Toute agitation n’est pas action (Éric Orsenna)
Mais que veut vraiment le peuple ?
Seules de nouvelles élections pas du tout à l’ordre du jour pourraient nous le dire...

Des plaies qui accablent la France et au demeurant la vieille Europe dans son ensemble, la plus importante est l’indécision, indécision non pas tellement des dirigeants qui appliquent leur feuille de route (soigneusement rédigée par la ploutocratie) et savent pertinemment vers où ils veulent ou plutôt sont autorisés à aller mais l’indécision presque atavique de ceux qui ont tous des motifs de récrimination, sont aujourd’hui dans la rue mais peinent à exprimer leurs revendications dans le cadre d’une vision de la société cohérente en rejetant l’ensemble de ceux qui sont censés porter une vision de la société, les partis.
Ils sont par ailleurs incapables de montrer la moindre cohésion entre eux comme vient de l’attester cette innommable palinodie de la réception de « gilets jaunes » chez le Premier Ministre ou finalement un seul troufion s’est présenté pour ressortir presque aussitôt.
Dans la mesure où elles n’ont pas un cadre minimum leurs actions aussi diverses que variées ne dégagent donc aucun horizon sinon celui d’une continuation de la politique du chien crevé au fil de l’eau.
Car, au final, on devra bien se résoudre à n’y voir que des jérémiades d’enfants gâtés qui ont, pour certains, été habitués pendant longtemps à bénéficier des fruits – distribués pourtant parcimonieusement – de la croissance et en avaient pu retirer de petites satisfactions à l’aune de leur médiocrité.
Mais aujourd’hui que les compteurs tournent à l’envers, que la croissance ou ce qui en tient lieu fait du sur-place, ce qui signifie, dans les faits et malgré les statistiques qui inscrivent les déséconomies dans le calcul de la croissance (ce qu’atteste le vieil adage populaire « faire et défaire, c’est toujours travailler ») qu’elle régresse objectivement et que se tasse le niveau de vie qu’avaient atteint une majorité de citoyens qui rêvaient au nirvana et sont rappelés depuis quelques années déjà aux douloureuses vérités du déclin de leur civilisation si tant est que l’on pût appeler civilisation la soif consumériste.
On a bien tenté et on tentera encore puisque ça marche d’opposer à leur colère le thème de l’immigration afin que les moins avertis pour ne pas dire les plus bêtes continuent d’appréhender les problèmes par le petit bout de la lorgnette et frappent de gros coups de bâton le baudet à défaut du pur-sang inaccessible à leurs piailleries.
Le mouvement des gilets jaunes montre les limites de la génération spontanée en matière de luttes sociales.
Les représentants des « gilets jaunes » – désignés à grand peine selon quels critères ? mystère quoique quelqu’un comme Priscillia Ludowski qui a multiplié les adhésions à sa pétition sur le Net pourrait opposer une certaine légitimité à ceux qui lui contestent sa représentativité - sont déjà récusés, accusés de faire le jeu du pouvoir.
Une majorité des activistes semblent pourtant espérer que le gouvernement se fera hara-kiri en prenant en compte toutes leurs revendications, des plus farfelues comme la démission du président aux plus sensées comme l’amélioration du pouvoir d’achat en passant par la suppression du sénat, c’est-à-dire la fin du bicaméralisme (qui a d’ailleurs déjà été abrogé dans un certain nombre d’états), ce qui, à mon sens, passe par une révision de la constitution, voire une 6e République donc par l’intervention des élus dont ils contestent le rôle et pour l’élection desquels la majorité d’entre eux avoue ne pas s’impliquer.
Bref, balançant entre soif d’absolu et répugnances compréhensibles, au lieu de rédiger un cahier structuré et accessible, on se trouve devant l’inertie de bavardages brouillons et, à la place de la discipline nécessaire pour gagner les batailles ou du moins d’être écoutés, on bute sur le combat des grognons qui souffrent contre les mauvais qui dirigent.
Un dialogue de sourds qui n’ont rien à se dire
Dans la Somme de zélés braillards en charge de la régulation d’un rond-pont où ils vérifiaient que chaque automobiliste s’inscrivît bien dans la logique moutonnière et eût arboré derrière son pare-brise son sésame obligatoire, le fameux gilet jaune, se sont empressés de faire leur devoir de délation en allant, eux qui étaient pourtant dans la plus totale illégalité, dénoncer à la police des migrants qui se cachaient dans un camion citerne qu’ils avaient arraisonnés.
Un haut fait d’arme qui tend à prouver qu’une certaine France, celle des lettres de dénonciation sous Vichy, est bien éternelle et affiche sa présence jusque parmi les manifestants les plus sympathiques.
J’espère que, pour prix de leur esprit civique, si leur courage les a portés à Paris, ils auront été bien arrosés de gaz lacrymogènes et autres joyeusetés offertes en cadeau aux manifestants trop remuants par les forces de maintien de l’ordre dont ils quémandaient le soutien.
Heureusement la mouvement a sans doute aussi ses gens bien sous tout rapport mais qui ont des difficultés à faire entendre une voix raisonnable, capable d’obtenir des résultats autres qu’une grande désillusion finale.
Ajoutons que les Média préfèrent l’activisme destructeur (quand ils ne l’appellent pas de leur vœux) dont les images frappent les imaginations plutôt que de donner la parole à ceux qui expriment des positions sensées, ce qui laisse cette détestable impression d’un mouvement sans queue ni tête.
En l’occurrence, si, pour les manifestants, aucune voix n’est légitime pour porter leurs revendications tant les récriminations sont diverses et ne sont pas sans rappeler la citation de Henri Rochefort sous le troisième empire « la France a 36 millions de sujets sans compter les sujets de mécontentement » et on voit mal avec qui et dans quel cadre quelque gouvernement que ce soit pourrait dialoguer.
Le Président Macron est donc condamné à improviser sur un même thème en espérant qu’un jour prochain le froid, les intempéries et le découragement vont vider le mouvement de sa substance militante laissant les parias dans la déréliction la plus totale et sombrant dans le « je m’en foutisme généralisé ».
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