Peu de sociétés, dans l'histoire, ont fait l'économie du Père, ou miser sur sa disparition, pour évoluer. La notre l'a fait, en se félicitant d'un socio-constructivisme hasardeux.
La société française, mais surtout son école, est malades de ses enfants. Ils sont globalement mal élevés, comme on disait autrefois. A l'école c'est la catastrophe, ils sont incapables de la moindre concentration et attention nécessaires à tout apprentissage. Ils sont bavards et incapables, aussi, du moindre silence, tout aussi nécessaire à l'écoute. Ils débitent à longueur de temps tout ce qui leur passe par la tête. Qu'est-ce qui a changé chez les enfants, ou plutôt qu'est-ce qui a changé dans l'éducation que se soit à la maison ou à l'école. L'enfant est désormais au centre de la famille et de l'école. Il le sait, et se comporte désormais comme un roi. Il est le rêve idéalisé de sa mère et la projection positive de son père. Il est l'illusion de l'enfant voulu, que la contraception permet. Il n'est plus altérité imposée, ni transcendance acceptée, mais phantasme parental et projection de leur soi.
C'est le règne de l'enfant roi, consommateur et capricieux, qui ne supporte plus aucune limite à son territoire. Toute frustration, pourtant nécessaire parce que normative, est bannie de son éducation, parce que vécue, comme insupportable par ses parents. Le non, tout aussi nécessaire, comme ouverture sur d'autres possibles, est perçu comme une violence, par les générations post soixante huitardes, toujours dans l'illusion d'une quelconque libération de l'oppression. Le risque existait, mais les enthousiasmes issus de Mai 68, avec le fameux, il est interdit d'interdire, nous auront conduit, au fil des générations successives, dans cette galère, en oubliant que l'enfer est souvent pavé de bonnes intentions. A cela vous ajoutez, la déconstruction du Père, symbole de la limite et de l'autorité normative, mais symbole, aussi, d'un patriarcat honni, et le tableau est presque dressé. Peu de sociétés, dans l'histoire, ont fait l'économie du Père, ou miser sur sa disparition, pour évoluer. La nôtre l'a fait, en se félicitant d'un socio-constructivisme hasardeux, mais en oubliant que c'est le tabou qui est construction civilisatrice et qu'il est effectivement symptôme de réalités qui lui sont supérieures et transcendantes. Il n'y a point de société sans tabou, parce que, dit autrement, c'est le tabou qui fait société.
Les archétypes de la pensée, depuis la nuit des temps, les valeurs symboliques qu’ils ont véhiculées, et la psychanalyse, ont toujours révélé que le rôle du père, est de freiner puis de canaliser par l’éducation et la loi, le désir de l’enfant. Si la grossesse de la mère est visible, et si son lien avec l’enfant est évident, aussi bien que total, c'est-à-dire fusionnel, en revanche le père et son lien avec l’enfant, relèvent du verbe, c'est-à-dire de la reconnaissance de son acte sexuel, de sa conséquence et du crédit qu’il accorde à la mère et à son affirmation qu’il est le père. Le Père est le contrat originel, à la base de toute la construction de notre société, il est le premier savoir dire non, et le premier savoir dire oui, extérieurs à la mère, qui engagent et sans lequel aucune ouverture au développement n’est possible. Avec le père commence la vie en société et la lente sortie de l’état fusionnel avec la mère. Le père représente la toute première ascèse, nécessaire à l’apprentissage de la vie.
Notre système économique favorise à outrance la consommation. Tout désir, dans notre société doit se concrétiser par un acte d’achat. Il ne s’agit plus d’éduquer le désir, démarche qui a été un formidable moteur de civilisation et de hiérarchisation des valeurs, mais plutôt de laisser libre cours à son expression, car les enfants avec le niveau de conscience et de besoins qui caractérise cet état, sont un élément déterminant et moteur de la consommation et de tout notre système économique. L’enfant et l’infantilisation de l’adulte et des foules, sont avec la mère nouricière érigée en principe absolu et non dépassable par le père, les trois piliers de la consommation. Savoir dire non au désir peut se révéler couteux en termes de demande en économie marchande. Toute forme d’ascèse est actuellement bannie de l’éducation, le mot étude est lui-même rangé au rayon du ringard en raison de l’effort qu’il suggère. Tout apprentissage se doit d’être ludique parce que le ludique est rentable économiquement et qu’il peut se vendre car sa demande est spontanée, mais surtout, et c’est ce qui doit être noté et souligné, parce qu’il n’éduque pas la volonté.
Le résultat de toutes ces nouvelles donnes sociétales, est encore inconnu. Il est à craindre que cette facture délétère ne soit élevée. Il n'est pas exclu que notre culture se délite et disparaisse.