Sociétaire ou actionnaire ?
Quand j'ai pu me payer ma première voiture, une Dauphine d'occasion, mon premier trajet a consisté à me rendre au bureau de la Mutuelle d'Assurance en laquelle mon père avait toute confiance et à laquelle il est resté fidèle toute sa vie.
La place était déserte et les formalités n'ont pas duré longtemps, mais quand je suis sorti du bâtiment, un homme qui était plus vieux que moi, mais plus jeune que mon père, sans doute le directeur de la succursale, m'attendait devant ma voiture et il m'a adressé la parole quand il a constaté que j'en étais le propriétaire :
- "Vous avez vu comment vous êtes garé ? Votre roue avant droite chevauche la ligne de sépartaion entre les places de stationnement."
Comme j'étais encore peu expérimenté en matière d'argumentation, et comme ma voiture était la seule présente sur ledit parking qui était vide quand j'étais arrivé, j'ai cru bon de répondre, tel l'agneau de la fable :
- "Mais je ne gène personne : il n'y a pas d'autres voitures !"
Ce à quoi le chevalier sans peur et sans reproche m'a rétorqué pour mettre fin au débat :
- "Monsieur, vous n'avez pas l'esprit mutualiste !"
Tilt ! Fin de la partie !
Par paresse ou par atavisme dû à l'héritage du chromosome de fidélité légué par le génotype de mon pére, non seulemnt je n'ai jamais changé d'assureur, mais j'ai poussé le bouchon jusqu'à y assurer mes biens meubles et immeubles par la suite.
Or, cette semaine, j'ai reçu de ladite mutuelle un message télématique (e-mail pour les anglophones) m'annonçant en ces termes :
"Chère sociétaire, cher sociétaire, nous sommes fiers et émus de vous faire part d’une décision historique de notre mutuelle. Une décision qui s’inscrit dans la droite ligne de nos engagements en tant que société à mission. Une décision militante.
Face à la gravité du dérèglement climatique et de la crise de la biodiversité, face à l’urgence d’agir massivement, nous franchissons un nouveau cap. Nous avons décidé d’allouer désormais 10% de notre résultat annuel à la planète.
C’est ce que nous appelons le dividende écologique. En 2022, cela représentera près de 10 millions d’euros."
Ce texte grandiloquant ("fiers, émus, militants", etc.) n'a pas eu pour effet de provoquer chez moi l'effet recherché d'émotion environnementale, ni l'admiration pour la beauté des sentiments des gestionnaires, pas plus que la compassion pour les mésaventures de la planète, mais il a eu pour effet de m'agacer énormément et de me faire poser des questions auxquelles j'avais déjà confusément les réponses depuis belle lurettre, il faut dire :
- Une décision "historique" peut-elle être prise par un comité restreint de bureaucrates cooptés dans un organisme mutualiste et imposée à des adultes non-consentants ?
- Est-on obligé de gober les inepties de la variante de greenwashing baptisée "dérèglement climatique" et de se laisser manipuler parce qu'on est sociétaire ?
- Une mutuelle ne doit-elle pas redistribuer à ses sociétaires les excédents de gestion au lieu d'appeler "résultats" ce qui ressemble fort à ce qu'on appelle profits dans une compagnie privée qui, elle, redistribue des dividendes à ses actionnaires au prorata de leurs investissements ?
- Un sociétaire est-il un actionnaire ?
- Une mutuelle est-elle un compagnie d'assurances privée ?
Si la réponse à ces questions est "oui", le vieux grincheux du parking avait raison : je n'ai pas l'esprit mutaliste, et je vais de ce pas faire jouer la concurrence en faisant confiance à la "main invisible du marché".
Tant pis pour mon chromosome.
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