Tempête dans un verre d’eau au Golfe : la guerre picrocholine entre Salman et Tamim
« Nombre d'États du Golfe lorgnent sur le patrimoine français et tentent, des pétrodollars plein les poches, d'acheter tout ce qui peut l'être avant épuisement de l'or noir. Jusqu'ici nos dirigeants leur avaient résisté - du moins en apparence -, offusqués par tant d'audace. Mais, avec le Qatar, c'est une tout autre histoire. La France est devenue le terrain de jeu sur lequel la famille Al-Thani place et déplace ses pions politiques, diplomatiques, économiques, immobiliers ou industriels. »
Pierre Péan et Vanessa Ratignier « Une France sous influence. Quand le Qatar fait de notre pays son terrain de jeu », éd. Fayard, septembre 2014.
Voilà ce que peut faire la diplomatie du chéquier qui arrive à venir à bout de tous ceux qui, en apparence, sont incorruptibles. On prête à Henri Kissinger cette fameuse phrase : « Tout homme a son prix. » C'est dans ce cadre que l'on peut comprendre entre autres les réceptions de l'ambassadeur du Qatar en France qui offre à ses invités au moment du départ, des chèques de 10 000 euros. Combien parmi les bien-pensants politiques en France n'ont pas émargé ?
Combien n'ont pas fait du chantage en demandant carrément de l'argent pour prix d'une position conciliante ? C'est d'ailleurs dans ce cadre que l'on peut comprendre l'octroi de l'organisation de la Coupe du monde au Qatar en 2022 avec dit-on son cortège de corruptions multiples. La rente imméritée, des pays arabes pétroliers installés dans les temps morts, leur permet de prendre en otage leurs peuples les condamnant à regarder filer à toute vitesse le train du progrès tandis qu'ils ruminent sur le quai de la gare leur frustration.
On peut comprendre le mépris dans lequel sont tenus ces potentats gros, gras et bien nourris pendant que la misère s'avère être la calamité la mieux partagée pour des centaines de millions, voire des milliards de besogneux, quelles que soient leurs latitudes. Non, les Arabes ne sont pas que cela ! Il fut une époque où ils représentaient l'espérance de l'humanité.
Un colosse financier avec un sabre nain
Le Qatar est un Emirat du Moyen-Orient d'une superficie de 11 427 km². pour trois cent mille autochtones et un million d'étrangers qui ont un statut peu enviable, surtout s'ils ne sont pas des Occidentaux. Petit producteur de pétrole, il est aussi le troisième producteur de gaz naturel du monde après l'Iran et la Russie. On ne parle du Qatar que dans la démesure, en termes de gaspillage d'une rente imméritée, on oublie aussi de parler de sa capacité de nuisance qui lui a permis -diplomatie du chéquier aidant- de faire ce qu'il veut et de se donner une visibilité à travers une chaîne médiatique « El Jazeera » avec des appréciations sélectives, mais aussi en se prenant pour un stratège guerrier quand il s'est agi de chasser en meute derrière la France et le Royaume-Uni le gibier Kadhafi. (1)
« Si des personnes ont pu être dupes de la pseudo-révolution libyenne soutenue par les « révolutionnaires » bien connus que sont Nicolas Sarkozy, Bernard-Botul-Henri Lévy ou David Cameron, voilà qui pourrait leur ouvrir les yeux... Pour la première fois, le Qatar admet avoir participé aux opérations sur le terrain aux côtés des rebelles libyens. (...) Trois jours après la proclamation par le CNT de la « libération » totale de la Libye, les chefs d'état-major des pays engagés militairement en Libye se retrouvent pour une réunion à Doha, au Qatar. A cette occasion, le chef d'état-major qatari, le général Hamad ben Ali al-Attiya, a révélé que des centaines de soldats du Qatar ont participé aux opérations militaires aux côtés des rebelles en Libye. On apprend même que le président Omar el-Béchir du Soudan a fourni quantité d'armes aux prétendus « rebelles ». Il apparaît aussi, écrit Ian Black, que c'est le Qatar qui dirigera les efforts internationaux pour former l'armée libyenne, récupérer les armes et intégrer les unités rebelles souvent autonomes dans de nouvelles institutions militaires et de sécurité (...) Et lors de l'assaut final contre le QG de Kadhafi à Tripoli fin août, les forces spéciales qatariennes étaient en première ligne. Le Qatar a aussi accordé 400 millions de dollars aux rebelles, les a aidés à exporter le pétrole depuis Benghazi et a monté une station de télévision à Doha. (...) » (2)
La rupture des relations Arabie saoudite et consorts vs le Qatar
Une tempête dans un verre d'eau ! Le monde va s'arrêter de tourner car deux potentats gros et gras et bien nourris, qui n'ont rien apporté à la civilisation humaine, sont en froid ! On dit même que le mardi 6 juin à midi, l'émir du Qatar a promulgué un décret mettant les forces armées qataries en état d'alerte pour faire face à toute agression éventuelle contre ce pays. Le Qatar a annoncé dans la nuit du mardi 23 mai que son agence de presse QNA avait été piratée par une entité inconnue et qu'un faux communiqué attribué à l'émir avait été diffusé. Ce dernier affirmait que Tamim Ben Hamad Al-Thani s'était prononcé sur divers sujets sensibles mettant en cause ses voisins du Golfe et notamment la nécessité de réexaminer les relations avec l'Iran. Et alors ?
