Tout le monde, ce n’est pas n’importe qui
On entend souvent dire que n'importe qui peut modifier les projets Wikimédia. C'est d'ailleurs un des principaux arguments avancés pour dénigrer le concept de l'édition collaborative ouverte tout en dévalorisant le contenu qu'elle produit. Pourtant ce n'est précisément pas n'importe quelle personne qui édite les projets Wikimédia. Dans l'absolu, c'est tout le monde, alors que dans les faits ce sont des gens qui en ont les moyens et le temps, mais aussi qui adhèrent aux valeurs et au fonctionnement des projets.
J'aimerais donc attirer ici l'attention sur le fait que dire « tout le monde » (everyone ou everybody) ce n'est donc pas similaire à dire « n'importe qui » (anyone ou anybody). Il est vrai que Sacha Guitry disait : « Plaire à tout le monde, c'est plaire à n'importe qui ». Mais derrière ce jeu de mots plaisant, se cache en fait une incohérence flagrante et compréhensible par le simple fait qu'il est beaucoup plus difficile de plaire à tout le monde qu'à n'importe qui.
En effet, plaire à tout le monde, c'est plaire à toutes les personnes sans exception, alors que plaire à n'importe qui, c'est plaire à une personne, une seulement et peu importe laquelle. « N'importe qui » désigne donc une entité indéterminée alors que l'expression « tout le monde » désigne pour sa part un ensemble bien défini, un tout dont la définition est claire et sans équivoque.
En outre, l'expression « n'importe qui » ne peut s'appliquer à une personne qui serait choisie en fonction de sa taille, son âge, ou via des élections par exemple. Le plus grand, l'ainé ou de l'élu, n'est en effet pas n'importe qui. Dans son expression ancienne « Il n'importe pas qui », n'importe qui ne peut donc pas être choisi n'importe comment. D'ailleurs une personne tirée au hasard peut-elle être considérée comme « n'importe qui », dès lors qu'elle devient celle choisie et donc pas n'importe laquelle.
Le tirage au sort est d'ailleurs la seule méthode de désignation compatible au calcul de probabilité. Les statisticiens savent que tirer une personne au sort, ce n'est pas choisir n'importe qui comme le premier passant qui se présente dans la rue par exemple. Un sondage digne de confiance est en effet un questionnaire adressé à un échantillonnage aléatoire d'une population. Quand il atteint un nombre de personnes suffisant, l'échantillon est alors considéré comme une représentation miniature de « tout le monde ». Un sondage a en effet pour but de récolter l'avis de tout le monde sans pour autant questionner tout un chacun.
Pour sortir de cette impasse dans laquelle il s'avère impossible de désigner qui peut être « n'importe qui », il faut alors mettre de côté la question du choix de la personne pour se concentrer sur l'importance qu'on lui accorde. En adoptant ce point de vue, l'expression « n'importe qui » devient donc assimilable à l'expression « une personne sans importance » et la question qui importe devient donc à quoi cette importance se réfère ?
Dans le cadre d'une élection présidentielle par exemple, l'importance de la personne est attachée à la gouvernance et donc aux choix dès règles qui organiseront le vivre en commun. En France et depuis l'application du suffrage universel, « n'importe qui » peut voter pour la personne d'importance qui sera chargée de superviser le vivre ensemble au sein du pays. En Belgique comme et en Grèce par contre, où le vote est obligatoire et pour peu que l'on néglige les personnes qui ne se rendent pas aux urnes, c'est « tout le monde » qui doit voter. Mais tout le monde revient à être l'ensemble des « n'importe qui » dès lors que chaque personne accepte d'abandonner son importance politique au profit d'une autre.
En Belgique pour le moins, il y a donc d'un côté, les candidats qui se battent pour devenir une personnalité d'importance, et de l'autre, les électeurs qui acceptent de perdre leur importance décisionnelle. Les articles 36 et 75 de la constitution Belgique stipulent en effet que le pouvoir législatif et le droit d'initiative est réservé au roi et aux élus seulement. Dès la clôture d'élections qui mènent à des mandats représentatifs, la seule importance de l'électeur, sera de constater que les élus sont libre de faire « n'importe quoi » par rapport à leur programme électoral.
L'organisation des projets Wikimédia contrastent donc fortement en ce sens avec les systèmes politiques mis en place au sein des nations dites démocratiques. Dans les projets Wikimédia francophones par exemple, « tout le monde » sait a priori modifier une page même de manière anonyme. A posteriori, des décisions peuvent ensuite être prises par rapport à une contribution avec pour exemple le choix de sa suppression ou une demande de référencement. Mais à nouveau, « tout le monde » sait contrôler le contenu des projets et demander la suppression d'un article ou l'ajout d'une référence.
Dans le cadre du projet Wikiversité par exemple et en dehors du vandalisme ou des interdictions légales, le sort d'une contribution sera déterminé par une recherche de consensus au terme de laquelle seront pris en compte les votes de toutes les personnes ayant fait 100 éditions sur un compte ouvert un mois avant l'ouverture de la prise décision. De la sorte, toutes les personnes qui bénéficient d'un accès, du temps et des compétences minimums nécessaires sont donc considérées de même importance dans les décisions éditoriales et organisationnelles du projet.
On peut donc critiquer les projets Wikimédia ou autres projets ouverts tel que AgoraVox et pointer leurs nombreuses limites et dérives, mais on peut tout aussi bien comparer leurs fonctionnements démocratiques par rapport à celui des états nations. On y découvre alors que « tout le monde » peut participer au partage du savoir et de l'information, et que « n'importe qui » peut offrir son importance politique à d'autres durant les élections législatives belges. D'où cette question, dans un monde où « tout le monde » devrait être considéré d'importance égale, pourquoi certaines personnes acceptent-elles d'être prises pour « n'importe qui » ?
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