Travailler plus pour enterrer la République
Lettre ouverte Aux partisans des heures supplémentaires Aux partisans du « travailler plus pour gagner plus » ! Aux fossoyeurs de la République
Je suis excédé par l’overdose médiatique qui insulte notre intelligence individuelle pour glorifier l’asservissement collectif. Que le manant soit maudit, que le sans-papier soit chassé, que le travailleur salarié cesse de se plaindre et se mette à travailler plus s’il veut gagner plus. Laissez-moi exprimer ma colère, mon indignation dans ce monde où tout doit être lisse, politiquement correct, où le coup de gueule est associé au dernier soubresaut de celui qui ose penser autrement.
Elève citoyen ça suffit ! Réveille-toi ou tais-toi à jamais !
Je crois la France et les Français généreux, accueillants, partisans de la liberté, de l’égalité et de la fraternité. Au lieu de cela, le compresseur médiatique t’appelle à l’égoïsme où le chacun pour soi et le président pour tous deviennent une mauvaise caricature dont il faut t’exclure. Le « travailler plus », ou les heures supplémentaires, sont pour moi le symbole de cet endoctrinement libéral qui, servi par un pouvoir médiatique oppressant, universaliserait sa vérité comme l’évidence d’une pensée moderne.
Comprend ! Les heures supplémentaires nécessaires servent l’ajustement des « coups de bourre » de l’entreprise. Elles permettent une certaine souplesse dans la gestion du temps de travail. Elles servent à achever la tâche entreprise, à parachever la réalisation d’une commande ou l’exécution d’un travail qui ne peut être reporté au lendemain. Aujourd’hui, c’est pour le gouvernement et le patronat un enjeu majeur. C’est le fruit véreux du libéralisme le plus mercantile, le plus abject, le plus avilissant pour ces femmes et ces hommes qui le courtisent. Ainsi, patrons et salariés se comprendraient et la commande de l’un collerait à l’attente de l’autre ! Je ne crois pas que cette vérité soit aujourd’hui bien réelle, même si le compresseur médiatique du pouvoir poursuit son œuvre pour t’en convaincre. D’abord, parce que c’est le patron qui fixe la feuille de route de l’entreprise ! Il ne faut pas espérer de par cet artifice en l’avènement de la fin des classes, où exploitants et exploités seraient sur un pied d’égalité ! Ensuite, parce que l’exonération de charges qui accompagne le dispositif va t’encourager à préférer les heures supplémentaires non taxées aux emplois nouveaux qu’il faudrait créer pour répondre au carnet de commande. Si une résistance est encore possible de ta part, une exonération de charges et d’impôts devrait achever ton adhésion. La boucle est bouclée ! Nous entrons dans une société de la jungle où celui qui détient un bout de quelque chose doit se battre pour le conserver en niant tout ce qui fait la grandeur de l’homme et sa différence fondamentale avec celui de l’animal.
Je ne peux résister au plaisir de citer le citoyen de Genève qui, dans son discours sur l’origine de l’inégalité, dénonce ainsi cette bienveillante nuisance : « Enfin l’ambition dévorante, l’ardeur d’élever sa fortune relative, moins par un véritable besoin que pour se mettre au-dessus des autres, inspire à tous les hommes un noir penchant à se nuire mutuellement, une jalousie secrète d’autant plus dangereuse que, pour faire son coup plus en sûreté, elle prend souvent le masque de la bienveillance » (Jean-Jacques Rousseau 1755).
La bienveillance est ce discours bien rôdé : Tu veux gagner plus. Alors ne regarde que toi ! Ne te laisse pas bercer par ces ringards attardés qui veulent te faire payer les charges pour ces RMIstes, ces privilégiés de la CMU, pour ces vieux qui croupissent dans les maisons de retraite sans revenus, pour ces retraités qui ne servent plus à rien ou ces malades qui préfèrent rester chez eux plutôt que de travailler. Soit celui qui fait gagner l’entreprise, qui fait gagner la France. Plus elle gagne plus tu gagnes ! Ainsi relève ton challenge de jeune talent, manager du progrès et de l’avènement de la société du travail méritant.
Que le patron d’une entreprise du CAC 40 - que je ne confonds pas avec celui d’une PME, un artisan, un commerçant ou bien encore un avocat - tienne ce discours, c’est normal. Il a toujours considéré le travail des autres comme la source essentielle de son propre revenu. Il développe sa prospérité non seulement pour assurer le surnuméraire de son existence, mais aussi, celle de ses enfants, petits-enfants et arrières-petits-enfants. Il leur transmettra le bénéfice substantiel des fruits de la sueur produite par les salariés qu’il a exploités sa vie durant. L’on pourrait penser qu’en libérant ainsi ses descendants du travail nécessaire, qu’en privilégiant la rente du capital au détriment de la valeur travail qu’il défend, il serait en pleine contradiction. Il n’en est rien.
La féodalité des seigneurs, chassée par la Révolution pour faire naître le capitalisme, réapparaît aujourd’hui. Le seigneur du passé est aujourd’hui « patron actionnaire ». Il va reproduire pour ses descendants ce que les seigneurs ont réalisé pour les leurs. Pour eux, le travail des salariés n’est que le bénéfice qu’ils peuvent en tirer. Comment peux-tu t’asservir ainsi sans être un serf moderne du capitalisme ? N’oublie pas le monde que tu habites. Discerne les contours de l’indispensable solidarité de classe. Appréhende le statut ou la convention, comme protecteur de l’arbitraire absolu, arbitraire qui s’est émietté par les nouveaux droits conquis.
La liberté est cantonnée derrière les barreaux du libéralisme par l’atrophie de la pensée. La prospérité de l’entreprise, de ton employeur, serait-elle la seule voie de ton épanouissement individuel ?
L’égalité serait un gros mot ! Il faut faire la différence. Sois le meilleur, le plus méritant et tu seras récompensé ; alors, tu seras comme cet esclave recevant un bol de riz pour récompenser la sagesse qui permet à son propriétaire d’écraser son cigare à moitié consumé.
La fraternité ? C’est ringard dans l’entreprise, c’est galvaudé en dehors d’elle. En exonérant le revenu de ton travail de charges et d’impôts, tu t’exclus de tout ou partie de tes propres solidarités (assurance chômage, Sécurité sociale, caisse de retraite, mutuelle...) Tu seras obligé, pour t’en protéger, de recourir individuellement, pour un coût plus élevé, à l’assurance privée, qui sera peut-être détenue par ton patron et sur laquelle il engrangera encore de substantiels bénéfices qui s’ajouteront à ceux qui découlent de ton travail. La solidarité, ciment de la fraternité, volera en éclat de ton propre comportement.
Le « travailler plus pour gagner plus », les heures supplémentaires sont les outils normaux d’un patronat conquérant, améliorant davantage la rentabilité du capital. Le fait qu’un gouvernement, que le président de la République, se soit mis au service exclusif de cette cause ne peut que m’éloigner de cette République confisquée dont je ne veux pas être le compagnon fossoyeur.
Exerce ta liberté ! Fais des heures supplémentaires ou recherche d’autres solutions aux maux qui te traversent.
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