’homme peut s'accoupler détaché des sentiments tandis que chez la femme le désir s'entre-mêle avec l’affectif. La manipulation, si manipulation il y a de la part de l'homme, consiste donc à laisser croire à la femme qu'elle est : la maitresse - la confidente - l'amie, bref la femme rêvée et qu'elle seule peut lui apporter cette « complicité amoureuse ». Les féministes vont rugir et ressortir le « moignon » cher à Simone de Beauvoir... C'est un truisme que d'écrire que l'un exige ou supporte toujours plus que l'autre. Plusieurs paramètres sont à prendre en compte en ce qui concerne l'« adhésion » de la femme : son apparence physique, son âge, sa capacité à subvenir à ses besoins, sa sphère familiale et culturelle, la disponibilité (enfants), la fréquence des rencontres libertines et les pratiques tolérées et celles refusées (Tout est permis, rien n'est obligatoire).
Celles qui acceptent ou cèdent le font-elles pour plaire à l'homme ou satisfaire leur propre fantasme ? Même si la passion peut faire « perdre les pédales », de nombreuses femmes éprises refusent de s'offrir à un autre homme. Les choses changent avec la nouvelle génération de femmes biberonnées à Internet et qui revendiquent une sexualité décomplexée (15 % des 14-17 ans regardent un site pornographique au moins une fois par mois). La femme mature qui accepte, conserve non seulement sa capacité de discernement, mais c'est elle qui mène le mâle lui laissant croire qu'il agit de sa propre volonté alors que chacun(e) d'agir selon son tempérament. Nombre de femmes consentantes le seraient pour se livrer à des expériences saphiques ou dénicher un partenaire fortuné et non pour satisfaire le fantasme de leur partenaire !
Les femmes sont les reines des soirées échangistes avec, en moyenne, une femme pour cinq hommes (combien d'orgasmes ?). L'« acceptation » de la femme transgresse le discours féministe mais le pouvoir féminin est bien réel, à l'exemple de ces femmes qui proposent à leur partenaire le pegging (inversion des rôles)... Selon un sondage paru dans Loisir 2000 (N°114), 25 % des hommes se déclarent bisexuels, 27 % en fantasme, et 8 % n'exclut pas de tenter l'expérience... La suite dépend bien souvent du lieu, club hétéro, homo ou mixte. Si dans les clubs hétéros la pratique est encadrée, il n'en va pas de même dans les soirées privées...
Les femmes s’adaptent généralement mieux que les hommes aux soirées libertines. Les femmes affichent un plaisir de circonstance (pas d'orgasme), elles reprochent aux hommes le manque de préliminaires et leur attention dirigée uniquement sur le sexe. Aucune égalité dans ce genre de « plan », la femme circule et aguiche le client, tandis que dans certains clubs selects, l'homme conserve lui ses vêtements de ville jusqu'au moment idoine... Si la femme semble se sacrifier, il n'en est rien. La femme y recherche son plaisir physique, une gratification psychologique voire sonnante et trébuchante... Il faut payer pour disposer d'une prostituée transcendée.
Des établissements en perte de popularité recrutent et rétribuent des « hôtesses ou animatrices » (les poissonnières) ou des escort girls pour compenser le manque de fréquentation. Les notables désertent ces établissements craignant d'y être photographiés à leur insu et de retrouver leurs frasques diffusées sur Internet. A Paris, les libertin(e)s aisé(e)s louent une « péniche » pour naviguer au fil de la Seine, stratagème qui permet la sélection des participant(e)s et protège d'une descente de police soudaine (Smartphone déposés au vestiaire). Autres risques, les infections et maladies sexuellement transmissibles. Les libertin(e)s sont considéré(e)s comme à très hauts risques : herpès - chlamydia - condylomes - gonococcie - syphilis - hépatites - SIDA. Le préservatif masculin ou féminin en latex ou en polyuréthane n'offre aucune garantie, des IST peuvent se propager par contact épidermique et/ou être manu-portées.
La durée de la pratique échangisme porte en moyenne sur six années suivie bien souvent d'une rupture. Certains hommes ne peuvent passer du fantasme à la réalité libertine. Le viatique du libertinage au long-cours ? l'argent, le pouvoir, la fête et le sexe. « Moi, j’aime que ce soit la fête, qu’il y ait une pratique ludique autour de l’acte sexuel » (DSK).
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