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Accueil du site > Tribune Libre > « Sommet social » des 10 et 11 janvier : l’État de droit (...)

« Sommet social » des 10 et 11 janvier : l’État de droit martyrisé

Hier matin, j'ai assisté - en tant que conseiller du salarié - une salariée à son entretien préalable à licenciement. Femme de ménage depuis moins de deux ans dans un hôtel de grande ville, jamais sanctionnée pour la qualité de son travail, elle créait cependant des soucis à sa patronne. Celle-ci décida en effet très vite de se séparer de cette employée qui avait projeté d'avoir un deuxième enfant et l'avait eu. Elle avait osé enfanter encore sans tenir compte des conséquences néfastes pour l'entreprise...


Rendez-vous compte : la gestion du personnel en serait affectée, il faudrait faire face à des arrêts non prévus de la maman, aux maladies de l'enfant. Tout le monde sait cela : l'ordonnancement du travail est plus aisé quand il s'agit d'un poste tenu par un homme ou une femme débarrassée des affres de la maternité...
C'est ce que devait se dire la gérante, elle-même mère de trois enfants, quand elle appris la grossesse de son employée en CDI. 
Aussi l'invita-t-elle il y a quelques mois à réfléchir sur son avenir professionnel, - dans l'intérêt de l'enfant, bien entendu - lui suggérant qu'il valait mieux concentrer ses attentions sur la venue puis la présence de l'enfant, que le travail était secondaire. Autrement dit, une démission de l'établissement serait très sage. L'employée refusa d'entendre le discours.
 
La gérante sortit son joker en lui proposant une «  rupture conventionnelle », ce machin à casser le contrat de travail mis à la disposition des employeurs par Sarkozy grâce à la CFDT et FO, et qui permet un faux licenciement « amiable » et une mise à charge de Pôle Emploi et des Assedics. Nouveau refus de l'employée, qui ne voyait pas pourquoi il lui faudrait choisir entre son emploi et sa condition de mère. Il lui fallait concilier les deux.
La salariée, en les règles, osa encore demander par écrit à son employeur le bénéfice d'un congé parental. C'en était trop : son employeur la convoqua à un entretien pour un licenciement, à quelques jours des deux ans d'ancienneté de l'employée, pour qu'elle ne perçoivent aucune indemnité légale de licenciement et n'ait qu'un préavis d’un mois... Il n'y a pas de petits bénéfices.
Le jour de l'entretien, après qu'elle lui ait souhaité une bonne année, des griefs multiples et variés plurent, remontant (à défaut du déluge) à 2011, au mépris le plus affiché de la prescription de deux mois... L'arbitraire en guise de rapports sociaux dans l'entreprise.
 
Bien entendu, la salariée sera licenciée. C'est si simple : aujourd'hui, pour partir de l'entreprise, c'est la démission, la rupture conventionnelle ou le licenciement pour des motifs bidons si vous refusez.
 
Mais le MEDEF trouve encore que le licenciement est trop compliqué, trop contrôlé. Il veut pouvoir licencier sans avoir à avancer de motifs. C'est trop fatiguant d'avoir à se justifier. Et en cas de saisie des prud'hommes, c'est aussi trop cher.
C'est tout le sens de la réussite ou non de la dernière réunion du «  sommet social » des 10 et 11 janvier, imposé par le gouvernement pour un « accord historique » entre « partenaires sociaux » sans qu'il se salisse les mains. Car même Hollande s'est rallié à l'idée que les procédures de licenciements sont trop mesquines et les éventuels recours trop chers, ce qui freine l'embauche et défavorise la compétitivité de la France. Salauds de salariés trop protégés !
 
Ce que veut le MEDEF, c'est un avenir en béton armé pour l'employeur : je vire sans motif et sans avoir à me justifier. Et le juge n'a rien à en connaître. Jamais. A la limite, on supprime les conseils de prud'hommes. Toute honte bue, le patronat assure que si ces facilités sont prises, il embauchera. C'est déjà ce que martèlent les chevau-légers du libéralisme médiatique, envoyés spéciaux des apocalypses ordinaires.
 
Allez, on ne licencie plus, on se sépare, dit Parisot, qui serre les fesses pour que la CFDT se joigne à elle. C'est d'un ringard, pour elle, de devoir passer par des procédures ! 
Elle part d'une idée simple : pour engranger des bénéfices, il ne faut plus contracter sur le long terme, mais ponctuellement. Les bras au service de la tête, sans contraintes. Fini le contrat à durée indéterminée. Et puis l'ex-salarié intermittent placé chômeur sur le dos de la collectivité ne pourra refuser des postes proposés, sinon les allocations de chômage seront supprimées.
 
Pour parfaire le bonheur patronal, surtout, il préconise de supprimer tout recours. L'employeur décide de tout et les bras loués se taisent. Plus de codes, plus de droits. On fait confiance en celui qui dit, qui lui-même obéit à la loi du marché. La soumission devient la clé du bonheur à venir. Se soumettre n'est-ce pas aussi être libre ?
 
La réunion des 10 et 11 janvier sera peut-être la réunion de la honte : elle peut accoucher d'une vague de libéralisme sur le contrat de travail, dont pourtant la facilité actuelle de la rupture est déconcertante, tant les contrôles préalables n'existent pas. 
Dans cette partie de poker menteur, c'est l’État de droit qui est en cause. Le patronat ne veut plus de droits accordés aux salariés, plus de recours, quand il faudrait au contraire les accentuer face à l'arbitraire. La généralisation de la précarité sera donc à l'ordre du jour.
 
Que fera la CFDT, très courtisée par le Medef et le gouvernement qui multiplie les amabilités ? (ici et ici).
Car la CFDT est prête à céder, en échange de quatre « droits nouveaux » marginaux qu'elle propose, alors que le patronat exige la possibilité de licencier sans motif, sans recours, de pouvoir baisser les salaires,allonger le temps de travail à sa guise. Les couloirs accueilleront d'étranges conversations syndicales. 
On peut se demander pourquoi les organisations ouvrières se sont prêtées à cette série de réunions initiées par le Président de la République pour décharger son fardeau et masquer son acquiescement à l'air libéral du temps où la lutte des classes n'existe pas... comme l'affirme son ministre Cahuzac.
 
En dernier recours, sans accords syndicaux, le gouvernement « prendra ses responsabilités  »... Des syndicalistes empêcheront-ils François Hollande de dire enfin qui il est ?
 
Le fond de l'air se charge.
 
Léon
 

 


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15 réactions à cet article    


  • colza 8 janvier 2013 20:07

    Alors que Chérèque vient tout juste d’enfiler ses nouvelles pantoufles, ça m’étonnerait que la CFDT fasse une mauvaise manière à Hollande et au Medef.
    Entre gens de droite, il faut bien s’entraider.


    • exocet exocet 8 janvier 2013 20:42
      « On peut se demander pourquoi les organisations ouvrières se sont prêtées à cette série de réunions initiées par le Président de la République pour décharger son fardeau et masquer son acquiescement à l’air libéral du temps où la lutte des classes n’existe pas... comme l’affirme son ministre Cahuzac. »

      C’est peut-être que ces « organisations ouvrières » (syndicats) n’ont plus d’ouvrières que le nom.

      Les syndicats dits « représentatifs » (FO, CFDT, CGT....) admis à ces futures négociations ont une grande majorité d’adhérents fonctionnaires, et maintenant un toute petite minorité d’adhérents salariés du privé....

      De plus, personne ne sait exactement comment sont financés les syndicats français. L’affaire de l’UIMM et ses retraits d’argent liquide à la banque (au moins 15 millions d’euros), a soulevé uun coin du voile, mais à cette occasion ce débat a été vite enterré. 

      A l’origine de cette situation, une loi de 1884 qui autorise les syndicats à ne pas publier leurs comptes. Au départ, ce texte visait à protéger les organisations syndicales contre les appétits du patronat, en protégeant l’identité des ouvriers syndiqués. Dans ces conditions, impossible de savoir précisément combien les syndicats ont d’adhérents et comment ils sont financés. Plusieurs estimations évoquent un financement public global de 40 millions d’euros par an, sous la forme de subventions diverses.

      Sous le premier septennat de F Mitterrand, les gouvernants socialistes s’étaient penchés, avec les syndicats, sur le sort de « ces pauvres intérimaires exploités ».

      Intérimaire à l’époque, j’étais un peu sceptique.
      J’avais raison, mais la réalité avait dépassé tout ce que je pouvais imaginer.
      Cette concertation avait abouti, après avoir constaté que « finalement l’intérim coute trop cher aux entreprises », à un changement dans la règlementation :
      la prime de précarité versée à l’intérimaire était passée de 20% du salaire à 10%.

      Merci le gouvernement socialiste ! Merci les syndicats !

      Aussi, là, pour les discussions sur le contrat de travail et le licenciement, nous risquons d’avoir de belles surprises !


      • exocet exocet 8 janvier 2013 21:30

        Un des rares liens qui subsiste encore sur la toile, vers le rapport d’enquète Perruchot concernant « le financement des syndicats ».

        Du croustillant, plus encore que vous ne pourriez l’imaginer dans vos rêves les plus fous...

        Rapport présenté fin 2012 au gouvernement et enterré en première classe...

        http://www.lecri.fr/wp-content/uploads/2012/02/rapport-perruchot.pdf


        • exocet exocet 8 janvier 2013 21:31

          Pardon, « rapport présenté fin 2011 »


          • leon et paulette leon et paulette 9 janvier 2013 11:11

            merci pour ce lien exocet !


            Léon

          • Max Angel Max Angel 8 janvier 2013 23:27

            Il faut jeter à la poubelle, les principes fondateurs issus du Conseil National de la Résistance, et les acquis sociaux arrachés depuis, en particulier ceux de 1968.

            Conséquence logique de la pensée unique ultra-libérale et de la mondialisation.

            Enfin ! Comment lutter contre les chinois, les indiens et autres vietnamiens ?
            S’aligner sur leurs méthodes de travail et leurs salaires.
            Quand un ouvrier européen reviendra moins cher qu’un ouvrier d’un pays en voie de développement, il y aura ré-industrialisation de nos pays développés depuis trop longtemps.

            Comme « il n’y aurait pas de luttes de classes », dixit le K. usaK, tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles : donc licenciements prévisibles des patrons, chefs d’exploitation et autres cadres, sans indemnités, sans parachute doré, sans tambour ni trompette et sans avertissement. « A l’américaine » : Bonjour Monsieur, Non vous n’entrez pas ! Vous êtes licencié. Votre salaire a été versé sur votre compte. Veuillez rendre vos badges à la sécurité. "

            Tiens ! Je parie que la Madone du Medef va se faire virer fissa.

            A suivre, comme un enterrement, ou comme le réveil des revendications. Aux salariés de choisir.

            Mais ce qui est douloureux, c’est que ces saloperies sont le fait d’un gouvernement qui ose se prétendre socialiste. La honte !


            • leon et paulette leon et paulette 9 janvier 2013 11:09

              salut Max !

              Léon

            • TSS 9 janvier 2013 10:14

              @l’auteur

              Vous oubliez la demande la plus saugrenue du MEDEF via Parisot !

              En cas d’echec,en 1ère instance ,aux prud’hommes,Parisot demande le droit de changer

               les motivations de licenciement en cours de procédure !! avec ça le salarié n’aurait plus

               aucune chance.... !!


              • leon et paulette leon et paulette 9 janvier 2013 11:08

                oui, vous avez raison sur l’info, TSS !!! incroyable ! des motivations à géométrie variable : « oh pardon avec les premières je n’ai ^pas gagné, j’en essaie d’autres ! »


                Léon

              • ZEN ZEN 9 janvier 2013 10:26

                Etat de droit martyrisé, mais business libéré !... smiley


                • leon et paulette leon et paulette 9 janvier 2013 11:06

                  très bon, Zen !!

                  Léon

                • ZenZoe ZenZoe 9 janvier 2013 11:14

                  @Léon, mari de Paulette
                  Vous savez aussi bien que moi que la salariée qui va être licenciée pourra, en étant soutenue par une association, traîner l’employeur aux Prudhommes pour licenciement abusif, et elle aura bien raison, et elle ne devrait pas avoir beaucoup de peine à gagner son procès puisque vous dites que l’employeur n’avait aucun grief contre son employée et à fortiori aucune preuve, et sa victoire sera une décision juste. Si l’employée ne souhaite pas réintégrer l’entreprise, j’espère que les indemnités suivront. Votre histoire, parce qu’elle est tellement manichéenne, est une bien mauvaise illustration des conflits opposant employeurs et salariés.


                  • leon et paulette leon et paulette 9 janvier 2013 13:56

                    hello ZenZoe !

                    merci de votre message.
                    mais vous savez aussi bien que moi :
                    . qu’une salariée qui est licenciée a du mal à retrouver du travail... 
                    . que payée au smic, il ne lui reste que peu de « réserve » pour pouvoir s’offrir les services d’un avocat, d’autant que ses éventuels dommages intérêts (elle a moins de deux ans d’ancienneté) seront très limités (ici, ce serait maxi l’équivalent de deux mois... or, les coûts de « procès » seront supérieurs !))

                    si, vraiment, l’histoire rapportée est exemplaire : elle montre que les femmes sont très exposées aux destructions de contrat de travail, qu’elles subissent une punition dans l’entreprise à cause de la maternité, et que l’employeur, ici aussi, vire sa salariée avant les deux années d’ancienneté, qui sont le point de départ d’indemnités plus sérieuses et d’éventuels dommages-intérêts substantiels en cas de recours. Le licenciement gratuit dans toute sa splendeur.
                    bonne journée
                    Léon




                  • ZenZoe ZenZoe 9 janvier 2013 17:34

                    Je persiste et signe.
                    Le cas que vous évoquez est absolument sans équivoque : il s’agit d’un abus patent de la part d’un employeur. Il y a la justice pour cela et tant mieux. Il n’illustre pas ce qui ne va pas entre employeurs et salariés.

                    Les syndicats assimilent la flexibilité avec le contournement des lois et l’exploitation de la main-d’oeuvre, et les employeurs avec la possibilité de pouvoir embaucher et licencier plus facilement, c’est un dialogue de sourds. On ne parle pas de la même chose.
                    Un patron accablé de dettes et un patron abusif, ce n’est pas du tout la même chose !

                    Un employeur qui connait des difficultés financières ou dont un salarié ne donne pas satisfaction (et il y en a des mauvais salariés, comme il y a des employeurs abusifs !) devrait pouvoir se séparer d’un trop-plein sans être assigné aux prudhommes dans 2 cas sur 3 - et être condamné la plupart du temps à des indemnités qui vont enfoncer encore plus son entreprise et menacer le reste des employés - c’est un cercle vicieux !
                    En revanche, un salarié licencié doit pouvoir bénéficier d’un accompagnement sérieux et efficace pour retrouver un travail et d’un revenu garanti par notre système social, ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui !

                    A mon avis, en voulant tout mettre sur le dos des petits patrons, on se trompe de cible et on aggrave la situation. Le véritable problème, ce sont les banques et les grands donneurs d’ordre, tentaculaires, fraudeurs, opportunistes, installés ailleurs pour la plupart, qui étranglent le pays. Ce sont eux qui doivent être muselés.


                  • JijiMaman 26 mai 2018 23:32

                    J’ai lu ici que quand je choisi un congé parental à temps partiel l’employeur qui décide l’horaires de travail est-ce vrai ?

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