Témoignage d’une émigration choisie, vingt ans après...
Dans les années 1960, pour les besoins du BTP, et faute de maçons et autres compagnons en nombre suffisant pour construire les milliers de logements dont la France avait besoin, des jeunes gens ont été directement recrutés dans leurs villages natals par des entreprises françaises.
C’était il y a près de 50 ans, et bien avant le slogan actuellement en vogue, une immigration choisie. Tout avait d’ailleurs été parfaitement organisé car des appartements attendaient les jeunes salariés et leurs compagnes. De fait , pendant 15 ans environ, tout alla pour le mieux.
Malheureusement, le nombre annuel de mises en chantier a fini par chuter. Nos villageois et leurs familles agrandies entretemps habitaient toujours leurs HML de Francheville "le bas" , mais les pères de familles furent licenciés les uns après les autres.
J’ai pris la gestion des six montées d’escaliers de la "résidence des genêts" vingt ans plus tard, dans les années 1980. La situation s’était considérablement dégradée.
Les pères de famille licenciés pour raison économique n’avaient pas retrouvé de travail : en vingt ans, ils n’avaient jamais été formés, et le métier étant particulièrement dur, ils étaient physiquement éprouvés. Il aurait fallu pouvoir les reconvertir à des métiers moins durs mais, faute de formation adéquate pendant leur temps de travail en France, ils se retrouvaient sans réelle possibilité de reconversion.
Leurs compagnes n’avaient pas été non plus prises en charge et demeuraient mal à l’aise avec notre langue écrite. Elles étaient restées isolées, car, à Francheville "le haut", où se situait l’Hôtel de Ville, on ignorait superbement Francheville "le bas".
Les enfants se sont donc retrouvés "sachant" et, forts de cette supériorité, l’adolescence aidant, ne faisaient plus aucun cas des préceptes parentaux.
L’habitat qui était neuf dans les années 1960 avait subi un vieillissement prématuré : Il y avait dans les dix F5 d’une seule montée pas loin de 40 enfants, et presque 200 enfants dans toute la résidence.
La méconnaissance en France des populations ainsi déplacées par "cette immigration choisie" avait amené la cohabitation difficile de musulmans sunnites et chiites.
Avec les difficultés économiques des familles, une radicalisation était apparue, créant des tensions internes telles qu’il n’était pas rare que des familles s’écharpent dans le seul car qui desservait très limitativement le quartier.
Il me revenait d’améliorer ces conditions de vie et leur corollaire inévitable, la dégradation du patrimoine. Je me suis entourée du centre social local, de l’école , de l’ANPE, et j’ai redonné du tonus à l’association des locataires.
Avec les parents, nous avons travaillé sur la limitation des charges d’entretien courant des allées : une convention avec l’ANPE et le centre social m’a permis d’obtenir la formation de quelques jeunes adultes (18 ans) sur la petite serrurerie , l’électricité . L’association des locataires leur a confié un budget à l’époque de 6000 francs pour l’année pour les six allées afin d’effectuer les menues réparations : réglages de portes , changement de poignées , changements d’interrupteurs ou de luminaires . Moins il y avait de dégradations et plus il leur restait d’argent en fin d’année, pour leur usage personnel : ils voulaient faire un séjour de vacances d’une semaine à la mer.
Cette convention a superbement fonctionné, les aînés se chargeant du coup d’obtenir des plus jeunes le respect des parties communes et des réparations faites. Le budget d’entretien s’est retrouvé limité à 1000 francs et l’organisation des vacances en a été facilitée.
Un programme de travaux d’embellissement des parties communes, des espaces verts qui avaient une surface importante et la création d’aires de jeux ont fait l’objet d’une réflexion d’une année, tant en classes de CM2, que par l’intermédiaire de l’animation du centre social, et dans l’association des locataires. Le but était obtenir un accord de tous, des plus petits aux plus anciens, sur un projet collectivemet mûri.
