Terrorisme : sommes-nous si innocents que ça ?
![](http://www.agoravox.fr/local/cache-vignettes/L300xH200/nicolas-sarkozy-hosni-moubarak-462111-45223.jpg)
Le débat s’installe aux Etats Unis, sur les causes du terrorisme et plus particulièrement sur les dynamiques générant les attentats suicide. En référence à la fameuse phrase de Clinton « c’est l’économie, stupide » un article de Robert Pape à Foreign Policy résume par son titre la problématique : « c’est l’occupation, stupide ». En effet, pour Pape, la multiplication des attentats suicide est à chercher au fait que les Etats Unis et leurs alliés occupent des terres musulmanes voire leurs lieux saints. L’avantage de ces recherches, mais aussi celles qui contestent la théorie de Pape, c’est qu’enfin on conteste la vision arrogante et faussement naïve du Président Bush qui expliquait l’attentat du 11 Septembre par le fait que les terroristes fondamentalistes « haïssent nos libertés : notre liberté de religion, de parole, de vote, de désaccord mutuel ».
A cette explication, qui place automatiquement l’essence du conflit à un niveau immatériel de « valeurs », de culture, - sans doute le meilleur support à la théorie de la guerre des civilisations de Huntington -, est, quoi que l’on dise a postériori, la voie royale et insouciante dans laquelle s’est engouffré l’ensemble des dispositifs anti-terroristes du monde occidental. Insouciante par ce que, vu ainsi, nous sommes attaqués sur nos valeurs, notre bonne volonté, nos aspirations humanistes et de bonne foi. Bref, nous y sommes pour rien, l’agresseur est ailleurs. L’aspect universel de la riposte terroriste, qui situe le champ de bataille n’importe où (et plus particulièrement là où ça fait le plus mal c’est-à-dire au sein même de notre vie quotidienne) permet de perpétuer sans questionnement particulier cette vision millénariste des choses.
Le pavé dans la mare jeté par Pape, tout comme la critique faite à son égard par Ashworth, Clinton, Meirowitz et Ramsay de l’université de Princeton dans la American Political Science Review se fondent sur l’analyse statistique des attentats. Pour Pape, les attentats se multiplient et vont crescendo en réponse à la présence américaine, ses interventions militaires et ses occupations au sein des terres musulmanes (Yémen, Somalie, Soudan, Arabie saoudite, Koweït, Iraq, Afghanistan, etc.). L’action militaire en Yémen, Somalie, Soudan et Afghânistân, tout comme la première guerre du Golfe et la présence militaire aux terres saintes arabiques se situant avant les attentats du 11 septembre. C’est d’ailleurs un fait incontestable que la présence des troupes américaines au sous-continent arabique déclencha la création d’Al Quaida.
Entre 1980 et 2001 il y a eu 188 attaques suicide, et seulement 10% étaient des actes « antiaméricains ». Depuis 2001, il y a eu plus de 2000, dont plus de 90% visaient l’Amérique, les américains et leurs alliés. Soit dit en passant que l’autre fameuse phrase de Bush « si vous n’êtes pas pour, vous êtes contre », a largement ouvert l’éventail des dits « alliés » (de gré ou de force).
Ainsi, la guerre globale des terroristes est une guerre ayant pour but de chasser l’occupant, tandis qu’elle se résume, pour l’administration américaine à une guerre défensive (avec l’avatar des armes de destruction massive) d’une part, d’autre part à une croisade affirmée pour « installer une démocratie irréprochable » (dixit Bush) en terres musulmanes.
En prenant l’exemple des tigres tamouls (autres champions des attentats suicide antes 11 septembre), les universitaires de Princeton, rétorquent que l’affirmation religieuse n’est pas la règle d’une résistance fondamentaliste puisque ces derniers étaient des « marxistes léninistes ». Ce qui n’est pas exact. Les tigres étaient avant tout tamils et luttaient, de leur point de vue, contre une « occupation » ethnico-religieuse. Les attentats du Hezbollah contre les troupes françaises ont eu comme effet leur départ du Liban, et c’était bien le but énoncé dans un environnement d’alliances contre nature où, comme aujourd’hui, le religieux, le national, le séculier et l’ethnique étaient entremêlés.
Si le débat est salutaire il reste a-historique et technocratique. En effet, les universitaires de Princeton concluent sur une équation mathématique de probabilités réfutant (en partie) les données statistiques de Pape. Mais là est-il le problème ?
A l’occasion du silence assourdissant accompagnant la chute de « l’ami dictateur Ben Ali » en Tunisie de la part du gouvernement Français, il est bon de rappeler que pendant plus de trente ans, Américains, Israéliens et occident dans son ensemble, ont privilégié (et financé) l’éclosion du fondamentalisme, ont toujours choisi Riad contre Nasser, l’OLP, Kadhafi (première version) ou le FLN. Et que les vingt années qui s’en suivirent ils s’appuient sur toute forme de dictature (laïque, héréditaire ou royale) rétrograde ou « moderniste » pour faire face à ce qu’ils ont, eux mêmes, mis sur pied. Sans toutefois mettre en cause la matrice, l’Arabie Saoudite, ni mettre en cause ses pratiques et traditions moyenâgeuses, qu’ils essaient d’imposer sur les terres afghanes et iraquiennes, en s’alliant par ailleurs de fait avec une république islamiste, l’Iran. Qui par ailleurs reste toujours dans la parole des présidents américains « le grand Satan ».
Ces contradictions géopolitiques, ces non sens conceptuels et sélectifs ne passent pas inaperçus en terre d’islam. Elles renforcent l’idée que toute croisade « bienveillante et désintéressée » cache mal des visions impérialistes et des arrières pensées d’intérêts économiques. (Elles n’étaient pas non plus passées inaperçues en Amérique Latine, avec l’Irangate et le Contras-gate).
Pour eux, il s’agit en effet d’une guerre de libération à laquelle nous avons extirpé pendant un quart de siècle la fibre nationaliste ou gauchisante. Ne reste que le sacré. Il est temps pour nous de comprendre que couvrir les dictateurs et féodaux de tout poil ne fait que perpétuer la radicalisation fondamentaliste, ce bâtard que nous avons froidement déshérité une fois que l’agresseur soviétique et ses acolytes ont perdu la bataille.
54 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON