Slutwalks : au moins, ça leur fait prendre l’air…

Le policier canadien Michael Sanguinetti ne savait pas ce qu’il allait déclencher le 24 janvier dernier lorsqu’il eut le malheur de conseiller à des étudiantes, au lendemain d’un viol à l’université York, « de ne pas s’habiller comme des salopes (slut, en anglais) », si elles ne voulaient pas se faire agresser. Ainsi, le mois d’avril dernier a vu naître et se développer les « slutwalks », ou « marches des salopes » dans plusieurs pays, de l’Amérique du Nord jusqu’en Asie. Les organisatrices revendiquent « le droit de porter ce que nous aimons ». Cette mobilisation n’est pas sans évoquer une crise d’adolescence manifestée dans le but de « faire suer Papa » en s’opposant à ses restrictions vestimentaires. Peut-on vraiment prendre ces femmes, majeures et vaccinées, à la sérieuse ?
Nul doute qu’il existe encore chez certains esprits rétrogrades une tendance condamnable à dédouaner les agresseurs sexuels en accusant systématiquement les victimes féminines « d’avoir couru après », en portant des vêtements osés ou en adoptant des attitudes suggestives. Ce travers est-il à ce point répandu que plusieurs femmes et quelques hommes jugent pertinent de se proclamer « salopes » et d’arpenter les trottoirs vêtus comme des filles à matelot afin de dénoncer une épidémie de misogynie aux mains longues ? En Occident, où le dopage statistique et les conceptions simplistes et réductrices sont la règle de toute « sensibilisation » sur les agressions sexuelles (dont les victimes masculines restent à jamais exclues), la question se pose.
Un double discours
Cette nouvelle excentricité, nettement plus déjantée que la Marche mondiale des femmes, m’a rappelé un incident rapporté jadis par un ami. Sirotant une bière dans un club en regardant un couple improvisé évoluer sur la piste de danse, il remarqua que la fille dansait de façon particulièrement langoureuse en se frottant les hanches près de la zone érogène par excellence de son partenaire. Comme celui-ci s’approchait pour l’embrasser, la séductrice le repoussa brusquement. Un moment déconcerté, le gars lui agrippa fermement les deux seins, l’espace d’une seconde, la repoussa à son tour, puis quitta la piste, laissant sa partenaire éberluée.
Choqué, sur le moment, de ce qu’il venait de voir, mon ami voulut intervenir, puis se ravisa. Si l’homme avait agi ainsi envers une femme qui se comportait sans ambiguïté, il se serait interposé. Dans le cas présent, il jugea que la partenaire de danse était partie prenante de ses problèmes. Il finit donc tranquillement sa bière.
En repensant à cette anecdote, le double discours des « salopes » autoproclamées m’a laissé dubitatif. S’il est louable de déculpabiliser les victimes d’agressions sexuelles, on voit mal comment on peut se limiter à condamner seulement les hommes (les éternels méchants de l’histoire) qui considèrent certaines femmes avec convoitise quand celles-ci exigent de pouvoir adopter des comportements provocants sans en assumer les risques. La question vestimentaire est-elle à ce point le nœud du problème, surtout à cette époque caniculaire où il est normal que les gens, hommes comme femmes d’ailleurs, se promènent légèrement vêtus, pour des raisons évidentes de confort et de bien-être ?
Et la prévention, bordel ?
Au-delà de l’aspect vestimentaire, une telle mobilisation balaie le facteur sans doute plus pernicieux évoqué par mon ami : l’attitude équivoque de certaines femmes, qui peut envoyer des messages erronés. Quand donc nos valeureuses militantes opteront-elles pour une approche préventive et responsable en déconseillant ces comportements en porte en faux ? Le fait de dédouaner ce type de femme, sous le prétexte de déculpabiliser toutes les autres, est-il plus acceptable que celui d’absoudre d’éventuels « agresseurs », comme celui de la piste de danse ? Faut-il à la limite, au nom de la cause des femmes, revendiquer pour elles le droit de pouvoir déambuler seules, en G-string et les seins nus à trois heures du matin dans un quartier mal famé aux abords d’un bar louche ? La prévention, n’est-ce pas aussi défendre la cause des femmes ?
Dans la même optique, alors que les directions d’école font des pieds et des mains pour inculquer quelques principes de respect de soi et de prudence à nos adolescentes, par des règles vestimentaires minimales, faut-il trouver sensés, chez des femmes adultes et vaccinées, ces comportements d’adolescentes attardées ? Offrent-elles un modèle auquel les femmes de demain peuvent légitimement s’identifier ? Et ces militantes, s’agit-il des mêmes qui dénoncent avec tant de désarroi l’abîme de perdition de l’hypersexualisation ? Un peu de cohérence serait de mise.
Des hommes en talons hauts
Dans la veine d’infantilisation d’un féminisme déresponsabilisant, une autre initiative pédestre est passée pratiquement inaperçue des médias. Réparons vite cette lacune. Figurez-vous qu’il existe une marche internationale visant la lutte aux agressions sexuelles envers les femmes (envers les gars, bar ouvert !) ayant pour thème Un mille en talons hauts. L’événement en est à sa deuxième édition et consiste à faire marcher – de plus d’une façon - des hommes pendant un mille en escarpins au coût de cinq dollars par participant. L’année passée, une cinquantaine de gogos avaient ainsi paradé à Prescott-Russell, au Québec.
Je ne saurais vous dire d’où origine ce nouvel accès de misandrie, mais chez nous, c’est sans surprise le CALACS de cette riante bourgade qui a « marrainé » l’événement en mai dernier. On ne sait encore combien d’hurluberlus culpabilisés ont jugé pertinent de se manquer de respect au nom de la cause des femmes. À quand une activité où des hommes seront invités à se pisser dessus ?
« Osez le clitoris ! »
Ce n’est pas moi qui le dit, ce sont elles. Avec ce thème, nos cousines françaises sont à l’origine de la manifestation culturelle la plus originale depuis l’avènement du verlan. Quarante ans après la révolution sexuelle, Woodstock, le Flower Power et Sgt Pepper,ces dames relèvent enfin l’ambitieux défi de localiser et d’explorer leur clitoris. Mieux vaut tard que jamais. Comme une femme sur deux en ignorerait toujours l’emplacement, voilà une activité qui pourrait les tenir occupées pour un temps. On ne sait si elles anticipent d’enquêter en marchant, ni si une telle… démarche demeure compatible avec le port du talon haut.
C’est donc dans le dessein fort louable de briser le cycle du séchage, puisque, disent-elles, « l’intimité reste un lieu de pouvoir masculin », que ces militantes surmonteront leur hyposexualisation à la conquête de cet organe « souvent oublié ». Humblement, elles admettent : « on ne sait à quoi il ressemble ni comment il fonctionne »… Ce n’est pas moi qui le dit, ce sont elles. Afin d’élucider cette énigme libidinale, budgets de recherche et campagne de sensibilisation (comprendre ce mot dans une toute nouvelle perspective) leur semblent incontournables. C’est à ce prix que les femmes pourront se prendre en main. L’auto-exploration pourrait s’avérer une solution beaucoup trop simple. J’en chercherais bien d’autres mais pas ce soir, j’ai mal à la tête…
45 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON