Sumer Vs « État Islamique »
H. Bardi
Avocat au Barreau de Paris
3750 ans environ avant Jésus-Christ, un peuple extraordinaire, dont l’origine demeure aujourd’hui encore inconnue, avait inventé l’humanitude de l’Homme : les Cité-États, l’écriture (Cunéiforme, sur les tablettes d’argile), l’agriculture et les systèmes d’irrigation, les dieux (dont le célèbre triptyque : An, Enlil, Enki, ainsi que les Anunnaki, ces dieux subalternes et premiers « grévistes » de l’Humanité), la domestication des animaux sauvages, l’astronomie, la cosmologie et la cosmogonie, un embryon de médecine et d’agronomie savantes, la justice (le Code du célèbre Roi babylonien Hammourabi —1800 ans Avant J-C— est postérieur à ceux des Rois Lipit-Ishtar et Ur-Nammu…), le régime parlementaire (le bicaméralisme), l’école, l’art de la guerre (y compris celle des « nerfs »)… En un mot : « L’histoire commence à Sumer », comme le dit si bien —preuves archéologiques abondantes à l’appui— un des plus éminents assyriologues / sumérologues[1].
Le Judaïsme, et a fortiori les deux autres monothéismes, y ont puisé des pans entiers de ce qu’ils nous ont légué comme étant le leur propre[2] : Job, ses complaintes et sa patience légendaire, Noé son Arche et le déluge, la création du ciel et de la terre[3], l’Eden (Edin en sumérien)[4], Adam[5] … quasiment l’intégralité de la Genèse. Tout était déjà, avec forces détails, consigné dans les tablettes d’argile des sumériens et autres babyloniens, des milliers d’années avant que le fils de l’homme ne fasse son apparition... L’immense bibliothèque du Roi Assurbanipal en est la preuve la plus éclatante.
Le polythéisme des sumériens avait d’ailleurs survécu dans les premiers textes de l’Ancien testament, puisqu’on n’y parlait pas d’UN seul et unique Dieu mais des Elohîms ; c'est-à-dire les dieux[6]… ; c’était (encore) le temps de l’anthropomorphisme, avant qu’il ne soit apuré des premiers textes hébreux…
Il y a 10 000 ans la dernière glaciation prenait fin.
Durant les « immédiats » milliers d’années qui ont suivi, l’Homo sapiens n’était que cueilleur-chasseur[7].
Soudain ! Comme surgis de nulle part, Sumer fait irruption dans le sud-est de l’Irak actuel… le nomadisme laisse place à la sédentarité … l’éleveur-cultivateur fait son apparition et avec lui naquit la civilisation humaine.[8]
C’est en basse-Mésopotamie (le sud-est de l’Irak actuel donnant sur le Golfe arabo-persique) qu’éclorent dans toute leur splendeur les dynasties dites « archaïques » de Sumer, avec comme principales villes (principautés) florissantes Ur, Eridu, Uruk, Larsa, Girsu, Nippur, Lagash, etc.
Hélas, les sumériens seront vaincus par les sémites qui ont déferlé du désert de l’Arabie et du littoral méditerranéen. Cependant, leur civilisation (culture, cosmogonie, littérature, religion, mythologie, etc.) survivra longtemps après à travers l’œuvre de toutes les dynasties ultérieures : les Akkadiens, Babyloniens, Assyriens, Amorrites, Hittites, Mitanniens, etc. puiseront à souhait dans cet héritage, alors, quasiment indépassable…
Le public lettré moderne se souviendra surtout des grands noms de la civilisation mésopotamienne, tels que Hammurabi, Sargon, Nabuchodonosor, Assurbanipal… et la quête d’immortalité de Gilgamesh à travers sa fabuleuse Epopée…
L’apport réel de la Mésopotamie (appellation grecque désignant le « pays situé entre les deux fleuves » ; le Tigre et l’Euphrate) dans la civilisation humaine est pourtant colossal[9] : l’Egypte ancienne (celle des Pharaons), la Grèce antique, l’Inde, etc. en témoignent. Les assyriologues et les sumérologues, s’appuyant sur les résultats de fouilles archéologiques impressionnantes, en ont apporté les preuves irréfutables …
Et aujourd’hui ? Qu’en est-il de l’Irak du troisième millénaire de notre époque (c'est-à-dire presque 7 000 ans après Sumer !) ?
Quid du berceau flamboyant de l’Humanité ?
Un tas de ruines ! La désolation, la sauvagerie à l’état brut, bestial et répugnant… le retour au paléolithique… même pas le néolithique !
Des hordes sauvages, écervelées, armées de pied en cape y sèment la terreur… détruisent tout sur leur passage. Et surtout massacrent, avec une barbarie indicible, les non-musulmans… tout comme les non-bons-musulmans.
Au nom de quoi ? Au nom de l’Islam… Le vrai, l’unique, l’authentique, disent-ils ! Celui qui ne s’encombre d’aucune nuance, d’aucune contextualisation, d’aucune relativisation… un islam intemporel… an-historique… plaqué sur le présent avec une brutalité ahurissante.
Le soi-disant « Etat Ismique en Irak et au Levant (EIIL) » —dernière variante des débilités fanatiques islamistes— serait donc détenteur de cette compréhension immaculée du texte coranique… la quintessence même de la parole révélée transcendent le temps et l’espace !
Comment cela a-t-il pu advenir ?
Qu’est-ce qui a pu rendre possible un pareil cauchemar ?
Il y a certes l’invasion, la destruction et le pillage (notamment des richesses archéologiques), on ne peut plus sadique, de l’Irak par les américains et leurs alliés au nom de « la démocratie » et autre pseudo théorie du « chaos régénérateur / innovant » qui devait accoucher d’un « Nouveau Moyen-Orient » (sic).
Il y avait aussi, à l’origine, l’emprise sanglante des régimes liberticides qui étouffaient, à en mourir, tout le monde arabe et en particulier l’Irak et la Syrie.
… La corruption, l’inféodation du régime de Maliki à Téhéran, les exactions, la mise à l’écart des sunnites et des « saddamistes », le partage fort inégal de la rente pétrolière, etc.
Cependant, ces facteurs (avec tant d’autres encore), aussi importants soient-ils, expliqueraient, tout au plus, une révolte, un mouvement de protestation, un soulèvement, sur fond de revendications socio-économico-politiques… Ils ne peuvent nullement rendre intelligible la barbarie dévastatrice qui est en train de mettre à feu et à sang le pays d’Entre-les deux-fleuves !
A mon sens, les ressorts d’un pareil déchaînement de violence meurtrière trouvent leur siège ailleurs que dans une phénoménologie païenne… Ils s’originent dans les versets les plus controversés du Coran ; ceux dits de l’épée :
« Ne prenez donc aucun protecteur parmi eux,
Jusqu’à ce qu’ils émigrent dans le Chemin de Dieu.
S’ils s’en détournent, saisissez-les ;
Tuez-les partout où vous les trouverez. » (Coran, Sourate IV. Verset 89)
« Après que les mois sacrés se seront écoulés,
Tuez les polythéistes, partout où vous les trouverez ;
Capturez-les, assiégez-les,
Dressez-leurs des embuscades. » (Coran, Sourate IX. Verset 5)
« Combattez :
Ceux qui ne croient pas en Dieu et au Jour dernier ;
Ceux qui ne déclarent pas illicite
ce que Dieu et son prophète ont déclaré illicite ;
Ceux qui, parmi les gens du Livre,
ne pratiquent pas la Vraie religion » (Coran, Sourate IX. Verset 29)
« Ô vous qui croyez !
Combattez ceux des incrédules qui sont près de vous.
Qu’ils vous trouvent durs… » (Coran, Sourate IX. Verset 123)
« Ô Prophète !
Combats les incrédules et les hypocrites ;
Sois dur envers eux !
Leur refuge sera la Géhenne :
Quelle détestable fin ! » (Coran, Sourate IX. Verset 73)
« Telle sera la rétribution
De ceux qui font la guerre
Contre Dieu et contre son prophète,
Et de ceux qui exercent la violence sur la terre :
Ils seront tués ou crucifiés,
Ou que leur main et leur jambe soient coupées opposées,
Ou bien ils seront expulsés du pays. » (Coran, Sourate V. Verset 33)
N’est-ce pas ce dernier verset qu’a brandit, telle une épée sanguinolente, le député constituant d’Ennahda Sadok CHOUROU face à l’opposition démocratique tunisienne lors d’un débat houleux au sein même de l’Assemblée Nationale Constituante (ANC) ?
Soit (donc) dit en passant, les « daéchiens » ne sont pas présents qu’en Irak ou en Syrie. Ils sommeillent (ou font mine de…) un peu partout dans le monde arabe, et n’attendent que l’affaiblissement conséquent de l’autorité de l’Etat, pour bondir hors de leurs grottes préhistoriques et substituer au monopole de la violence légitime, leur violence « djihadiste » abjecte.
Ces versets, d’une dureté sans pareille dans les textes des autres monothéismes, incitent (c’est un fait !) à la haine et à l’assassinat. Ils ne rendent pas seulement possible le meurtre de l’Autre, mais nécessaire…recherché, obligatoire ! C’est une prescription coranique dont l’accomplissement permet d’être « grassement » rétribué ici-bas comme dans l’au-delà. Le « pire » de cette équation macabre étant de se hisser au rang de « martyre » et de « gagner » sa précieuse place au paradis.
Aucune interprétation, aussi « souple » et « clémente » soit-elle, ne pourrait suffisamment atténuer la rigueur inflexible de l’injonction !
L’Islam sunnite n’ayant pas de « Clergé » (comme dans le Chiisme ou le christianisme) qui, seul serait habilité à Dire et à fixer le sens officiel des prescriptions divines et à démêler l’authentique de l’apocryphe, il s’ensuit que n’importe quel illuminé (musulman) peut s’autoproclamer « Calife » et imposer, y compris par les armes, sa propre compréhension (ou plutôt incompréhension) du Coran. C’est le cas, entre autres, d’Abou Bakr Al Baghdadi, le criminel en chef de l’EIIL.
Lorsque l’on sait, par ailleurs, l’emprise absolue qu’exerce le Coran sur l’Être même du musulman, notamment arabe sunnite,… sur sa structure mentale, son mode de pensée/action, son échelle des valeurs, sa manière d’être-au-monde et parmi ses semblables… il devient alors possible de « mettre des mots sur les maux » que ne cessent de perpétrer les DAECH & Co.
Les quelques « versets de l’épée » reproduits ci-dessus peuvent être sans doute compris et interprétés de moult façons. Les uns contestant aux autres la vraie conformité avec l’intention « du législateur éternel ». Mais est-ce vraiment un « problème » d’interprétation ? N’est-ce pas plutôt une question de suspension (pour ne pas dire carrément abrogation) de l’applicabilité desdits versets, qui doit être tranchée « dans le vif », sans tergiversation et sans demi-mesures ?
De quel droit, en effet, les musulmans —parmi tous les peuples de la Terre— s’arrogent-ils le « privilège » de maintenir valable en tout temps et tout lieu une incitation aussi scandaleuse à la haine de l’Autre et à l’assassinat de tous ceux qui ne partagent pas leur religion, leur échelle de valeurs et leur conception du Bien et du Mal ?
Rien… absolument rien ne pourrait justifier une pareille exception. Avéroès disait il y a bien longtemps qu’en cas d’opposition entre le Texte et la raison, c’est celle-ci qui doit l’emporter. Le bon sens, qui est la « chose » la mieux partagée entre les Hommes à en croire Descartes, recommande lui aussi la « mise hors d’état de nuire » de tout ce qui compromet la coexistence pacifique entre les humains. Force est de constater, par ailleurs, que le terrorisme moderne est presqu’exclusivement d’inspiration islamiste ! Partout où l’on va, dans le monde arabo-musulman, en Asie, en Afrique, en Europe, comme en Amérique, l’assassinat des civils et les actes terroristes les plus abominables sont perpétrés par les fous d’Allah.
Il n’est jamais trop tard pour celui qui veut bien agir. Et y a-t-il meilleure action que celle visant une vie bonne (dans le sens philosophique le plus profond) avec et pour les autres dans un climat de paix, d’amour et de solidarité ?
La réconciliation des musulmans avec le reste du monde passe forcément par l’abolition des conditions de possibilité textuelles de cette violence (commise systématiquement an nom de dieu). Il faut donc le crier haut et fort, avec toute l’énergie et le courage que procure l’amour de l’Humanité et la recherche de son bien-être, que les versets de l’épée sont le produit d’un contexte historique bien déterminé qui a, désormais, perdu sa prétendue pertinence dans les temps présents.
Comme l’ont si bien rappelé les auteurs de « Ce que ne dit pas le Coran » (Mahmud Hussein), il s’agirait essentiellement du statut que l’on donne à la « parole révélée ». De deux choses l’une, en effet : ou celle-ci serait « incréée », puisant son essence dans la substance intemporelle du dieu des musulmans… dans lequel cas elle serait valable, de manière absolue, en tout temps et tout lieu ; ou alors il faudrait dissocier les deux (l’entité divine perpétuelle, et son verbe incorporée) et considérer, en conséquence, que cette parole a emprunté une langue (l’arabe), par définition imparfaite comme toute autre langue humaine ; qu’elle est située dans un contexte spacio-temporel mouvant… supportant, d’une part, l’abrogation, comme ce fût maintes fois le cas du vivant du messager de l’Islam (les versés abrogeants), et d’autre part, la contextualisation : la causalité propre à la « descente » des versets coraniques : أسباب النزول ; l’équivalent de « l’exposé des motifs » des projets de lois modernes.
C’est un débat qui a traversé toute l’histoire musulmane. Du début jusqu’à nos jours. Les fâlasifa rationalistes contre les théologiens traditionalistes : les Al Kindi, Arrâzi, Les Moatazlites, Ibn Rochd (Averoes), Ibn Khaldoun, etc. Jusuq’à Nasr Hamed Abou-Zayd et Abdelmajid Charfi, contre les Châfii, Achâari, Ibn Hanbal, Ghazâli, Mohamed Ibn Abdelwahâb, etc. jusqu’à Al Karadaoui et Rached Ghannouchi.
Débat qu’il est grand temps de trancher officiellement et définitivement… en conformité avec les intérêts convergents des musulmans et du reste de l’Humanité.
Pour finir par où j’ai commencé, je ferai un come back to Sumer pour montrer que les ancêtres de la civilisation humaine étaient dotés d’une sagesse si immense qu’« il eut été plus séant (pour les « daéchiens » et autres terroristes islamistes) qu’ils se prosternassent dans la poussière »[10] en son honneur ; eux, qui décapitent et assassinent odieusement les innocents, qu’ils tentent, un tant soit peu, de faire usage du peu d’entendement dont ils disposent pour méditer ceci :
« Mais les trois autres (tablettes), si fragmentaires et si peu lisibles qu’elles soient, sont d’une importance toute particulière pour l’histoire du développement social et spirituel de l’homme : elles montrent en effet que, même deux mille ans avant Jésus-Christ, la loi de fer « œil pour œil, dent pour dent » qui prévalait encore dans une large mesure chez les Hébreux à une époque bien plus tardive, avait déjà fait place à une juridiction plus humaine où les amendes se substituaient aux châtiments corporels »[11]
Paris le 22 septembre 2014
[1] Assur ayant été découverte bien avant Sumer, les premiers linguistes et historiens spécialistes du Cunéïforme (écriture articulée en forme de clou/coin) ont été appelés assyriologues… et même après la découverte de Sumer ils ont continué à être appelés ainsi.
[2] A titre d’exemple : J. Bottéro, Babylone et la bible, Les Belles Lettres, 1994.
[3] Voir l’Epopée de la Création : Enûma Elis (Bottéro / Kramer, Mythologie mésopotamienne, p. 602)
[4] Anton Parks, Eden, Edition Nouvelle Terre, 2ème édition 2012.
[5] Bottéro / Kramer : Lorsque les dieux faisaient l’homme (Mythologie mésopotamienne), Gallimard, 2010 (réédition).
[6] Par exemple « La Bible de Chouraqui » (André Chouraqui), Ed. Desclée de Brouwer.
[7] Alain Testart, Avant l’histoire, Gallimard, 2013.
[8] Voir l’ensemble de l’œuvre magistrale de Jean Bottéro, et notamment : Mésopotamie : l’écriture, la raison et les dieux, Folio/Histoire ; Georges Roux, Mésopotamie, Points / Histoire ; ainsi que : Ian Morris « Pourquoi l’Occident domine le monde… pour l’instant », L’arche, 2011 ; et : فراس السواح : "مغامرة العقل الأولى، دراسة في الأسطورة، سوريا، أرض الرافدين". منشورات دار علاء الدين. دمشق
[9] G. Contenau, La civilisation d’Assur et de Babylone, Payot 1937.
[10] Nietzsche, L’Antéchrist, 10/18, 1967, p. 60.
[11] S-N. Kramer, L’histoire commence à Sumer, opct, p. 80
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