Il en est ressorti :
1°) la création d’une aire de foot, en rabotant la colline financée par les entreprises dans lesquelles avaient travaillé nos maçons licenciés. Ce sont eux qui se sont chargés de contacter leurs anciens patrons. Engazonnement : financé par le bailleur (extraordinaire : les 200 enfants ne mettant pas le pied sur les semis)
2°) la création d’un verger financé par le bailleur
3°) la rénovation de toutes les allées avec spots intégrés, jolies peintures, jolies boîtes aux lettres financées par le bailleur
4°) la création de l’aire de jeux : recrutement, par l’intermédiaire du centre social, des jeunes qui souhaitaient participer à ce chantier pendant les vacances scolaires ; financement par le bailleur d’un cabinet d’architecture et de conduite de chantiers d’ auto-constructions ; préparation des plans qui comportaient : une dalle et un mur pour l’entraînement au tennis , l’installation de jeux d’enfants sur une aire aménagée par les adolescents, la confection des cages de but de l’aire de foot par le cabinet d’architecture qui assura l’animation et le suivi de chantier. Financement des matériaux et de l’encadrement par le bailleur, le centre social faisait son affaire des contreparties accordées aux jeunes pour leur participation au chantier .
Les jeunes ont été un peu longs à couler la dalle du jeu de tennis, et on a vu alors les pères descendre, installer des projecteurs et terminer la maçonnerie avec leurs fils, de nuit . Cette aventure a réconcilié les générations, les parents étant en capacité de montrer leur savoir-faire.
Les mères de famille ont assuré les repas pour les participants au chantier de jeunes et au chantier suivant, celui des adultes, apprenant ainsi à se connaître et à s’apprécier sans a priori religieux.
Enfin les adultes ont souhaité que l’on fasse pour eux ce qu’on avait fait pour leurs enfants : la création de garages auto-construits a été faite dans le même cadre que précédemment : la participation au chantier des pères était récompensée par une mise à disposition gratuite pendant plusieurs années des garages, l’encadrement du chantier et les matériaux étant achetés par le bailleur.
J’ai eu la surprise de découvrir au dernier moment qu’en s’appuyant sur la colline, les pères avaient créé un amphithéâtre en plein air, entièrement carrelé de morceaux de carrelage récupérés sur tous les chantiers de leurs anciens patrons.
C’est dans cet espace que toute la résidence a assisté à la projection des matchs de Coupe du monde de l’équipe française de foot des "blacks blancs beurs" sur de grands draps tendus en fond de scène.
Ce patient travail a redonné, un moment, de l’espoir.
La communauté européenne convaincue par ces deux premiers chantiers était prête à subventionner un espace pour l’assistance aux devoirs (le recoin difficilement aménagé à côté de la chaufferie n’était guère facile d’utilisation) .
Entre-temps, il y eut les élections municipales, et Francheville le "haut" oublia le cofinancement promis à Francheville "le bas" .
La SA d’HLM changea de direction, et la nouvelle direction ne voulut pas continuer à consacrer autant de temps et d’énergie à cette cité. Gestionnaire de parc social, je fus d’ailleurs licenciée pour cause économique, ma société ayant décidé de se consacrer à "l’accession sociale à la propriété" ....
La résidence des "genêts" retomba dans la grisaille d’une vie sans projet, et ses habitants se retrouvèrent amers de n’avoir pas été reconnus dans leurs efforts et aidés, comme promis, pour la suite du programme.
Comme en témoigne cette expérience, l’immigration choisie est un simple slogan si l’on ne met pas en regard des moyens d’intégration sérieux.
Une immigration choisie n’a strictement aucune chance d’avoir des conséquences favorables si on n’assure pas aux salariés immigrés, comme à tous les salariés, une formation les préparant à une reconversion, si nécessaire.
Une immigration choisie ne dispense pas d’accorder à ces populations, même si elles ne votent pas (ce qui est d’ailleurs un problème), les mêmes attentions qu’aux populations autochtones.
Enfin , si les "promesses n’engagent que celles et ceux qui y croient", les dégâts que ces promesses non tenues occasionnent dans les quartiers sont considérables.
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