StopCovid ou un pas supplémentaire dans l’étau numérique : de la lutte sanitaire au contrôle de nos itinéraires et de nos pensées ?
StopCovid ou un pas supplémentaire dans l’étau numérique :
De la lutte sanitaire au contrôle de nos itinéraires et de nos pensées ?
Dimanche de Pentecôte, celui où l’Esprit Saint descend et nous apporte sa force pour illuminer les consciences, selon l’Évangile chrétien… Pendant ce temps, la Police du très chrétien Trump charge les manifestants de balles de couleur, grenades assourdissantes, bombes lacrymogènes, les cerne autour de places publiques, les accule pour les diviser dans des quartiers résidentiels, les pourchasse jusqu’au pas des portes, les arrête… Policiers transformés en chiens de meute à la poursuite des hommes, hommes animés d’une juste colère devant l’agonie d’un pauvre gars étouffé sous le genou d’un sadique que l’État ne punira pas. Policiers contre hommes, policiers traquantles hommes qu’il faudrait plutôt apaiser…
Rien à voir, bien sûr, mais pendant ce temps aussi, en France et ailleurs, on développe des applications de « tracking », du genre de « StopCovid » afin, dit-on, de lutter plus efficacement contre l’épidémie — une épidémie qui semble s’éteindre en ce moment — en isolant plus vite les malades et les gens qu’ils ont pu contaminer. Tout cela est fort beau ; comment s’insurger contre un tel outil, s’il peut nous permettre de rester libres et de sauver des vies ? L’Assemblée et le Sénat l’ont donc approuvé des deux mains, malgré la forte incidence qu’il peut avoir sur le respect de la vie privée comme sur celui du secret médical.
Fort beau, mais il y a quand même un léger malaise…
Pourquoi ?
Tout d’abord, parce qu’on sait que ces applications ne marchent pas à l'heure actuelle ; toutes les expérimentations menées le prouvent, par exemple en Australie où l'appli, malgré quatre millions de téléchargements, n'a détecté qu'un seul cas, ce qui fait bien rire les Australiens. Ensuite, parce qu’on pourrait très bien utiliser des moyens non automatisés et non numériques, qui seraient plus sûrs et plus efficaces qu’une appli expérimentale, comme une simple plateforme téléphonique à laquelle les gens communiqueraient la liste des personnes avec lesquelles ils ont eu un contact rapproché (plus de quinze minutes à moins d’un mètre), ou s’engageraient à les appeler eux-mêmes ; car tout de même, quinze minutes à moins d’un mètre, on s’en souvient, et le souvenir humain est encore un peu plus fiable qu’une technologie balbutiante fondée sur une détection bluetoothplus ou moins inter-opérable avec les systèmes existants.
Donc, primo, ce n’est pas StopCovid qu’il faut utiliser pour être efficaces dans la lutte contre l’épidémie. L’humain paraît beaucoup plus fiable et il ne faudrait pas lui substituer une stratégie numérique fort incertaine ; en bref, ne comptez pas sur StopCovid pour prévenir vos amis à votre place, c’est là qu’il y aurait danger. L'application ne paraît potentiellement utile que pour les personnes qui restent en contact étroit et prolongé avec des gens qu'ils ne connaissent pas, au travail, dans des événements collectifs ou dans les transports publics par exemple.
Secundo, si nous n’avons pas, ou peu, besoin de ce genre d’applications, en revanche, il est fondamental d’avoir conscience que ce genre d'applications a besoin des hommes pour être expérimentées, développées, comme le rappelle fort justement la philosophe Valérie Kokoszka, dans une récente tribune[1].
En conclusion, on peut donc raisonnablement penser que cette expérimentation ne servira surtout, au fond, qu'à leur perfectionnement, qui pourra lui-même être utilisé plus tard à d'autres fins, comme le traçage de nos relations, faits et gestes, itinéraires individuels... et pensées.
Car n’oublions pas que quand une application sait, recoupe et analyse qui vous fréquentez, elle peut aussi cerner vos opinions et pensées, même si vous ne les exprimez pas via internet. Il n’y a rien de plus contagieux qu'une idée, une idée est à peu près aussi contagieuse qu’un virus, et Stop-covid pourrait bien devenir un jour Stop-idée...
Imaginons, maintenant, que l'on développe un jour de telles applications sur tous les habitants, hors volontariat, ce qui sera bientôt possible avec les technologies 5G puis 6G par satellites, combinées avec celles de géolocalisation et de reconnaissance faciale — que l’on développe sans nous demander notre avis et qui pourront, en s’associant, détecter l’historique des contacts physiques de chaque individu — ; alors, il n'existera plus aucun moyen, même si l’on éteint son téléphone et internet, d'échapper à ce tracking de nos itinéraires et de nos pensées.
Or, nos pensées peuvent intéresser beaucoup de monde : les gouvernants, pour éviter la contestation, influencer le vote démocratique, étouffer toute désobéissance aux lois qu’ils promulguent ; les GAFAM, pour nous vendre tout ce qu’ils peuvent, infiltrer nos désirs et nos opinions et devenir ainsi plus puissants, plus influents, nous gouverner de fait.
Nous pourrions bien sûr nous dire : « oui, mais pas de danger, nous sommes en démocraties »… Certes. Mais nos démocraties n’ont-elles pas une fâcheuse tendance, ces dernières décennies, à vouloir régenter nos pensées et leur expression ?
Ceci s’exprime par une infinité de biais subtils.
L’interdiction récente faite aux médecins de prescrire l’hydroxychloroquine, en est une illustration parmi tant d’autres. Priver les médecins du droit, fondamental, de prescrire un médicament, alors que les études scientifiques sont contradictoires et qu’aucune certitude n’est établie de façon univoque, n’est-ce pas leur interdire de penser par eux-mêmes, d’adopter une opinion autre que celle du ministère de la Santé — le Haut Conseil de la Santé Publique étant composé essentiellement d’experts nommés par lui-même — et de l’appliquer, sous leur propre responsabilité de médecins, comme l’indique le Code de déontologie médicale ?
Se permettre de créer, sur le site du ministère de la Santé, une page « Désinfox coronavirus » où l’on remet en cause certains articles de presse, sans discussion avec cette dernière, n’est-il pas un joli exemple de censure d’État ?
Notre République prendrait-elle ses enfants pour… des enfants ? Des enfants auxquels il convient de dicter que croire, que penser ? Les médecins du Haut Conseil de la Santé Publique s’estiment-ils meilleurs médecins que les autres médecins ? Les chargés de communication de nos ministères nous considèrent-ils, nous qui savons lire, pour des citrouilles auxquelles il faut expliquer ce qui est vrai et ce qui est faux ? Allons…
Au-delà de cette crise sanitaire et du ministère de la Santé, législatif et exécutif se mêlent de plus en plus de ce qui ne les regarde pas, à savoir nos pensées. Des lois subtilement scélérates comme les lois « mémorielles », dénoncées par des juristes constitutionnalistes comme Anne-Marie Le Pourhiet[2], font dangereusement glisser le législatif vers le domaine de nos mémoires, de nos pensées, avec lequel il ne devrait normalement pas interférer, étant là pour déterminer ce qu’il est interdit ou obligatoire de faire, mais normalement pas de penser ou d’exprimer.
Par ailleurs, certaines censures présentées comme douces ne le sont pas tant que cela et privent, dans les faits et de façon importante, une bonne partie de la population de liberté d’expression, d’égalité de droits avec ses concitoyens et d’exercice démocratique : devoir de réserve — empiétant bien souvent sur le droit d’expression —, obligation de neutralité et interdictions partielles de se présenter aux élections locales ou de militer pour les fonctionnaires, lois de censure gouvernementale des propos jugés « haineux ou diffamatoires » sur internet — censure déléguée aux plateformes selon des critères flous, sans recours possible à un juge —, manque d’indépendance d’agences ou commissions nationales comme l’ANSM — établissement sous tutelle du ministère de la Santé — ou la CNIL — reliée à l’Assemblée Nationale et dont la présidence est nommée par le chef de l'État —, etc. Tout un écheveau de micro-censures et de collusions muettes, insidieuses, que renforce un système de surveillance technologique de l’individu de plus en plus étroit : télésurveillance par satellites, drones et caméras, identification par reconnaissance faciale, traçage et contrôle des données financières, transmission de nos données personnelles aux autorités publiques et aux géants d’internet, droit de l’employeur à consulter mails et calendrier professionnels, etc. Un véritable étau, qui nous enferme peu à peu dans la toile de ses surveillances et de ses algorithmes.
Comment préserver le jardin secret de nos pensées, et le droit libre de leur expression, au milieu de tant d’outils destinés à nous cerneret à nous imposer leurpensée ?
Bien sûr, la manipulation de la pensée humaine n’est pas chose nouvelle, qu’elle émane de stratégies religieuses, politiques, commerciales ou médiatiques ; censure et mise à l’index, propagande et répression, endoctrinement, publicité envahissant notre temps de cerveau disponible et autres tentatives de pétrissage de nos esprits, émaillent suffisamment notre histoire pour nous montrer à quel point est une préoccupation constante cette volonté de mainmise sur ce qui fait agir, choisir, se mouvoir les hommes.
Mais ce qui est nouveau, c’est qu’aujourd’hui, les puissants disposent des moyens technologiques d’y parvenir de façon sûre en nous surveillant, en nous traquant jusqu’aux moindres recoins de notre intimité, et qu’ils les développent. « Big Brother is watching you », écrivait déjà Orwell en 1949 dans son roman 1984, et c’était alors de la science-fiction. Aujourd’hui, c’est tout simplement, et chaque jour davantage, réalité.
Souvenons-nous, dans les années 90 : Internet à ses débuts paraissait un nouveau, formidable et illimité espace de liberté, d’échange et de savoir. Internet est maintenant sous contrôle des États et des GAFAM, prêts à nous surveiller, à nous punir, à restreindre nos libertés s’il leur en prend l’envie et si nous leur en offrons la possibilité.
La Police de Trump nous rappelle que « l’homme est un loup pour l’homme », ou peut très facilement le devenir s’il en reçoit les moyens et l’autorisation.
Ne servons pas de laboratoire à des expérimentations hasardeuses dont nous ferons un jour les frais car, forcément, il adviendra que le pouvoir passe entre les mains de gouvernants qui ne sauront résister à la tentation de s’en servir dans un but de contrôle. Nos pensées sont ce que nous avons de plus précieux, le fil auquel tient notre liberté ; ne laissons personne nous les voler, fût-ce au nom de notre bonne conscience. Ne laissons personne acquérir les moyens de nous cerner, nous traquer, nous acculer, nous diviser, nous isoler, nous faire taire…
Laissons nos fenêtres grandes ouvertes, les fenêtres de nos esprits et de nos libertés, les fenêtres de nos cœurs, nos cœurs d’humains qui feront que, sans nul doute, nous préviendrons toutes les personnes auxquelles nous pourrions avoir fait courir le moindre risque. Laisser nos fenêtres ouvertes sera le meilleur moyen de lutter contre cette calamité — car on sait que le virus craint l’air frais —, et d’en éviter bien d’autres.
Marie-Hortense Lacroix
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