The Smiling Killer, l’autre tueur venu du Canada
Depuis son arrivée à la direction générale de Sanofi en 2008, le canadien Chris Viehbacher a imposé une nouvelle impulsion au laboratoire pharmaceutique. Une impulsion puisant dans sa conception très anglo-saxonne de l’entreprenariat. Car la santé outre-Atlantique, c’est avant tout un business.
Chris Viehbacher : un patron aux pouvoirs hors du commun
"La pharmacie est un beau métier... quand on détient des brevets." – Chris Viehbacher
Cette petite phrase est révélatrice du paradigme Viehbacher, plus proche de celui d’un Apple bloquant toute innovation à coup de procès pour protéger ses brevets (le dernier exemple rocambolesque étant la guerre avec Samsung) - et usant de tout son poids financier pour acheter ceux des petits - que d’un Wikipedia ou d’un Mozilla misant sur l’open source pour mettre l’avancée technologique au service de tous. L’exemple est certes critiquable : Apple et Samsung sont des groupes, Wikipedia et Mozilla des fondations. Il donne cependant le ton sur les buts des uns et des autres, et met à mal certaines formes de communication laissant à penser que l’intérêt commun est le leitmotiv de tous.
Aussi, Sanofi est un groupe n’ayant pas vraiment les mêmes desseins que les fondations citées, et comme toute entreprise, le but de Sanofi est de faire du chiffre. Et le chiffre passera par deux conquêtes : avaler la concurrence pour faire sien ses innovations (ici les brevets concernant de nouvelles molécules), et accessoirement réveiller ses employés Français qui s’endorment sur leurs lauriers. Pour cela, il existe une arme infaillible : le plan social.
Pourtant, s’il est un fait avéré en matière de gestion des ressources humaines, c’est que le management par le stress et la terreur n’a jamais abouti à rien d’autre qu’à des catastrophes.
France Telecom a été un exemple récent édifiant, Renault a aussi marqué les esprits en matière de procès staliniens il y a encore peu.
Mais Christopher Viehbacher n’en démordra pas, la culture du résultat sera son crédo, et pour y parvenir, son surnom terrorisera le plus aguerri des syndicalistes. Son nom de guerre ? « The Smiling Killer ». Tout un programme pour des grands patrons à la vie et aux pouvoirs extraordinaires, dépeints dans la presse comme des personnages hors du commun dignes des meilleurs comics. Pas de contrôle du magnétisme ou de télékinésie ici : les pouvoirs magiques se nomment « parachute doré » ou « golden hello ».
Ainsi, M.Viehbacher aurait reçu 2.2 millions d’euros à son arrivée chez Sanofi. " Cela compensait les avantages accumulés chez Glaxo en vingt ans. Et puis on est venu me chercher" confie-t-il, en toute simplicité. Un pouvoir exceptionnel permettant au « Smiling Killer » d’accumuler avant même de commencer à travailler pas moins de 1540 smic Brut. Bruce Wayne et Clark Kent peuvent aller se rhabiller, le superpatron du XXIème siècle est décidément fort, trop fort.
Outre ces pouvoirs hors du commun, Chris Viehbacher est doué d’une super vision de l’avenir, lui permettant de décider qu’un groupe bénéficiaire, pour ne pas dire en parfait état de santé, doit licencier pour mieux faire progresser (adage capitaliste bien connu). Il s’agit d’un travail, de faire le job dirait-on outre-Atlantique. Après tout, Christopher Viehbacher a loupé de peu la responsabilité suprême au sein de GSK, et, un brin frustré, l’homme a accepté le lot de consolation Sanofi, comme le détaille le Point :
« Tout le monde pariait que le Canadien prendrait la tête de GSK. Dans la dernière ligne droite, en mai 2008, il se fait doubler." J'ai mal vécu cet épisode, très mal. " Dans sa tête, il était ailleurs. En août 2008, comme chaque année depuis quelque temps, il se retrouve en Provence pour ses vacances. C'est là que Jean-François Dehecq, le président de Sanofi, lui passe un coup de fil. Les deux hommes se connaissent pour avoir participé à des réunions professionnelles, à Paris comme à Bruxelles." Chris, serais-tu prêt à travailler pour nous ? " demande Dehecq. Avant de se prononcer, le Canadien réunit un conseil de famille (sa femme et ses trois enfants) pour savoir qui a envie de revenir en France. Par chance pour Dehecq, tous ont gardé de bons souvenirs du pays - ils sont aujourd'hui installés place des Ternes, en plein coeur de la capitale. »
En somme, une information qui écorne un peu l’image d’homme de la situation du Canadien. Car c’est leur péché mignon, aux grands patrons. Croire en leur invincibilité, et se la prouver tous les jours en s’en prenant à plus faibles qu’eux. Un peu comme un boxeur qui taperait sur le plus chétif des poids plumes, puis paraderait dans la presse qu’il est l’un des plus puissants et des plus talentueux de sa catégorie, qu’il a été appelé en tant qu’homme providentiel pour redresser une situation qui était déjà excellente, et empocher au passage 1540 mois de salaire.
« The Smiling Killer », c’est sans doute tout ça à la fois. Boxant dans la catégorie « santé », il a par le biais de Sanofi supprimé sans broncher près de 4000 postes en France, entre 2009 et 2011, à l’heure où son entreprise dégageait des bénéfices records (plus de 9 milliards d’euros en 2010).
Du jamais vu dans l’histoire de Sanofi. Le plan social étant une affaire médiatique bien ennuyeuse en France, Christopher Viehbacher a décidé de se faire remarquer pour d’autres choses, en faisant des emplettes. L’homme le dit lui même, il est parti « en shopping ». Si en France, on continue à croire bêtement que la R&D est source de croissance, aux Etats-Unis on a compris depuis longtemps que le plus malin laisse l’autre chercher, puis le rachète une fois le travail fini. Partir en shopping pour M.Viehbacher c’est ainsi racheter la concurrence à coup de millions (33 acquisitions en 2009) pour profiter de juteux brevets comblant les pertes de ceux qui passent petit à petit dans le domaine public (le public étant une notion détestée au plus haut point par le superpatron). Et au passage couper dans le budget recherche pour faire d’une pierre deux coups.
Ainsi, en 2012, tout recommence : la CFDT informe en juillet que 1500 à 2000 emplois sont menacés à court terme. Alerte médiatique, stress de l’été, « Smiling Killer » prend tout placidement et des négociations qui n’ont pas fait grand bruit ont lieu.
Pour éviter le bruit, le grand patron peut compter sur des soutiens de poids, dotés de pouvoirs tout aussi puissants que les siens :
- Vincent Bolloré, qui outre ses amitiés avec l’ancien Président Nicolas Sarkozy a su, via son groupe Havas, attirer l’oreille de Christopher Viehbacher, et lui prodiguer de justes conseils.
- Daniel Vial, ancien journaliste, créateur de l’Université de Lourmarin, organisateur des réunions permettant rencontres et échanges entre super patrons avertis.
- Maurice Lévy de Publicis, qui a essayé en vain de rejoindre l’équipe des syndicalistes en priant la main sur le cœur, de participer à l’effort collectif pour redresser le pays….Avant de revenir sur sa décision, jugeant que finalement, il était plus intéressant d’être un super patron et qu’il préférait garder son bonus de 16 millions d’euros. Il se murmure que Chris Viehbacher a été coopté au sein du club Le Siècle et a en outre bénéficié des réseaux de ce dernier.
Avec de telles amitiés, Chris Viehbacher a fait de la com’ l’une de ses priorités. En vain révèle l’Express qui décrit une com’ « A l'américaine : vidéos régulières et émissions en direct sur la web-TV, développée par AEC Partners, dont l'un des associés est François Sarkozy, frère du président. En France, ces "shows" n'ont guère trouvé leur public. »
Reste à savoir si le talentueux directeur général de Sanofi, plus prompt à défendre le profit et l’actionnaire que la veuve et l’orphelin, saura gouverner avec des syndicats de moins en moins enclins à accepter des plans sociaux dans une entreprise fleurissante.
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