Taxis, 100 millions pour racheter des licences : le prix du numerus clausus

Ce qui est rare est cher.
Telle est la devise de ceux qui ont décidé de faire monter les droits d'entrée dans un métier : taxi.
Si vous êtes épicier ou modiste, vous pouvez ouvrir boutique quel que soit le nombre de vos concurrents.
Si vous êtes plombier ou ingénieur qualité, de même.
Comment une corporation a-t-elle réussi à imposer aux pouvoirs publics la défense de ses propres intérêts ?
Un peu d'histoire. Merci wikipedia.
1898 : Débuts de l'ancêtre du taxi parisien dont les premiers véhicules étaient des fiacres électriques, concurrents directs des cochers.
Contrairement au conflit taxi-VTC, je n'ai pas trouvé trace d'aide de l'état envers les cochets, métier devenant obsolète.
1929 : à cause de la crise, des nombreux Français se précipitent vers la profession de taxi (alors totalement libre) et leur nombre passe de 15.000 en 1923 à 25.000 en 1932.
1937 : Comme suite aux accords signés en 1936, le Front Populaire légifère et le numerus clausus est instauré par décret préfectoral faisant passer les taxis de 32 000 à 14 000.
Un gouvernement de gauche, le Front Populaire, est donc venu à la rescousse d'entrepreneurs privés, en influant fortement sur un service à destination de tous, le transport payant de passagers et de leurs bagages, de porte à porte.
1938 : La préfecture de police crée une brigade spécialisée dans le contrôle des taxis.
L'administration augmente donc le coût du transport en créant cette brigade et en le faisant supporter à l'ensemble des contribuables.
1948 : La profession souffre d'une pénurie de chauffeurs, sur plus de 14 000 taxis autorisés seuls 8 500 sont en service. Les chauffeurs en fin de carrière doivent rendre leurs licences à la préfecture.
La décision des pouvoirs publics était inutile : le nombre de chauffeurs est largement en dessous du numerus clausus .
1950 : En raison de la pénurie de chauffeurs, les syndicats d'artisans font pression pour baisser le numerus clausus qui passe à 11 000.
Il manque des chauffeurs. La loi de l'offre et de la demande tenderait à appeler des candidats à se tourner vers ce métier. La logique du lobby incline à limiter le nombre d'autorisations.
1980 : Le nombre des taxis est limité à 14 000.
Les décennies passent, les mauvais réflexes perdurent.
2002 : Une nouvelle pénurie de chauffeurs frappe les sociétés de taxis. Certaines commencent à organiser des campagnes de recrutement et, pour trouver des candidats, passent par l'Agence nationale pour l'emploi (ANPE).
La réponse semble cette fois normale.
2006 : alors que la capitale compte 15 300 taxis, la mairie de Paris et la préfecture de police de Paris s’accordent sur le besoin de moderniser la profession afin de répondre à la pénurie de taxis aux heures de pointe à Paris.
Le nombre de taxis a augmenté de 5 %, mais cela « reste toutefois insuffisant au regard des besoins exprimés » selon le maire de Paris.
Le contrôle par les pouvoirs publics du numerus clausus reste sous l'influence du corporatisme, sans que les clients puissent s'exprimer.
2008 : Le rapport Attali propose notamment la déréglementation de la profession des taxis et l’abandon des licences en réponse au dysfonctionnement du secteur observé par le Gouvernement, lequel déclare vouloir faire évoluer la profession afin qu’elle « réponde mieux aux besoins des usagers ». Les chauffeurs de taxi, effrayés de voir leur monopole et l’argent qu’ils ont investi dans leur licence s’envoler, organisent plusieurs manifestations en France et obtiennent une audience auprès de Nicolas Sarkozy. Le Gouvernement décidera alors d’enterrer les propositions de Jacques Attali.
Tout le monde reconnait que la fonction de transport individuel de porte à porte des personnes et des bagages est mal assurée, mais les pouvoirs publics ont mis le doigt dans l'engrenage de la protection d'une profession et n'arrivent plus à l'en dégager.
2010 : Hervé Novelli, secrétaire d'État chargé entre autres de l’Artisanat, met en place un décret de modernisation du tourisme qui permet l’expansion des voitures de tourisme avec chauffeur (VTC).
L'esprit bureaucratique règne. S'il avait régné ainsi dans l'informatique naissante, ne serions-nous pas toujours à utiliser des ardoises magiques ?
2011 : Le système Autolib' est inauguré par Bertrand Delanoë, maire de Paris. La même année, une entreprise de mise en relation de chauffeur de VTC et de particuliers par le biais de smartphones, Uber, se lance à Paris. Suivent ensuite plusieurs sociétés de VTC : Allocab, Les voitures jaunes, Le Cab, Snapcar, chauffeur-privé, etc. Ces entreprises proposent les mêmes services que les taxis, mais avec un système de géolocalisation, de réservation et pour certains un prix réduit. Cette nouvelle profession est réglementée à partir d’avril 2011 par l’État qui délivre 86 cartes professionnelles.
La fonction de transport individuel de porte à porte des personnes et des bagages est remplie par un nouveau modèle économique avec prise en compte de l'évolution technologique. Mais l'état ne peut s'empêcher d'intervenir dans un sens restrictif pour les innovateurs et protecteurs pour les conservateurs.
S'il avait eu la même attitude lors de l'invention de la photocopie, n'en serions-nous pas toujours à utiliser du papier carbone ?
2012 : Les taxis parisiens tentent de réagir face à la prolifération d’offres concurrentes. Le nombre de taxis passe à 19 500 véhicules. Les heures de pointe restent cependant des périodes difficiles pour les usagers, avec 20 à 40 % des demandes de taxi restant insatisfaites.
La réaction semble se limiter à bouger les paramètres traditionnels (le numerus clausus), mais pas à se tourner vers les nouvelles technologies et le nouveau mode de vie des clients, à savoir l'usage intensif des smartphones.
2013 : En août 2013, le site Frenchweb relaie une lettre de Dave Ashton, fondateur de Snapcar, à l’attention du président du groupe des taxis G7 dans laquelle il déplore la condamnation de la concurrence des taxis « pour assurer le maintien du cours de la licence de taxi et poursuivre le chemin de la pénurie ».
Didier Hogrel, président de la Fédération nationale des taxis, lui répond le 24 août et l’invite « à retourner en Californie » et à se « tourner vers d’autres pays émergents afin d’installer et de déployer (son) système organisationnel de transport de personne à la demande ».
No comment.
Afin de préserver le prix élevé des licences de taxis à la revente, les chauffeurs de taxi et le gouvernement essaient de limiter le nombre d’attributions de licences chaque année. Mais pour faire face à la pénurie de taxis aux heures de pointe, toujours d’actualité à la fin de l'année 2013, le Gouvernement, malgré le désaccord des chauffeurs de taxi, décide d’accepter la création de 1 000 plaques supplémentaires à Paris et d’imposer aux chauffeurs de travailler durant les heures de pointe.
Encore une fois, les pouvoirs publics, malgré le changement de couleur du gourvernement, ne peut s'empêcher d'intervenir en jouant sur les paramètres mis en place, mais sans changer le fonds du problème.
2014. Depuis le 1er octobre 2014, les licences délivrées sont incessibles. Elles sont valables cinq ans renouvelables. Seules les licences attribuées avant cette date peuvent être revendues.
Dans un autre domaine, y compris la santé, celui qui excerce un métier peut revendre son fonds de commerce. Les pouvoirs publics interviennent à nouveau dans un sens restricitf.
2014. Protestant contre le refus d’interdiction d’UberPOP du tribunal de commerce de Paris, le 15 décembre 2014, les taxis parisiens appellent à la grève.
En France il est permis de commenter une décision de justice. Ce qui est interdit, par l'article 434-25 du Code pénal, c'est
Le fait de chercher à jeter le discrédit, publiquement par actes, paroles, écrits ou images de toute nature, sur un acte ou une décision juridictionnelle, dans des conditions de nature à porter atteinte à l'autorité de la justice ou à son indépendance.
cet appel à la grève doit donc être compris comme un commentaire et non pas comme une atteinte à l'autorité de la justice ou à son indépendance.
En conclusion, une décision d'un gouvernement a été prise dans des circonstances particulières, avec des aboutissants qui n'ont pas permis au fil des décennies de satisfaire la fonction de transport.
Elle a permis de contenter, pas toujours pleinement, les acteurs économiques qui remplissent cette fonction.
C'est un gouvernement de gauche, le Front Populaire, qui a accordé des privilèges à une corporation.
C'est un gouvernement qui se prétend de gauche qui va prendre une fortune pour tenter de régler le problème.
Le bouleversement technologique qui impacte la vie de tout un chacun est vécu
- comme un avantage par les usagers des transports,
- comme une menace par les professionnels traditionnels,
- comme une source de ponction monétaire par les autorité publiques
- comme un champ de mines par les innovateurs.
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