Ce sont des farces risibles qui n'intéressent que les médias qui font du scoop, sans épaisseur leurs fonds de commerce. On dit que tout cela est dû à la rencontre Trump-Salmane qui a conforté les Saoudiens en leur disant faites ce que vous voulez, mais en payant le prix du deal. D'abord, les cadeaux inimaginables une épée de 25 kg d'or et incrusté de diamants, un voilier de 140m et en prime un petit cadeau à la fille du président évalué à 200 millions de dollars Ensuite, la consistance du deal : près de 400 milliards de contrats dont 100 milliards d'armes qui vont servir à l'Arabie saoudite de faire la guerre à d'autres Arabes.
Pendant ce temps, les Saoudiens lambda vont se serrer la ceinture d'autant que le déficit frise les 90 milliards de dollars et que le prix du baril est à moins de 50 dollars. Bref, l'Arabie saoudite veut créer une Otan arabe - elle a enrôlé l'Egypte- avec une armée de 34 000 hommes et elle a reçu l'assurance de Trump dans sa « croisade » ou « djihad » contre un autre pays musulman qui vient de faire une leçon magistrale au monde occidental en organisant des élections transparentes propres et honnêtes qui ont vu la reconduction de Rohani universitaire et homme pondéré qui a réussi l'accord sur le nucléaire. Aucun média occidental n'a était objectif pour rapporter l'évènement L'acharnement des Saoudiens à l'endroit de l'Iran est conforté par les Américains et par Israël qui y voit une occasion de démolir le dernier domino qui représente un islam du savoir. Naturellement, pour les vassaux américains du Golfe, ce serait le rêve et cela restera un rêve.
Pourquoi le Qatar est-il devenu infréquentable ?
Hala Kodmani, ancienne fille de diplomate syrien ayant émargé au râtelier de la République syrienne avant de déclarer par ses filles interposées la guerre à Bachar el Assad, nous donne des éléments de réponse complémentaires : « Cette décision vise surtout à affaiblir l'activisme diplomatique de l'Emirat et à raviver les tensions avec l'Iran. C'est la grande déchirure entre pays arabes sunnites. Le Qatar est accusé de soutenir le « terrorisme ». Doha a dénoncé une décision « injustifiée » et « sans fondement ». Celle-ci a été prise « avec l'Egypte » et a un « objectif clair : placer le Qatar sous tutelle, ce qui marque une violation de sa souveraineté », a affirmé le ministère qatari des Affaires étrangères. (...) Mais tout commence le 23 mai lorsque l'agence de presse officielle du Qatar annonce que son site a été piraté et que de fausses informations ont été diffusées. Il s'agit de déclarations prêtées au dirigeant du Qatar, le cheikh Tamim al-Thani. » (3)
« Ce dernier aurait mis en garde ses pairs du Golfe contre une confrontation avec « l'Iran, poids lourd régional islamique qu'on ne peut ignorer », tout en défendant le Hamas palestinien et le Hezbollah libanais (...) La querelle survient au lendemain de la visite de Donald Trump à Riyadh (le 21 mai) où a été célébrée en grande pompe l'alliance historique retrouvée entre les Etats-Unis et les pays arabes sunnites longtemps qualifiés de « modérés ». A contre-pied de la politique de Barack Obama, marquée par la volonté de conclure l'accord international sur le nucléaire iranien, Donald Trump dénonce dans son discours à Riyadh « les interventions déstabilisatrices » de l'Iran chiite dans les pays arabes, accusant Téhéran d'être derrière le terrorisme. « Le soutien de Trump a donné des ailes à l'Arabie saoudite pour conforter son leadership dans la région et sa ligne dure face à l'Iran » (3)
Le soutien au terrorisme, la chose la mieux partagée dans les pays du Golfe
C'est se moquer du monde que d'attribuer au seul Qatar le soutien au terrorisme ! Pourtant, toute honte bue, les Saoudiens invoquent cela comme mise au ban du Qatar. Pour rappel, 15 des 19 kamikazes du WTC étaient saoudiens et curieusement, le Sénat américain qui a voulu demander des comptes à l'Arabie saoudite n'a pas vu sa demande aboutir ! : « Le communiqué officiel saoudien justifiant sa décision souligne que « le Qatar accueille divers groupes terroristes pour déstabiliser la région, comme la confrérie des Frères musulmans, Daesh et Al-Qaeda ». Des accusations qui mettent sur le même plan les Frères musulmans et les organisations jihadistes extrémistes, y compris l'Etat islamique, ne peuvent qu'emporter l'adhésion de l'Egypte du maréchal Al-Sissi et des Emirats arabes unis, qui ont mis la confrérie sur liste noire.
L'Iran technologique pomme de discorde
L’Iran à bien des égards, est l’ennemi juré des potentats du golfe mené par l’Arabie Saoudite. La première raison est la jalousie menée d’impuissance. Comment se fait il que ce pays par la force de sa capacité scientifique et technologique arrive à faire jeu égal avec les pays occidentaux industrialisés ? La seconde raison est la peur du chiisme et de l’hypothétique arc qui va de l’Iran, à l’Irak, à Bahrein, mais aussi à la Syrie et à la population chiite saoudienne évaluée à 20 % en proche du golfe persique ..La troisième raison est l’hubris au rabais des saoudiens qui se veulent les maitres du monde arabe dictant la norme au Moyen Orient. A tort ils pensent que l’armement peut faire la différence ; L’a t-il fait au Yemen où les Saoudiens s’enlisent ? Tous les pays occidentaux ont ravitaillés les Saoudiens pour aller porter l’épouvante au sein d’une population yéménite qui fait face à la terreur des bombes de la « coalition menée par l’Arabie Saoudite imitant celle de Norman Schwarzkopf pendant la deuxième guerre du golfe de 1991. Cette même population oubliée des médias occidentaux et pour cause de contrats d’armements fait face à la famine, mais aussi au choléra qui prend sa dîme chaque jour.
Au moment où le Royaume wahhabite veut constituer un axe sunnite fort face à la République islamique chiite (son grand rival régional), le Qatar vient brouiller les cartes. « Cette division au sein du CCG - qui est un ensemble régional cohérent et réussi, et dans lequel l'Iran a toujours vu une menace - ne peut que réjouir Téhéran ». Une médiation prochaine devrait calmer le jeu. Elle peut venir du Koweït ou du Sultanat d'Oman, les deux membres du Conseil de coopération du Golfe qui n'ont pas pris partie dans la querelle. La Turquie, qui entretient des rapports étroits avec les monarchies du Golfe, s'est déclarée prête à aider au dialogue. Mais c'est surtout l'appel du secrétaire d'Etat américain Rex Tillerson « aux pays du Golfe à résoudre leurs désaccords », qui devrait constituer une pression forte.
« Il s'agit finalement d'une querelle de famille entre enfants gâtés », Olivier Demeulenaere abonde dans le même sens : « L'Orient étant, comme on le sait, compliqué, d'autres raisons s'ajoutent naturellement à cette guerre contre l'Iran. « Les raisons de la crise entre le Qatar et l'Arabie saoudite ne tiennent pas au soutien qatari apporté aux terroristes islamiques en Libye, en Syrie, au Yémen ou en Irak, mais bel et bien au rapprochement du Qatar avec l'Iran. Ce que les pays du Golfe sunnites et alliés d'Israël ne pouvaient tolérer plus longtemps. Certains vont jusqu'à considérer que le Qatar est l'ouverture de l'Iran sur les pays du Golfe. Le Qatar est le seul pays membre du Conseil de coopération du Golfe (CCG) qui maintient des relations normales avec Téhéran. La récente rencontre entre Donald Trump et les élites politiques saoudiennes avait pour objectif non seulement de vendre massivement des armes, mais aussi de créer une sorte d'« Otan arabe » dans le but de contenir l'Iran » (4)
« En matière de terrorisme, si le Qatar a financé et armé les groupes terroristes tels qu'Al-Qaïda en Syrie, l'Arabie saoudite (principal allié des Etats-Unis, d'Israël, de la France et de la Grande-Bretagne dans la région) finance et arme également le « terrorisme islamiste dans le monde. Une investigation récente publiée par le think tank étatsunien Institute of Gulf Affairs » révèle que la nationalité la plus répandue au sein de l'Etat islamique est la nationalité saoudienne. De plus, cette étude révèle que plus de 400 étudiants saoudiens aux Etats-Unis ont rejoint les camps de l'Etat islamique avec la bénédiction de l'Arabie saoudite et la complicité des services états-uniens. Une vaste hypocrisie que les médias atlantistes tendent à masquer''. On sait depuis 2011 que les Occidentaux financent, arment les terroristes d'Al-Qaïda avec la complicité du Qatar et de l'Arabie saoudite d'abord en Libye puis en Syrie, mais silence dans les rangs il ne faut pas trop le répéter. Sauf si cela sert la cause saoudo-israélo-états-unienne contre leur ennemi juré : l'Iran ? Où l'on perçoit que le terrorisme et son financement ne sont que l'instrument d'une géopolitique à la confluence des intérêts occidentaux et des pays du Golfe au Moyen-Orient ? » (4)
Benjamin Barthe va plus loin. Il parle d'une mise au pas : « L'Arabie saoudite, les Emirats arabes unis, le Yémen, Bahreïn, l'Egypte et les Maldives accusent le petit Emirat gazier de complaisance à l'égard de l'Iran et des mouvements islamistes, les deux principales sources de déstabilisation dans la région selon eux. Ces pays ont accompagné leur décision de mesures de rétorsion : la fermeture de leurs frontières terrestres et maritimes avec Doha, la suspension des vols de leurs compagnies aériennes en direction de cette ville, la fermeture de leurs espaces aériens à la compagnie Qatar Airways Le Qatar a également été exclu de la coalition militaire intervenant au Yémen sous commandement saoudien. » (5).
« Il s'agit poursuit-il principalement d'obliger le Qatar à rentrer dans le rang. Depuis son indépendance, en 1971, ce petit Emirat la joue solo. La mise en valeur de son immense champ de gaz, au début des années 1990, lui a donné les moyens de développer un activisme diplomatique frénétique et de développer un soft power tapageur, en investissant tous azimuts, dans le sport, la culture, les musées, etc. A cela s'ajoute son tropisme islamiste, qu'il ne justifie pas tant par une adhésion aux thèses de l'islam politique que par la nécessité d'ouvrir des canaux de communication avec tous les acteurs politiques du monde arabe, et de s'offrir ainsi des relais d'influence. Un positionnement insupportable pour les Emirats et l'Arabie saoudite qui redoutent l'influence des islamistes sur leur opinion publique. » (5)
Le rapport du Qatar à l'Iran est compliqué. L'Emirat partage l'inquiétude de ses voisins en ce qui concerne l'ingérence de Téhéran au Proche-Orient. Il s'est beaucoup investi en Syrie, en soutenant l'opposition armée au régime de Bachar Al-Assad, qui est soutenu, là encore par des milices à la solde de Téhéran. Mais le Qatar ne semble pas disposé à aller plus loin. Il considère que l'escalade prônée par Washington, Riyadh et Abou Dhabi n'est pas la bonne solution. Juste après le sommet de Riyadh, l'émir du Qatar, Tamim Ben Hamad Al-Thani, a appelé le président iranien, Hassan Rohani, pour insister sur la nécessité de poursuivre le dialogue entre les deux rives du Golfe. Pour ce qui est des Etats-Unis, on peut se dire de prime abord qu'ils ne sont pas mécontents de ce qui arrive au Qatar. » (5)
On l'aura compris aves Jean Christophe Catalon, : « Les déclarations du président américain, Donald Trump, lors de sa tournée diplomatique au Moyen-Orient deux semaines plus tôt, définissant un axe du « Mal » composé de l'Etat islamique et de l'Iran, ont pu jouer dans le déclenchement de cette crise entre les monarchies du Golfe. » (6)
Quel est le grand bénéficiaire de cette fitna dans un verre d'eau qui doit prêter à sourire dans les chancelleries occidentales ? Ce sera le futur allié Israël qui commence déjà à aider les pays du Golfe enterrant implicitement la cause palestinienne.
1. Chems Eddine Chitour https://www.egaliteetreconciliation.fr/L-enigme-du-Qatar-Un-colosse-gazier-avec-un-sabre-nain-9427.html
2. http://www.mathaba.net/news/?x= 629178
Professeur Chems eddine Chitour
Ecole Polytechnique enp-edu.dz
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