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Accueil du site > Tribune Libre > Témoignage : 11 août 1999, mon éclipse à moi

Témoignage : 11 août 1999, mon éclipse à moi

Il y a 10 ans presque jour pour jour, la France s’éveillait dans l’attente de l’éclipse totale de Soleil tant annoncée qui devait avoir lieu en milieu de journée au nord de Paris. Cet événement ayant marqué tous ceux qui ont pu le vivre dans de bonnes conditions, j’ai retrouvé un compte-rendu passionné que j’avais rédigé quelques semaines plus tard, et vous invite aujourd’hui à revivre en direct ce grand moment...

C’était le 11 août 1999 à 11h04, nous étions à côté de Reims, au nord de Paris, et C. venait de crier « Premier contact ! C’est le premier contact ! », et en effet, la Lune commençait à passer devant le Soleil…

Depuis des mois déjà, nous en parlions : cette éclipse totale dans le nord de la France, on ne pouvait pas la rater. Au départ, nous devions aller du côté du Verdun, mais il y avait un gros problème : à l’est, la météo prévoyait des nuages, et à l’ouest… aussi ! On arriva la veille au soir et il fallut trouver un site dégagé : bonne idée mais… nous n’étions pas les premiers à y avoir pensé ! Des astronomes avaient loué à des paysans le bout de terrain placé le plus idéalement, nous en interdisant l’accès ! En plus, il pleuvait : allait-on au moins la voir ? Après quelques tours et détours dans la campagne on se mit d’accord sur un coin loin de la route, sans arbre ni habitation, et dégagé en direction du nord-ouest. En effet, l’ombre de la Lune allait arriver de ce côté-là en provenance d’Angleterre, et on ne voulait pas la rater. Dans les tentes, la nuit fut courte entre les conversations à la CB qu’un petit poste nous permettait de capter secrètement entre ceux qui dormaient dans les voitures, et C. qui provoqua une panique générale en détruisant sa tente à grands cris au milieu de la nuit ! On crut d’abord à l’attaque d’un animal sauvage, mais au final, il n’avait fait qu’un mauvais rêve… Puis le ciel se dégageant, on put même faire quelques observations au milieu de la nuit. 7h-7h15, lever pour tout le monde (de toute façon avec le bruit qu’ils faisaient…) et… quel ciel ! On aurait dit un couvercle de brume qui, sur tout l’horizon, nous fit presque regretter d’être venus. Mais on espérait encore. A coups de bulletins météos on attendit le premier contact qui arriva vers 11h04 dans un ciel mi-dégagé, mi-nuageux. Enfin nous y étions !

Quand le disque lunaire commence à recouvrir le disque solaire, on parle donc de « premier contact ». Encore une heure et vingt minutes et le disque de la Lune aurait recouvert la totalité du Soleil. Nous avions bien sûr amené nos lunettes de protection, quelques uns avaient des jumelles, et même un télescope. Tous les instruments furent préparés pour l’observation du Soleil et on put tranquillement contempler la progression de la Lune. Pendant que le Soleil disparaissait, les taches solaires à sa surface étaient magnifiques : au télescope on les distinguait très nettement.

Et le temps passait, et la tension montait. En effet, les nuages étaient toujours très présents. Justement, on entendit à la radio quelques minutes avant la totalité, que l’ombre de la Lune venait de toucher le sud de l’Angleterre et qu’ils ne la voyaient pas à cause des nuages. Au même instant, un gigantesque nuage passa au-dessus de nous et éclipsa le spectacle pendant 3 bonnes minutes (plus que les deux minutes et quinze secondes de l’éclipse !). Nous avions très peur…

Depuis quelques minutes déjà, la luminosité baissait régulièrement. Quand le Soleil fut recouvert à 90-95%, les couleurs commencèrent à changer : on se croyait au soir ou pendant un orage. La luminosité était beaucoup moins forte, mais paradoxalement les couleurs étaient beaucoup plus contrastées. Nous avions un thermomètre, il tomba de 5 degrés entre le premier contact et la totalité (on l’oublia ensuite, pris par le grandiose spectacle). Nous avons dû perdre en tout, une dizaine de degrés.

La tension était vraiment palpable. Autour de nous, presque 100 voitures nous avaient rejoints, quelques télescopes étaient sortis, et l’ambiance était bon enfant.

Et plus que quelques secondes avant le début de la totalité : consciemment ou inconsciemment, on se regroupa face au nord-ouest. Nous voulions voir l’ombre arriver, mais en même temps il fallait guetter le Soleil. En effet, lorsque celui-ci disparaît, apparaissent furtivement les « grains de Baly ». Ce sont de petits points de lumière qui marquent le début de la totalité. En effet, la surface lunaire n’étant pas lisse, quelques cratères vus de profile laissent passer les derniers rayons de Soleil. De la même façon, ils annonceront, de l’autre côté du disque noir, le retour de la lumière.

Au nord-ouest il faisait bien sûr beaucoup plus sombre qu’autour de nous, il semblait même faire déjà nuit. A la radio, les unes après les autres les villes annonçaient d’ailleurs la totalité : l’ombre arrivait. Plus que quelques secondes… nous ne tenions plus en place. Tout à coup effectivement, des flashs crépitèrent au nord-ouest ! Là-bas on y était, ils étaient dans le noir et commençaient à immortaliser le spectacle ! En regardant le ciel, le Soleil était bien recouvert à 99%, et pourtant on ne pouvait toujours pas le regarder à l’œil nu. A cause des nuages, on ne vit pas arriver l’ombre de la Lune (elle se déplace à très très grande vitesse), mais on vit tout de même un grain de Baly.

L’éclipse était commencée : on criait ! Et on hurlait ! Nous étions en plein sur la ligne de totalité et la nuit venait de tomber à midi 26 ! QUEL PIED !

 

Et tant de choses à voir ! Quel spectacle dans le ciel ! Un soleil noir illuminait les cieux d’une lumière absolument irréelle. Il ne faisait pas tout à fait nuit, mais il ne faisait pas jour non plus : nous voyions très bien autour de nous. L’astre noir et presque effrayant qui se trouvait au-dessus de nous brillait d’une lumière morte. Au sud-ouest du disque apparut Vénus. A l’œil nu, la couronne solaire faisait le tour de ce Soleil noir, et on voyait même les protubérances solaires : de petites excroissances rouges dépassaient du disque noir.

Je me jetai alors sur le télescope encore laissé à l’abandon, tellement le spectacle était prenant, je le réglais et vis très nettement ces protubérances, dont une jaillissait littéralement du Soleil, détachée de lui. Elle était d’un rose - rouge très prononcé. Nous avions calculé qu’à neuf sur le télescope pour une durée d’éclipse de deux minutes et quinze secondes, nous n’avions droit (pour garder une marge d’erreur) qu’à dix secondes d’observation chacun tout au plus. Mais c’était la règle. Aux jumelles le spectacle était aussi magnifique.

A. décomptait les secondes : il ne fallait surtout pas être sans nos lunettes au moment où le Soleil réapparaîtrait. Du fait de l’obscurité en effet, nos pupilles seraient encore très dilatées, le soleil pourrait nous brûler les yeux. Heureusement, il ne se laissa pas distraire, et on se regroupa juste avant la fin de la totalité, face au nord-ouest, comme tout à l’heure. Mais nous ne guettions plus l’arrivée de l’ombre de la Lune, nous attendions l’arrivée du jour, et la fin d’un moment d’intense bonheur….

Ce fut un peu comme le lever du jour (le deuxième de la journée !), mis à part que ce serait sans l’apparition familière du Soleil. Et l’horizon nord-ouest s’éclaircissait effectivement petit à petit… et A. continuait de décompter… et on ne voulait pas que cela se termine… Sous les nuages, l’horizon reprit alors sa couleur première, et nous regardâmes de nouveau le Soleil : deux grains de Baly apparurent, l’astre solaire reprenait vie. Ces deux grains se joignirent alors en un magnifique diamant avant que la lumière ne redevienne aveuglante. « Les lunettes ! Les lunettes ! », criions-nous depuis quelques secondes… et tous mes spectateurs s’agitaient de partout, la lumière revenait !

Deux minutes et quinze secondes, que c’est court ! Nous n’avions évidemment pas vu le temps passer, et déjà, c’était fini. Pendant quelques secondes, voire quelques minutes, nous restâmes tous un peu hébétés, le sourire aux lèvres pour la plupart. On se serrait dans les bras, nous étions heureux, mais il restait comme un sentiment d’insatisfaction : B. me dit même « j’ai l’impression que je l’ai ratée, je n’ai rien vu ! ». Et c’était un peu vrai : il y avait tellement à regarder que l’éclipse était passée trop vite pour que l’on garde le sentiment de l’avoir savourée pleinement. C’était aussi la première pour tout le monde : nous ne savions plus où donner de la tête.

Et puis, champagne ! Et on en profita pour écouter l’enregistrement sonore, C. ayant eu l’excellente idée d’amener son dictaphone. On repassa le moment du premier contact et on n’en revenait pas : on ne criait pas, on hurlait, on aurait dit des fous ! Mais… nous étions fous à ce moment-là, car un tel spectacle vous prend intégralement. Comment s’étonner d’ailleurs, qu’il déclenche des vocations !?

Depuis quelques temps, nous sommes quelques-uns à avoir un rêve : en voir une autre. D’ailleurs… ce n’est pas un rêve : il faut qu’on en voie une autre !

 

(texte rédigé donc, en 1999)


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10 réactions à cet article    


  • Mmarvinbear mmarvin 12 août 2009 12:19

    Celui qui, à 50 ans, n’a pas assisté à une éclipse totale de soleil, a raté sa vie...

    J’eus le malheur de me trouver sous une chape de nuages sombres à ce moment là. De dépit, je me suis juré ce jour-là de ne pas rater la suivante, qui aurait lieu en Zambie deux ans plus tard (j’écarte d’office les éclipses vues depuis les pôles...).

    Quelques milliers de francs plus tard (oui de francs, c’était en 2001), je me suis retrouvé à une cinquantaine de kilomètres de Lusaka, en compagnie d’autres passionnés qui avaient aussi sortis quelques dizaines de dollars US (je ne sais pas pourquoi, mais les commerçants et gouvernants zambiens adorent les dollars plus que leur monnaie nationale...) pour payer une taxe exceptionnelle sur les instruments d’optique votée par le parlement zambien quelques semaines plus tôt...

    Et là, quel spectacle ! Ne pas rater le premier contact avec le télescope amené exprès (je défie d’ailleurs quiconque d’ installer une monture équatoriale dans l’hémisphère sud sans péter un boulon à un moment ou à un autre... c’est terrible, les habitudes...), assister à la progression du disque, voir le ciel s’assombrir, entendre pour de bon les oiseaux se taire, croyant au crépuscule...Et entendre à ce moment une chorale d’écoliers locaux commencer à chanter pour accompagner le spectacle céleste. Et gratuitement en plus. C’était d’ailleurs la seule chose gratuite ce jour-là...

    Quel moment !

    Je n’ai pas encore 50 ans, mais je sais depuis cet instant que je n’ai pas raté ma vie.


    • Kepler69 12 août 2009 13:50

      Merci à vous, je vous que nous voyons la chose de la même façon smiley


    • L'enfoiré L’enfoiré 12 août 2009 17:51

      @L’auteur,
      Merci pour ce rappel. J’ai encore les lunettes dans un tiroir.
      Je me rappelle cette journée comme si c’était hier pendant laquelle beaucoup de collègues avaient pris congé.
      Dernièrement, ce fut au Japon. Pour nous, ce sera dans une autre vie, la prochaine édition.


      • L'enfoiré L’enfoiré 12 août 2009 17:53

        Je signale que des éclipses de lune, j’ai déjà assisté à deux épisodes.
        Une fois, en avion, une autre, en Italie.
        Cela vaut son attraction aussi. La lune qui devient orangée. 


        • Mmarvinbear mmarvin 12 août 2009 18:57

          C’est vrai, mais c’est plus banal, car plus facilement observable. La prochaine éclipse solaire visible depuis la France n’aura pas lieu avant 2080 (à quelques années près...).

          Vu que je serai surement mort à ce moment là, autant commencer a mettre de l’argent de coté pour l’eclipse 2017 aux USA.


        • Gasty Gasty 12 août 2009 19:53

          La ou j’étais, l’éclipse n’était pas total mais la baisse de la luminosité avait en effet un aspect irréel. La clarté n’était plus suffisante pour projeter une ombre franche au sol, une clarté blafarde d’un soleil en train de s’éteindre en plein midi.

          Après cela, on revoit son ombre qui réapparait progressivement.


          • Hieronymus Hieronymus 12 août 2009 23:53

            Tres bon article
            helas ete 1999 je n’etais pas sur la bande d’eclipse totale
            pour moi une eclipse solaire, c’est et restera toujours incarne
            par la comedie jouee par Tintin a l’Inca dans le Temple du Soleil


            • Paul Cosquer 13 août 2009 00:46

              Moi je l’ai vue, j’étais à Caen
              et la prochaine à quand ?

              Car la Bretagne était couverte. J’en ai profité pour visiter la Normandie (qui nous avait refiler ses nuages, ça fait pas de doute..) avec mes fistons qui étaient alors petits et qui s’en souviennent encore..

              Et une éclipse à l’anglaise, connaissez ? Bon je m’éclipse, bonne nuit.


              • LE CHAT LE CHAT 13 août 2009 09:04

                dans les bouches du Rhône , le spectacle valait pas celui qu’on pouvait avoir à Paris ; mais on a quand m^me été regarder avec des filtres pour masque de soudeur , c’était cool .

                En tant que numismate , je remercie la Roumanie d’avoir pensé à cet évenement avec une pièce de 500 lei  et un billet de 2000 lei

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