Si Vladimir Poutine l’emporte, que deviennent la France et l’Allemagne ?
J'ai eu précédemment l'occasion d'utiliser par trois fois sur Réseau international le livre du géostratège états-unien, d'origine polonaise, Zbigniew Bzrezinski, "Le Grand échiquier" (1997). Intéressons-nous, cette fois-ci, aux conséquences qu’il voyait à l’éventuel échec de ce que j’ai appelé « le coup de bélier » infligé par l’Europe à la Russie, à travers l’Ukraine, et pour le compte des États- Unis.
Nous pouvons envisager, tout d'abord, la perception que Brzezinski avait, il y aura bientôt vingt ans déjà, de la réunification de l’Allemagne et du nouveau rapport de force qui en résultait pour elle et la France :
"Après la réunification, la France était encore plus justifiée de vouloir lier son partenaire dans un cadre européen. Voilà pourquoi, le 6 décembre 1990, le président français [François Mitterrand] et le chancelier allemand [Helmut Kohl] se sont engagés à réaliser l'Europe fédérale, tandis que, dix jours plus tard, à Rome, la conférence gouvernementale sur l'union politique a mandaté - malgré les réserves britanniques - les douze ministres des Affaires étrangères de la Communauté européenne pour élaborer un projet de traité sur l'union politique."
Selon quelle hiérarchie ce soudain renforcement des liens entre les deux pays allait-il s’opérer ? N’en déplaise à nous autres, Françaises et Français, le géostratège n’y va pas de main morte. Après l’union économique, l’union politique, certes :
"Mais entre-temps, tous les paramètres de la politique européenne avaient été bouleversés par la réunification, qui venait sanctionner la défaite, non seulement de la Russie, mais aussi de la France."
Défaite !… non seulement de la Russie, mais aussi de la France !… Dans quel conflit, donc ? Mais, tout simplement, dans la seconde guerre mondiale… Guerre perdue par la France, guerre gagnée par l’Allemagne.
Voici les conséquences de la réunification allemande réussie, telles que les développe Zbigniew Brzezinski :
"Comment désormais considérer l'Allemagne comme un partenaire subordonné de la France, alors qu'elle occupe incontestablement la première place en Europe de l'Ouest et, dans une certaine mesure, est une puissance mondiale, du fait en particulier du poids de sa contribution aux principales institutions internationales ?"
Sur ce dernier point, une note de bas de page achève de nous assommer, nous autres, Françaises et Français :
"Voici, à titre d'exemple, la part de l'Allemagne dans différents budgets. Union européenne : 28,5 % ; OTAN : 22,8 % ; Nations Unies : 8,93 %. L'Allemagne est par ailleurs le premier actionnaire de la Banque Mondiale et de la BERD (Banque européenne de reconstruction et de développement). Cette nouvelle donne a suscité un certain désenchantement mutuel au sein du couple : l'Allemagne est désormais capable de faire valoir sa propre vision pour l'avenir de l'Europe, toujours comme partenaire de la France, certes, mais plus comme protégé."
Prenant le point de vue allemand, Brzezinski développe la thématique désormais ouverte :
"L'heure étant à l'élargissement et à l'unification de l'Europe, la subordination à la France n'offrait aucun bénéfice particulier. L'Allemagne réunifiée jouissant d'atouts bien supérieurs, Paris ne pouvait que se réjouir de la volonté allemande d'une direction équitalement partagée."
Ce qui, bien sûr, ne peut pas être tout à fait le point de vue français… C’est le moins que l’on puisse dire. Et l’auteur enfonce le clou :
"Désormais, c'était au tour de la France d'accepter sans discussion l'option allemande : sur toutes les questions de sécurité, le maintien de liens privilégiés avec l'allié et protecteur transatlantique."
Dès lors, une chose saute aux yeux : pour rétablir un minimum d’autonomie, la France doit faire basculer tout le fardeau de la défaite… sur la Russie. Voilà, s’il faut en croire l’analyse de Zbigniew Brzezinski, d’où sortirait l’acharnement que les autorités politiques françaises mettent depuis un certain temps à hausser le ton face à Vladimir Poutine.
Que celui-ci parvienne à ne pas plier, quelles conséquences en tirer pour le sort de la France elle- même, c’est-à-dire pour le sort d’un grand pays européen qui croyait avoir gagné la seconde guerre mondiale et qui, finalement, l’aura perdue, et qui doit, désormais, faire face à un… vainqueur ? Brzezinski nous met aussitôt en garde :
"Mais, si le processus d'unification et d'élargissement de l'Europe devait s'arrêter, de bonnes raisons incitent à penser qu'une version plus nationaliste du concept d'"ordre" européen apparaîtrait alors en Allemagne, au détriment peut-être de la stabilité du continent."
Que recouvre cette inquiétante formule : « une version (allemande) plus nationaliste (de) l’ordre européen » ?
Avançons-nous encore un tout petit peu dans la lecture que nous avons entamée :
"Ainsi, l'Allemagne n'exercerait plus seulement une prépondérance économique sur la Mittel europa, mais aussi une primauté politique explicite, ce qui lui permettrait de mener une politique plus unilatérale, vis-à-vis de l'Est comme de l'Ouest."
Ainsi que nous le découvrons de plus en plus nettement, il y a bien quelque chose de tel qui commence à pointer le bout du nez dans cette Europe de plus en plus allemande, une vingtaine d’années après la parution de l’ouvrage que je cite. Et sans doute les peuples ne savent-ils pas encore comment reprendre voix au chapitre. Ce n’est pas une raison de désespérer. Il ne peut pas y avoir que la détermination de Vladimir Poutine. Lui-même a besoin d’une France différente.
Dans ce contexte bien précis qui n’est peut-être pas celui que retiendrait l’auteur que j’utilise ici, je ne saurais m’empêcher de citer ce petit paragraphe de Zbigniew Brzezinski :
"Pour improbable qu'il paraisse aujourd'hui, on ne peut pas non plus exclure un grand réalignement en Europe, sous la forme d'un pacte germano-russe ou d'une entente franco-russe. On en connaît des précédents célèbres ! Les deux hypothèses redeviendraient concevables si des blocages insurmontables condamnaient l'unité européenne. Encore faudrait-il que les relations entre l'Europe et les Etas-Unis se détériorent gravement. A cette dernière condition, on peut imaginer divers accommodements entre l'Europe de l'Ouest et la Russie, visant à exclure les Etats-Unis du continent."
L’Allemagne ou la France… L’effet de seuil est considérable… Mais il me semble qu’il ne sera pas inutile d’y réfléchir.
Pour l’occasion, j’invoquerai, avec toute la ferveur nécessaire, la mémoire du patron et ami de Jean Moulin, Pierre Cot, que l’on pourra retrouver ici, et à travers cet adverbe qui dit tout ce qu’il doit dire : http://souverainement.canalblog.com
29 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON