Soulevez-vous
Quand une simple pubicité télévisée met en émoi un citoyen ordinaire et fait ressurgir des inquiétudes sur le futur de la jeunesse actuelle.

Un peu plus tôt cette semaine, une publicité de la banque Société Générale m'a fait bondir intérieurement. Il faut dire que ç'aurait été un peu idiot de bondir pour de vrai alors que j'étais seul dans mon logement. La publicité, télévisée, met en scène un trio de minettes qui viennent visiblement de réussir au baccalauréat. Toutes les trois… ben oui, c'est une pub ; ils vont pas y mettre une cloche qui échoue ! « Visiblement » parce qu'on les voit devant un panneau d'affichage, dans une ambiance typique de résultats du bac. Ne m'en demandez pas plus, c'est une pub.
Passé l'instant d'euphorie – très court, l'instant… je rappelle que c'est une pub au cas où ce ne serait pas encore intégré – l'une des minettes fait un peu la gueule et les deux autres de la rassurer dans une attitude très moderne, l'air de dire « T'inquiète pas, tout se passera bien. »
Ayant la flemme de sortir mon magnétophone pour enregistrer la pub en question d'autant que cette dernière ne mérite pas un tel tracas, je raconte très mal l'histoire. Je suis sur que la SocGen ne m'en voudra pas, du moins, pas en raison de mes talents de conteur. Pour ceux d'entre vous qui, comme moi, n'ont pas encore eu l'intelligence de bazarder leur téléviseur, vous la verrez nécessairement. Pour les autres, vous n'avez rien raté. Mais il y a des raisons d'être inquiet. Et c'est parce que je le suis que je me fends de quelques mots sur une banque somme toute banale.
Dans le « Tout se passera bien. », il faut comprendre « La Société Générale pourvoira » (notez la paraphrase, toute intentionnelle, un brin religieuse). Et effectivement, la pub de quelques secondes se termine par un message incroyablement rassurant qui dit clairement que la Société Générale et Oséo s'associent pour offrir aux jeunes bacheliers des « prêts étudiants ». Oséo, la banque des PME. Son site web annonce : « financement de l'innovation et de la croissance des PME ». Euh, un jeune, c'est une PME ? C'est la bouteille à encre, cette histoire.
Quand j'ai vu et entendu « prêts étudiants », mon sang n'a fait qu'un tour. Mon cerveau s'est mis en branle pour assimiler le concept, mon estomac a protesté à l'évocation du modèle américain, mon hippocampe – peu importe lequel – m'a ressorti les souvenirs de mes petits boulots à Nantes. Je vous fais grâce du reste de mes réactions physiologiques et je dirai simplement que j'ai été… interpellé, pour faire dans l'euphémisme. Plonge, livraison de Ouest France aux abonnés, agent d'accueil dans les parkings de Nantes, etc., j'ai eu des petits boulots comme tant d'étudiants, avant que la bourse de thèse et la charge de monitorat ne me procurent un peu d'air pour respirer sur le plan matériel. J'aurais même pu devenir videur mais je ne devais pas avoir la bonne quantité de muscles à l'époque. Videur, pas violeur.
Je suis choqué non pas par l'existence des prêts étudiants, mais par le fait que cela devienne suffisamment "mainstream" pour faire l'objet d'une pub télévisée. Ce que je sais du coût des écrans de publicité me pousse à m'interroger. Oui, la situation économique est grave mais est-ce auprès des bacheliers qu'il faut aller chercher une certaine rentabilité ? Est-ce là le nouveau « relais de croissance » que le marché mâture des banques a trouvé ?
Bis repetita, je suis tombé ce jour sur une pub de LCL dans la même veine. Même cible et même produit : les jeunes à l'orée des études supérieures et des prêts étudiants. Cela m'a décidé à écrire ceci.
Il y a un an et quelques mois, je travaillais encore chez (pas "pour") PSA à Sochaux, quinze kilomètres au sud. Je touchais environ 2290 euros nets mensuels. Je ne sais pas ce que cela m'aurait permis d'acheter comme bien immobilier mais probablement même pas le logement social dans lequel j'ai depuis emménagé, surtout en tenant compte du prêt pour mon véhicule. Entre parenthèses, je trouve l'immobilier horriblement cher en France et je trouve qu'il faut être incorrigiblement optimiste ou confiant (je ne suis ni l'un ni l'autre) pour « acheter ».
Comme mon ancien collègue et maintenant ami avec qui je travaillais en équipe chez PSA, j'attends la prochaine révolution française. Lui et moi avons eu quelques discussions où on s'est rendu compte qu'on se posait la même question : « quand est-ce que ça pète ? ». Car, soyons sérieux, le niveau de salaire qui permettait il y a trente ans de s'acheter un logement décent vous permet aujourd'hui de ne pas vous faire jeter de chez le concessionnaire Dacia (j'exagère à peine). D'ailleurs, mon acolyte m'a donné son exemple qui tue : sa grand-mère, simple ouvrière à l'époque, dispose à Paris d'un logement acheté par les deniers conjugaux et dont la valeur est maintenant telle – par la force des choses – que lui, cadre dans l'informatique ne pourrait jamais s'offrir cette maison même avec deux épouses ayant le même niveau de salaire que lui. Attention, je ne dis pas qu'il a deux épouses, hein !
Après la charge du système de retraite qu'il faut porter, après l'immobilier (dont les prix me donnent le tournis, je ne sais pas ce qu'il en est de vous) souvent devenu inaccessible aux primoaccédants, après le poids de la dette publique (vous rêviez-vous endetté à 90,6% ? Non ? Trop tard !), il faut maintenant que les jeunes soient entravés dès avant le début de leur vie professionnelle ? Parce que continuer de payer les traites de son emprunt immobilier alors qu'on est déjà à la retraite (si on n'est pas mort avant, vu le recul du fameux âge de la retraite), ce n'est pas assez noir comme perspective ? Je me demande où on va ainsi. Mais surtout, « quand est-ce que ça pète ? »
Car, cette même semaine où la Société Générale lançait (je suis un téléspectateur assez assidu même si, pissant habituellement du code devant la TV, je ne suis pas le plus attentif) sa pub, j'ai lu ceci. Une vie à crédit. Sur tous les plans (de nouveau, j'exagère à peine). Est-ce ça qui est prévu pour les djeuns ? Y a-t-il même quelque chose de prévu pour eux ?
Quand est-ce que les jeunes se décident à tout faire péter ? Vraiment. Je veux dire « réagir », « ruer dans les brancards », faire quelque chose même si ce n'est que protester à l'image du Printemps Érable.
PS : la pub SocGen est dispo sur YouTube… Esprit djeun's, quand tu nous prends. En même temps, le score "J'aime"/"Je n'aime pas" fait rouge mine. Comme d'hab' sur YouTube, l'altitude de croisière des commentaires défie celle des têtes de lecture des disques durs.
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