Face à l’élue socialiste, le leader écologiste défend bec et ongle le principe de la mesure. Dans son discours pointe une réelle connaissance des détails et de la complexité de ce thème. Alors que dès le Pacte Ecologique de Nicolas Hulot, Madame Royal s’était dite opposée à une mesure jugée « punitive », Daniel Cohn-Bendit est lui un partisan affirmé de la fiscalité écologique.
Alors que Mme Royal met en avant l’argument selon lequel il n’est acceptable de taxer le consommateur que si l’offre de transport alternative existe, son contradicteur acquiesce, mais n’en fait pas un pré-requis, plutôt une condition nécessaire. A qui faut-il donner raison ? A ce stade Mme Royal oublie qu’à attendre l’achèvement d’une mutation de notre mode de vie avant de s’autoriser de décourager certaines consommations par la fiscalité, nous manquerons certainement le coche… de cette mutation.
La Taxe, T comme tabou ?
L’un souligne très justement le travail consultatif admirable qui avait été mis en œuvre en œuvre l’an dernier dans le deuxième temps du Grenelle, et salue le travail de la Commission Rocard, dont les préconisations n’ont été que trop peu suivies, l’autre affirme que les économistes dans leur ensemble nous ont menés dans le mur. Ségolène Royal martèle que les bonus valent mieux que les impôts « Mais pour donner des bonus, il faut de l’argent ! », rappelle Daniel Cohn-Bendit. Dans les minutes qui suivent, Mme Royal est contrainte d’affirmer « avec une taxe il faut du positif ! » acceptant ainsi implicitement le principe d’une taxe.
Il ressort deux enseignements clairs de cet échange : l’idée bien inquiétante que l’on se dissimule certaines réalités par démagogie, et la méconnaissance éhontée du sujet économique de la taxe.
Ces réalités que l’on dissimule
La taxe carbone est un outil de politique économique, pas une sanction
- Il est reconnu de tous les économistes que le meilleur moyen, en économie de marché, de faire baisser la consommation d’un bien est d’en augmenter le prix. La taxe carbone est une taxe visant à réintégrer dans le prix de la consommation d’énergie une partie du coût des dommages qu’elle engendre (ce que les économistes appellent une « externalité négative »). Que madame Royal le veuille ou non, le public est plus sensible aux hausses de prix qu’à tout discours responsabilisant, de sensibilisation.
- L’efficacité environnementale de la taxe est obtenue par le niveau du signal de prix c’est-à-dire par le montant de la taxe. Plus celui-ci est élevé, plus l’incitation à l’économie d’énergie est important. Notons toutefois que la variation de consommation est sensible au prix en fonction de l’usage de l’énergie qui est fait. En effet, une personne tributaire de la voiture pour des raisons professionnelles est peu susceptible de changer ses habitudes (jusqu’à un certain point). Mais lorsque l’on parle d’effet global, on parle d’une moyenne, et il est certain qu’un prix de l’énergie accru inciterait à une réorganisation personnelle nombre de nos concitoyens, et de nos entreprises. Là où madame Royal a raison, c’est lorsqu’elle souligne la dépendance de certaines catégories de population. Mais pour les plus exposés, des compensations sont possibles et si l’on souhaite les mettre en place, encore faut-il les financer… Par la taxe.
- l’efficacité économique de la taxe est une notion plus complexe, et sur ce point, il n’est guère judicieux de prendre pour argent comptant les récriminations du Médef sur la compétitivité. Les études d’économistes (Hourcade, Combet, et al. du Centre International de Recherche sur l’Environnement et le développementIRED) ont montré que la perte d’efficacité économique ou de compétitivité supposée en cas de mise en œuvre d’une telle taxe n’est absolument pas consubstantielle de la taxe elle-même, mais plutôt de l’usage qui est fait de ses revenus.
- l’équité sociale d’une taxe carbone est d’autant plus grande que son caractère redistributif est marqué. S’il est une chose que l’on ne pourra pas reprocher au défunt projet de taxe carbone du gouvernement actuel, c’est de ne pas être redistributive, puisque l’Etat avait pris formellement l’engagement de redistribuer la totalité des recettes.
Comment comprendre alors l’attitude de dénégation de celle qui d’un côté parle du principe "pollueur payeur", et de l’autre côté se refuse à voir en chacun de nous, consommateurs, des pollueurs à part entière (la Nature, elle, ne fait pas de distinguo social entre bons et mauvais pollueurs) ? Il est à craindre que la réponse soit purement et simplement notre second point :
Une méconnaissance éhontée de la chose économique qui s’exprime dans le cas particulier de la taxe carbone.
Madame Royal est l’exact exemple de ces hommes et femmes politiques que Michel Rocard dépeint dans son très instructif livre témoignage « Si la gauche savait ». Celui-ci y déplore que les sciences économiques soit le parent pauvre de la formation initiale des étudiants français et également de nombre d’hommes politiques. Il ne faut pas chercher plus loin le mépris affiché ce 25 mars par Ségolène Royal à l’égard à la fois des économistes et de leur plus pertinent représentant dans la classe politique française : Michel Rocard.
Jugement excessif ? Partialité anti-Royal ?
Il ne faut voir dans ce constat d’absence de rigueur intellectuelle une énième attaque personnelle infondée contre l’ex-candidate socialiste. Bien au contraire. De l’inexactitude de ses propos et de ses conceptions, Mme Royal apporte elle-même la preuve dans ce débat. Cette preuve est à trouver dans le sophisme désarmant déployé par cette dernière en plein milieu du débat. « Une taxe carbone est absurde si l’usage qui est fait des recettes est une redistribution pure et simple aux consommateurs. » Comment comprendre cette grossière erreur dans la bouche d’une femme politique prônant le système des bonus (elle en oublie les malus) ? Car le plus parfait des bonus/malus est une taxe carbone redistribuée à 100%. L’erreur consiste bien évidemment à croire que la somme reversée compense pour tous la somme prélevée. C’est oublier qu’une taxe carbone doublée d’un chèque vert crée des gagnants (les moins polluants d’entre nous) et des perdants (les plus pollueurs) mais qu’en tous les cas il y a une incitation.
Encore combien de temps perdu avant d’ouvrir les yeux ?
Le revers enregistré par cette mesure qui avait vu le jour sous le doux nom de contribution climat énergie est des plus inquiétants. Derrière le retard pris pour avancer vers une action significative contre le réchauffement climatique, il n’y a pas uniquement l’action cynique des lobbys : il y aussi la paresse intellectuelle de toute une classe d’âge : les enfants des trente Glorieuses au premier rang d’entre eux. L’heure tourne, les jours s’écoulent, et le pétrole, dont la production culmine et ne saurait tarder à décroitre ne va pas tarder à nous rappeler que ce qui est rare est cher…
... Mais cela aussi c’est de l’économie !
Thomas de Toulouse