Rendez-vous compte : la gestion du personnel en serait affectée, il faudrait faire face à des arrêts non prévus de la maman, aux maladies de l'enfant. Tout le monde sait cela : l'ordonnancement du travail est plus aisé quand il s'agit d'un poste tenu par un homme ou une femme débarrassée des affres de la maternité...
C'est ce que devait se dire la gérante, elle-même mère de trois enfants, quand elle appris la grossesse de son employée en CDI.
Aussi l'invita-t-elle il y a quelques mois à réfléchir sur son avenir professionnel, - dans l'intérêt de l'enfant, bien entendu - lui suggérant qu'il valait mieux concentrer ses attentions sur la venue puis la présence de l'enfant, que le travail était secondaire. Autrement dit, une démission de l'établissement serait très sage. L'employée refusa d'entendre le discours.
La gérante sortit son joker en lui proposant une «
rupture conventionnelle », ce machin à casser le contrat de travail mis à la disposition des employeurs par Sarkozy grâce à la CFDT et FO, et qui permet un faux licenciement « amiable » et une mise à charge de Pôle Emploi et des Assedics. Nouveau refus de l'employée, qui ne voyait pas pourquoi il lui faudrait choisir entre son emploi et sa condition de mère. Il lui fallait concilier les deux.
La salariée, en les règles, osa encore demander par écrit à son employeur le bénéfice d'un
congé parental. C'en était trop : son employeur la convoqua à un entretien pour un licenciement, à quelques jours des deux ans d'ancienneté de l'employée, pour qu'elle ne perçoivent aucune indemnité légale de licenciement et n'ait qu'un préavis d’un mois... Il n'y a pas de petits bénéfices.
Le jour de l'entretien, après qu'elle lui ait souhaité une bonne année, des griefs multiples et variés plurent, remontant (à défaut du déluge) à 2011, au mépris le plus affiché de la prescription de deux mois... L'arbitraire en guise de rapports sociaux dans l'entreprise.
Bien entendu, la salariée sera licenciée. C'est si simple : aujourd'hui, pour partir de l'entreprise, c'est la démission, la rupture conventionnelle ou le licenciement pour des motifs bidons si vous refusez.
Mais le MEDEF trouve encore que le licenciement est trop compliqué, trop contrôlé. Il veut pouvoir licencier sans avoir à avancer de motifs. C'est trop fatiguant d'avoir à se justifier. Et en cas de saisie des prud'hommes, c'est aussi trop cher.
C'est tout le sens de la réussite ou non de la dernière réunion du « sommet social » des 10 et 11 janvier, imposé par le gouvernement pour un « accord historique » entre « partenaires sociaux » sans qu'il se salisse les mains. Car même Hollande s'est rallié à l'idée que les procédures de licenciements sont trop mesquines et les éventuels recours trop chers, ce qui freine l'embauche et défavorise la compétitivité de la France. Salauds de salariés trop protégés !
Ce que veut le MEDEF, c'est un avenir en béton armé pour l'employeur : je vire sans motif et sans avoir à me justifier. Et le juge n'a rien à en connaître. Jamais. A la limite, on supprime les conseils de prud'hommes. Toute honte bue, le patronat assure que si ces facilités sont prises, il embauchera. C'est déjà ce que martèlent les chevau-légers du libéralisme médiatique, envoyés spéciaux des apocalypses ordinaires.
Allez, on ne licencie plus, on se sépare, dit Parisot, qui serre les fesses pour que la CFDT se joigne à elle. C'est d'un ringard, pour elle, de devoir passer par des procédures !
Elle part d'une idée simple : pour engranger des bénéfices, il ne faut plus contracter sur le long terme, mais ponctuellement. Les bras au service de la tête, sans contraintes. Fini le contrat à durée indéterminée. Et puis l'ex-salarié intermittent placé chômeur sur le dos de la collectivité ne pourra refuser des postes proposés, sinon les allocations de chômage seront supprimées.
Pour parfaire le bonheur patronal, surtout, il préconise de supprimer tout recours. L'employeur décide de tout et les bras loués se taisent. Plus de codes, plus de droits. On fait confiance en celui qui dit, qui lui-même obéit à la loi du marché. La soumission devient la clé du bonheur à venir. Se soumettre n'est-ce pas aussi être libre ?
La réunion des 10 et 11 janvier sera peut-être la réunion de la honte : elle peut accoucher d'une vague de libéralisme sur le contrat de travail, dont pourtant la facilité actuelle de la rupture est déconcertante, tant les contrôles préalables n'existent pas.
Dans cette partie de poker menteur, c'est l’
État de droit qui est en cause. Le patronat ne veut plus de droits accordés aux salariés, plus de recours, quand il faudrait au contraire les accentuer face à l'arbitraire. La généralisation de la précarité sera donc à l'ordre du jour.
Que fera la CFDT, très courtisée par le Medef et le gouvernement qui multiplie les amabilités ? (
ici et
ici).
Car la CFDT est prête à céder, en échange de quatre «
droits nouveaux » marginaux qu'elle propose, alors que le patronat exige la possibilité de
licencier sans motif, sans recours, de pouvoir
baisser les salaires,allonger le temps de travail à sa guise. Les couloirs accueilleront d'étranges conversations syndicales.
On peut se demander pourquoi les organisations ouvrières se sont prêtées à cette série de réunions initiées par le Président de la République pour décharger son fardeau et masquer son acquiescement à l'air libéral du temps où la
lutte des classes n'existe pas... comme l'affirme son ministre Cahuzac.
En dernier recours, sans accords syndicaux, le gouvernement «
prendra ses responsabilités »... Des syndicalistes empêcheront-ils François Hollande de dire enfin qui il est ?
Le fond de l'air se charge.
Léon