Thomas Piketty, ou comment fonder des lois sur n’importe quoi...
Le cas du "capital immatériel" étant particulièrement criant, Thomas Piketty n'hésite pas à reconnaître les à-peu-près que son évaluation par le marché comporte. Ce qu'il n'oublie pas non plus de nous dire, c'est qu'il en va de même pour l'ensemble de ce dont on croirait pouvoir établir la valeur économique sur le seul prix de marché à un moment donné et en un lieu précis. Est-ce à dire, pour autant, qu'il saurait très bien que, par ce biais, nous n'atteignons que la figure, toujours changeante, plaquée par la loi de l'offre et de la demande sur la quantité de travail mise en œuvre par-delà le seul échange marchand ?
Pas sûr... Mais laissons-le nous en dire plus :
« Il y a certes un côté largement arbitraire et incertain dans le prix que les marchés financiers mettent à un instant donné sur le capital immatériel d'une société particulière, voire d'un secteur tout entier, comme l'attestent l'éclatement de la bulle Internet de 2000, la crise financière en cours depuis 2007-2008 et plus généralement l'énorme volatilité boursière. » (Idem, pages 87-88.)
Voilà pour le "capital immatériel". Passons à la suite :
« Mais il est important de réaliser dès à présent qu'il s'agit d'une caractéristique commune à toutes les formes de capital et pas seulement au capital immatériel. Qu'il s'agisse d'un immeuble ou d'une entreprise, d'une société industrielle ou de services, il est toujours très difficile de mettre un prix sur le capital. » (Idem, page 88.)
C'est ici que ça dérape d'un bout à l'autre, et que Thomas Piketty s'engouffre dans les décors de ce capital auquel, il faut bien finir par le dire, il n'a encore rien compris.
En réalité, il est très facile pour tout capital de se sou-mettre à une comptabilité précise : tout simplement parce que, en dehors de celle-ci, il n'est strictement plus rien... Du moment où il est capital-argent, à celui où il se trouve transformé en moyens de production, en matières premières, en biens intermédiaires et en main-d'œuvre, tous éléments à mettre en fonction avec un maximum d'efficacité et d'économie, et à celui, enfin, où il se voit ressortir en marchandises qui vont courir leur chance sur ce marché qui leur donne leur nom, tout est mesuré jusque dans le détail, et doit absolument l'être...
Évidemment, Thomas Piketty va s'en tirer une nouvelle fois en voyant double... Prétendant parler du capital, en réalité terra incognita pour lui, il s'avère qu'il ne nous parlait, encore et toujours, que du patrimoine :
« Et pourtant nous verrons que le niveau global du patrimoine national, au niveau d'un pays pris dans son ensemble et non de tel ou tel actif particulier, suit un certain nombre de lois et de régularités. » (Idem, page 88.)
Laissons-lui sa fierté d'Artaban devant l'effort réalisé et devant la suite des manœuvres qu'il pense pouvoir conduire pour nous :
« Maintenant que nous avons défini les concepts de revenu et de capital, nous pouvons présenter la première loi élémentaire reliant ces deux notions. Commençons par définir le rapport capital / revenu. » (Idem, page 89.)
Gare à la casse !
Reconnaissons qu'en prétendant nous délivrer la "première loi élémentaire reliant" le "revenu" et le "capital", Thomas Piketty nous fait un peu peur...
Nous avons vu que "son" revenu n'est surtout pas un revenu. Et que "son" capital n'est rien qu'un patrimoine, et donc surtout pas un capital... Qu'ensuite il prétende nous préparer une sauce à sa façon en conservant la désignation "capital" pour quelque chose qui n'en est pas et qu'il va savoir lier à un revenu qui n'en est pas un non plus, ça ne peut que nous laisser un peu perplexes : sûr qu'il va nous sortir un lapin du chapeau !... mais avec trois pattes et six oreilles, sauf erreur de calcul...
Offrons lui cependant le loisir d’améliorer ses définitions déjà tellement boiteuses :
« Le revenu est un flux. Il correspond à la quantité de richesses produites et distribuées au cours d'une période donnée (on choisit généralement l'année comme période de référence). » (Idem, page 89.)
Nous retrouvons, avec satisfaction, le pseudo aller-retour : revenu = ce qui "revient". Comme nous le savons, chez Thomas Piketty, cette fiction correspond à la volonté délibérée de passer très vite sur la production (de plus-value qui caractérise le fonctionnement de l'économie "capitaliste", c'est-à-dire le sens même du terme "capital"), pour laisser accroire que... toute peine mérite salaire, et au "juste" prix... C'est que "nous" sommes franchement pour la démocratie méritocratique, mais aussi pour un black-out total sur la question de l'exploitation.
Voici qu'arrive le second personnage de la fable :
« Le capital est un stock. Il correspond à la quantité totale de richesses possédées à un point donné du temps. Ce stock provient des richesses appropriées ou accumulées au cours de toutes les années passées. » (Idem, page 89.)
Un vrai tas d'or, sur lequel il suffirait de dormir... C'est vraiment beau, le capital, chez Thomas Piketty. On se demande pourquoi il y a tant de conflits armés dans le monde... Alors que le capital est, lui, si paisible... Sans doute y a-t-il trop de gens qui ne le laissent pas faire ses petites affaires tranquillement... Alors, il se fâche, et ça saigne...
Le capital ?... Mais c'est même un poète... Ainsi, "à un point donné du temps", comme notre auteur nous l'a dit précédemment, ce brave capital pourrait s'approprier "l'air, la mer, les montagnes, les monuments historiques, les connaissances". (Idem, page 84.)
Car, dans cette voie-là, tous les coups sont permis, ainsi que nous l'a déjà appris Edmund S. Phelps, prix Nobel d'économie 2006 (cf. http://micheljcuny.canalblog.com), qui prend la peine de remplacer le terme de "patrimoine" par celui de "biens"... Et voilà ce que cela donne dans la bouche du Canadien Robert A. Mundell, confrère que Phelps aime tant à citer :
« En économie, le concept de bien est très large. Un morceau de pain est un bien, et de même une voiture, une maison, un tableau, un disque des Beatles, un lit et un chien. Et aussi peut-être l'air, un rendez-vous avec une jeune fille, un bain dans l'océan, une conversation avec un génie... » (Edmund Phelps, Économie politique, Fayard 2007, page 5.)
Dans toutes ces belles affaires de "patrimoines" et de "biens", où et comment serait-il possible de réintroduire ce fait que le seul facteur de richesse économique, c'est le travail de production ?... Et plus particulièrement, en société capitaliste : le travail producteur de plus-value ?... Pas à l'Université, en tout cas, ni par l’opération des outils dont elle dispose.
Michel J. Cuny
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