Sombres et lumières
Nous sommes à cran, avec l'Ukraine, accrocs à la Syrie, à donf contre Israël, à vif contre l'Europe.. le danger vient de l'Est, à n'en pas douter ; la tempête s'annonce, peut-être une tornade, une tourmente. On mesure la distance, le temps qu'elle mettra à arriver, on glose, on suppute, on a son avis ; on ne pense pas à mettre nos récoltes à l'abri.
On tourne le dos au danger.
On laisse tomber le Grand Souk par delà l' Océan ; ce n'est pas de notre ressort, on n'a rien à en dire. Non, là, il faudrait agir. Et c'est plus compliqué ; on attend de voir, on signe des pétitions contre les grosses manips de gènes, on s'endort sur l'éphémère interdiction de prospecter les gaz, les huiles et autres prometteuses chaleurs, certitudes s'il en fut de notre autonomie énergétique, l'autonomie étant, comme on le voit, notre principale préoccupation ; on moque notre Président, c'est à qui aura le plus beau mot.
Internet est une sacrée foutaise ! Le joujou qu'on donne aux gamins pendant que les pères lutinent. L' Amérique.
On n'est pas dupe ; c'est à se demander si cet éveil a une quelconque utilité. On est piégé, impuissant, complètement débile.
On pense à s'exiler, se cacher, se protéger, quand le truc nous tombera sur le nez nous serons bien avancés.
Nos gouvernements vivent encore sur la force d'inertie de leur grandeur passée ; Pauvre Vieille qui croit encore qu'elle peut séduire, soumettre, punir, annexer, dominer, contraindre ! À cet âge-là, elle n'a plus aucune dignité ni lucidité, elle vend ses bijoux de famille et croit qu'on lui en sait gré. Elle ne gère plus rien et laisse filer ses richesses mais elle est sûre de son gigolo. Pitoyable, le rouge qui déborde de ses lèvres émincées, le fond de teint qui accentue ses rides et sa peau craquelée ; bientôt une momie. Sa mémoire sélective lui rappelle qu'elle fut belle, dompteuse du sauvage, intraitable, fière et ferme donneuse de leçons.
Elle va donc coqueter chez ses anciens amants qui furent ses obligés - beauté et grandeur obligent - mais cocotte en un mot pour qui a l'odorat intact ; elle fuit de partout bien qu'elle bouche ses orifices, pauvre conne qui décocone son vieux savoir, elle gesticule et parle fort comme une pimbêche décatie ! C'est misère de la voir. Sa vue basse, son cerveau ralenti, plus rien ne l'avise de la vérité. Elle ignore même qu'on ne l'enterrera pas en grande cérémonie !
Elle n'a plus de giron, elle est plate et creuse et ça et là sur son corps déformé, des boursouflures ; mais on sait ce que c'est que vieillir dans le déni, et cette grande bourgeoise à force de lifting, à force de se faire croire que s'encanailler garde jeune, finit par prendre des allures de maquerelle, vulgaire et pitoyable.
Quel cauchemar ! Heureuse de me réveiller dans la beauté du monde ; il faut que j'arrête de boire, j'ai cru à un delirium à force de voir grouiller toute cette vermine autour de moi, de battre des mains comme une enragée pour m'en dépêtrer, en vain. L'ambiance était si sombre, avec ces guerres, ces foreuses à tous les coins de bois , ces allers et venues de camions gigantesques, ces tubes, ces tuyaux, ces ventres ouverts. Ces ors, ces verres de champagne renversés sur des nappes dégueulasses, ces bellâtres échevelés qui répondent en haranguant le vide, à quelque appel divin. Ces nains, ces géants laids, braguette ouverte, qui voudraient être pris au sérieux ; ces mains avides qui fouillent des valises pleines de billets, des sacs pleins de pierreries de mauvais goût, ces femmes frigides qui tiennent d'une main ferme le fouet de la jouissance, ces harpies qui crient sus aux hommes et qui ne les sucent que pour satisfaire leur vénalité ; ça et là des veaux aux yeux crevés geignent sans bruit, des chiens écorchés fuient leurs souffrances et des truies entravées pleurent de chagrin. Une foule sombre muette et glacée sort de nulle part par des bouches édentées, et s'enfile pressée dans des tubes transparents qui montent haut au dessus des rubans noirs rayés de parallélépipèdes de toutes les couleurs, filant à toute allure pendant qu'une voix envoûtante, grave et suave, débite en boucle des mots incompréhensibles que personne n'écoute. Sur des écrans géants aux bruits de tonnerre, des corps sont propulsés et se déchiquettent en plein vol, des armes lourdes et noires tombent, déchargées de leurs morts. Ailleurs, des ombres égarées aussi terrifiantes que des scolopendres qui ramperaient en masse entre les bittes d'amarrage d'un port éteint, semblent vouloir envahir l'espace. Jusqu'à ce que le sang coule, choquant une passante interdite. Trop tard.
