Soumission et je suis Charlie

Soumission, le livre de Michel Houellebecq est sorti par un curieux hasard, nullement illogique, au moment des tragiques événements de Charlie Hebdo.
Du coup, un de ses traits majeurs, l’humour, a été assez largement ignoré, - il ne faut surtout pas lire ce livre au premier degré-, dans la plupart des commentaires qu’il a suscités. Ce livre comprend aussi un certain nombre de réflexions sur ce que l’on peut résumer par l’état de la France, d’une profondeur qui a amené le système à élever un contre feu. Parfois inquisitoire dans des interviews menées par des valets patentés du système. Notamment un à qui Houellebecq a pourtant réservé une place honorable dans son livre.
Soumission comporte aussi, il faut le dire, des choses déplaisantes. Notamment la vision des femmes de l’auteur, quand bien même il concède qu’il y a des femmes très intelligentes et qu’il ne soit pas plus tendre avec les hommes. Dont il montre qu’ils ont besoin de s’appuyer sur un système pour dominer la femme. Il y a d’ailleurs des théories qui associent le succès de l’Islam à cela et même à l’attrait de la polygamie.
La soumission dont il est question est celle qui s’applique devant une religion. Ceci est présenté par l’auteur comme un chemin logique de notre société décadente vers la nécessaire cohésion de sa communauté humaine et l’établissement d’un ordre inégalitaire. Au moment de la sortie de ce livre, à la suite de l’horrible attentat de Charlie Hebdo qui comporte beaucoup de zones d’ombres sur lesquelles a été jeté le voile de l’oubli, la naturelle réaction populaire de compassion et de protestation a été récupérée sous la forme de « Je suis Charlie » par le système. Bien que tout le monde n’ait pas été dupe, cela a tout de même pris la forme d’une soumission au régime.
Soumission
Parmi les réflexions remarquables, dans le sens littéral mais aussi comme témoignages de la finesse d’analyse de l’auteur, que ce livre comporte, on en notera quelques unes qui montrent une bonne capacité de jugement sur notre situation de déclin et notre monde politique. Houellebecq n’utilise pas le faux fuyant du pseudo fictif. Il nomme directement les personnes et les organisations.
Dans la logique qu’il décrit du passage d’une situation de déclin par pertes de valeurs à la solution de type religieux qui s’impose, il y a deux éléments majeurs :
La perte du fondement religieux de notre société, sa référence chrétienne en l’occurrence, et la dissolution de la notion de Patrie. Ainsi que l’exprime la déclaration d’un de ses personnages clés, Rediger, brillant analyste et opportuniste accompli : « La Révolution française, la République, la patrie… oui, ça a pu donner lieu à quelque chose ; qui a duré un peu plus d’un siècle. La chrétienté médiévale, elle, a duré plus d’un millénaire…. ». La valeur de la religion comme facteur de cohésion est ainsi introduite. Et la Patrie s’est perdue pour avoir été trop utilisée notamment dans la guerre absurde et terrible de 14-18 ainsi que d’avoir été trahie également. Le sursaut de la résistance en 1940 et de l’après guerre est un peu oublié. Pourtant cela montre qu’un redressement et une relance sont possibles sur cette base nationale et patriotique, n’excluant pas le respect d’une certaine démocratie.
Et la trahison des hommes et des partis politiques. Avec deux passages majeurs de son livre sur ce thème, citations : « En plus il y a l’Europe, et c’est le point fondamental. Le véritable agenda de l’UMP, comme celui du PS, c’est la disparition de la France, son intégration dans un ensemble fédéral européen. Ses électeurs, évidemment, n’approuvent pas cet objectif ; mais les dirigeants parviennent, depuis des années, à passer le sujet sous silence. » Puis la trahison accomplie : « L’information éclata, en effet, peu après quatorze heures : l’UMP, l’UDI et le PS s’étaient entendus pour conclure un accord de gouvernement, un « front républicain élargi », et se ralliaient au candidat de la Fraternité musulmane. » Il y a aussi la médiocrité des hommes politiques : « Ce qui est extraordinaire chez Bayrou, ce qui le rend irremplaçable » « c’est qu’il est parfaitement stupide, son projet politique s’est toujours limité à son propre désir d’accéder par n’importe quel moyen à la « magistrature suprême » … il n’a jamais eu, ni même feint d’avoir la moindre idée personnelle ; à ce point c’est tout de même assez rare. ».
Cela laisse le champ libre à un homme politique intelligent disposant d’un projet. C’est ainsi qu’est décrit Ben Abbes le candidat à la présidence du parti de la Fraternité musulmane, ainsi présenté : « Ben Abbes est en réalité un homme politique extrêmement habile, sans doute le plus habile et le plus retord que nous ayons eu en France depuis François Mitterrand ; et, contrairement à Mitterrand, il a une vraie vision politique. »
Au passage il souligne l’incapacité de certains opposants laïcs d’aujourd’hui à acquérir une vraie crédibilité : « Sous l’impulsion de personnalités aussi improbables que Jean-Luc Mélenchon et Michel Onfray… »
Le recours à des personnes et mécanismes réels dans cette fiction lui donne une profondeur qui s’apparente à l’œuvre d’Orwell. Mais cela reste de la littérature et non un développement philosophique.
Il est à noter que dans le livre cette conversion générale à l’Islam est totalement opportuniste et sans véritable adhésion à une foi. Cela permet à l’auteur de donner une définition volontairement amusante des islamogauchistes : c’est « une tentative désespérée de marxistes décomposés, pourrissants, en état de mort clinique, pour se hisser hors des poubelles de l’histoire en s’accrochant aux forces montantes de l’histoire. ». Comme on dit, on laisse la responsabilité de cette description à l’auteur. Connaissant la haute opinion d’eux-mêmes que ceux-là ont, c’est tout de même amusant.
La domination
Mais si le rôle de la religion est bien vu, Houellebecq passe un peu à côté du fond. C'est-à-dire que la religion, ici des branches de l’Islam, est utilisée stratégiquement par les monarchies pétrolières comme vecteur de puissance et de pouvoir. Dans leur mainmise coloniale sur le Moyen Orient les anglais ont utilisé le wahhabisme et les frères musulmans. Ce sont deux formes extrémistes de l’Islam basées sur une lecture propre du Coran qui comporte, pour eux, la nécessité de convertir par la force et d’éliminer physiquement les incroyants. Ce qui est très pratique pour faire régner l’ordre dans le cadre d’une loi moyenâgeuse, la Charia, qui justifie les inégalités fondamentales. Dont le pouvoir de l’homme sur la femme, le retour à la cellule familiale sous le patriarcat et vue dans un sens étroit. Par ailleurs l’aspect universel de la religion comporte une part de justification de la mondialisation. Et il y a des analystes qui ont mis en évidence la compatibilité de ce type d’Islam avec le néo libéralisme.
Les attentats de Charlie Hebdo nous plongent dans l’ambigüité de la position de nos dirigeants politiques vis-à-vis de l’islam wahhabite et des frères musulmans. Les auteurs officiels de ces crimes sont effet présentés comme ayant été manipulés par la branche d’Al Qaeda au Yémen. Or cette organisation y est utilisée là-bas par l’Arabie saoudite et les USA contre le mouvement Ansarallah, l’armée yéménite et des forces populaires. On sait aussi que sur la base de cette mouvance extrémiste la France a formé des mercenaires qui sont intervenus en Libye pour initier les mouvements anti Kadhafi.
Il y a bien une empreinte politique et non purement religieuse dans tout cela.
Le juste mouvement populaire de réaction aux attentats, qui aurait pu prendre un aspect patriotique, a été dévoyé vers une caricature, « Je suis Charlie », imposée aux manifestations, non sans que beaucoup de gens ne s’y soient laisser prendre [c’est en effet un peu gros de vouloir faire passer Charlie Hebdo pour le symbole de la liberté d’expression]. Mais cela a tout de même donné lieu à la démonstration d’une domination, exercée par le pouvoir politique, qui a permis la récupération des mouvements de réaction, sur le plan politique, par les gouvernants européens.
Conclusion
Houellebecq n’ignore pas cela puisqu’il dit que Ben Abbes à un vrai projet politique. Qui est au centre de son islamisation des institutions. La soumission est donc bien l’expression d’une domination que le système impose aux peuples en se servant de la religion. Cela n’a rien de nouveau.
La « politique » investit ainsi les domaines : du spirituel, de la philosophie, mais aussi de la science où dans peu de temps à l’occasion du COP21 par exemple, Hollande va nous faire croire qu’il peut agir sur le climat. Et en premier lieu, celui de l’économie.
Alors que celle-ci devrait être au service du développement de l’humanité pour la satisfaction de ses besoins notamment, le système complexe de pouvoirs d’essence financière et sous forme de cercles d’influence, impose un modèle économique de nature néo libérale qui implique l’asservissement des peuples et leur exploitation.
L’exemple grec est là pour démontrer qu’une structure hors de tout contrôle démocratique, la Troïka, s’impose à la volonté d’un peuple comme le formalise le ministre allemand de l’économie Wolfgang Schäuble. Ajoutons que ce modèle économique imposé a conduit la Grèce à la ruine.
Si l’on en revient à la France, le peuple français est donc bien confronté à une domination venant d’un système partiellement mondialisé, anglo-saxon en fait, bien que les USA soient aussi dans un état spécifique d’influences dominatrices, auxquels les dirigeants politiques sont eux-mêmes soumis.
Si l’on veut bien y réfléchir deux éléments fondamentaux tels que le fiasco, qui est en train de se confirmer, du système économique dominant, le néo libéralisme qui met l’économie mondiale à l’arrêt comme le soulignent des économistes non intégrés, ainsi que le décalage de plus en plus grand entre le discours politique officiel et l’agenda réel, comme le souligne le livre, rendent nécessaire une totale domination sur les gens et les peuples.
Il n’y avait donc finalement pas un si grand hasard dans la rencontre entre Soumission et Je suis Charlie.
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