Accroupies, avachies, des informes psalmodient des mantras venus d'un autre monde tandis qu'indifférentes, des silhouettes élancées jettent un œil derrière elles pour voir si on les regarde. Plus loin des gosses en rangs incertains chamaillent leurs voisins imposés et les adultes qui les jugulent passent devant. Apprentissage de la contrainte, cette image me hante et me vide, terreur sourde de l'obéissance ; je m'agite en mon sommeil.
J'étais en nage, recroquevillée au fond de mon lit sous un édredon qui m'étouffait et juste avant de mourir, dans un cri inhibé je jetai les bras, faisant tomber un vase, faisant fuir le chat, ouvris les yeux et vis ma chambre. Mon cœur battait soulevant ma poitrine, affolé, ma première respiration profonde était un sanglot. Je suais de peur.
Le silence m'étonna ; le soleil était haut déjà et j'ouvris la fenêtre, les oiseaux s'invitèrent avec leurs chants pour accueil ; tout était resté tel que je l'aimais, une brise à peine, frémissait les jeunes feuilles, le ciel était sans tache, humide comme en été, je suis restée longtemps accoudée, incrédule tremblant encore un peu sur mes jambes ébranlées.
Je suis sortie sans trop chanceler, j'ai descendu la rue du village désert et j'ai continué par le chemin qui traverse les champs de blé en herbe et qui monte sur le plateau ; j'ai retrouvé le jardin sauvage d'iris nains, bleu profond et jaune clair, et les pousses d'asphodèles étaient hautes comme une main ouverte. Je prévoyais une biche mais je ne l'ai pas vue ; sous les pins je me suis arrêtée un moment pour sentir leur odeur et de là, je voyais la garrigue toute entière décorée de miroirs s'éteignant en même temps que les dernières gouttes de rosée prisonnières des toiles d'une multitude d'épeires s'évaporaient. Devant moi, une lune pâle se retirait par déférence au soleil. Un cerisier sauvage en fleurs était couvert d'abeilles au labeur, toutes enivrées par leur bourdonnement entêté ; je suis redescendue et je me suis assise sur la pierre d'angle au bord de la vigne ; les bourgeons montraient juste leur vert tendre et leur rose nacré et je me suis désaltérée à leur neuve sève, c'était doux et dense, amer et acidulé, je voulais les goûter tous. J'ai repris ma route ; la mare aux sangliers était pleine d'une eau glauque, plane et lisse , belle comme un solide étrange et dans la boue séchée sur ses bords, les traces des deux ongles de leurs sabots ; j'explorais tous les chemins connus mais je n'ai pas débusqué de lièvre, de poules non plus ni de cochons sauvages dans ce bois sombre hanté de djinns ; j'ai traversé le gué cimenté et j'ai remonté cette zone de marécages insolites, boueuse même en été qui longe une canelière d'un côté et la retenue d'eau de l'autre, et je suis arrivée sur l'anse toujours verte, par le bas, entre deux eaux. J'adorais cet endroit où je venais parfois dormir dans mon hamac pendu aux palétuviers dépités de n'en être pas, mais qui laissaient tomber leurs lianes comme des racines aériennes alors que celles au sol rampaient sur celui-ci en des saillies piège pour les chevaux. Une presqu'île hors monde, un coin où écouter danser les tziganes. Les nuits y étaient bruissantes de cris divers, de grattements sans fin, de chuchotis et de pas, et le sommeil léger, mais au petit matin quand on surprenait un ragondin, quand le jour pas encore éclos réveillait tout le monde, on soupesait le poids de vies invisibles puis tapies endormies par la chaleur montante.
Je marchais sans intention ni but et j'ai repris tout naturellement le raidillon pour m'en retourner sans suivre le même chemin ; la terre rouge de la côte était une anomalie si connue qu'elle ne me surprenait plus guère ; sortie de ce micro biotope humide, sortie des ombres de cette forêt minuscule, je me suis retrouvée en terrain quotidien, foulant le thym et appréciant les taches d'iris comme un cadeau bizarrement coloré sur l'ocre de cette terre aride. Je touchais l'air sur mes joues et les effluves se succédaient, se mêlant souvent en cette odeur chère commune. Des cailloux ripaient sous mes pas dans un bruit sec et court et, coupant droit à l'ouest des vertes vallées de luzerne, soudain, les humains apparurent dans mon souvenir ; Roger dont le bleu était toujours accroché au premier piquet de sa vigne quand je passais et que le soleil était déjà haut ; Mado et Jean comme deux silhouettes éternelles marchant bras dessus bras dessous, lentement, aspirant à cette paix et à ce repos, leur mémoire, leur labeur et leurs joies les enveloppaient dans un halo que je percevais. J'écartais les indésirables, la folle qui me hurlait de tenir mon chien.. et sans l'avoir pressentie, une peine immense me terrassa.
J'avais fait une boucle et j'arrivais dans le vieux village par en haut, derrière l'horloge, sans avoir vu la moindre maison neuve ; la lumière était presque blanche à ce moment et le silence tout normal au loin, se rendit présent avec une pesanteur insoutenable.
L'absence était palpable, oppressante et je ne me souvenais plus : était-ce moi qui n'étais pas partie ? Ou eux qui avaient oublié ?
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