Troisième guerre mondiale ?
L’humanité se perpétue calmement vers 2016 alors que les médias internationaux, sous inspiration anglo-américaine, ne cessent d’agiter chaque mois la menace d’une Troisième Guerre mondiale. Cet automne l’Obs a repris en couverture cette accroche : La Troisième Guerre Mondiale a-t-elle commencé ? On y convoque l’Histoire pour en préciser le début, « à bas bruit », soit le 30 septembre 2015. Les mânes de l’archiduc d’Autriche assassiné le 30 juin 1914 survolent la rédaction pour alerter le lectorat à penser à ses abris. Journalisme ou spiritisme ?
L'exercice des Cassandre de la 3e Guerre Mondiale repose toujours sur un rétroviseur où le miroir est remplacé par les perles de l'émotion du moment. Cette couverture de l'Obs, aussi racoleuse qu’inadaptée, exprime surtout une psychologie de l'épuisement médiatique.
Des gens ennuyés souhaitent parfois que tout saute autour d'eux pour fins de thérapie personnelle. C'est le nouvel esprit du temps, tristement ou joyeusement médiéval selon le camp choisi. Médias médiocres pour lecteur sans qualité.
À qui s'adresse ce tocsin rédactionnel ? Aux ménagères attirées par la publicité sur les pages suivantes, celles qui vantent une crème anti-rides ? Aux cadres dynamiques qui se pensent encore dans une gauche adroite du style : "On ne comprend plus rien mais on a raison « quand même » ? " Aux anonymes ballotés dans le métro/boulot pour les faire cauchemarder dans leur douillet dodo ?
Certains se demandent pourquoi le lectorat commun évite maintenant la presse imprimée, même la gratuite sur laquelle on s’assoit souvent dans le métro. Parce que la semaine suivante, elle annonce le cataclysme climatique ou l’invasion des immigrants. Et ainsi de suite. Le public est saturé de ces annonces, sans queue ni tête, entrecoupées de crise dans l’immobilier et de solutions écolos « bonnes pour nous et donc pour la planète ».
Les jeux vidéos qui imbibent les ados, vieillissement aidant, entrent de plus en plus dans la psyché collective des moins de trente ans. Ils assurent la relève alors que l’éditorialiste commun, par tradition, se retrouve à l'étage supérieur où certains patrons ont connu dans leur enfance la défaite cuisante de juin 1940. Et dire qu'on s'apprête, "pour mieux comprendre", à publier bêtement une "édition scientifique" de Mein Kampf !
Les vieux patrons de presse voient que les jeunes ont déjà complètement oublié la guerre qui a détruit un quart de la France entre 1914 et 1918. Ils s’accrochent d’autant plus à leur volonté de faire de « leur » guerre mondiale, LA GUERRE MONDIALE de référence.
Journaux, hebdos, séries Tv, films et vidéo sont emplis d’une crainte de l’oubli « de ce qui s’est passé ». Mais Suisse, Suède et Portugal, entre autres n’y étaient pas impliqués dans cette GUERRE MONDIALE de référence. Cette guerre n’était donc que « presque mondiale ».
Et Suisse et Suède ne se portent pas si mal dans l'oubli de cet épisode. Et les États-Unis, qui ont mis plus de deux ans pour y entrer, une fois sûr de jouer le rôle de Super Hero pour Hollywood avec effets atomiques spéciaux, n'en parlent guère que pour concevoir des produits d'exportation. Et puis, des guerres, ils n'ont jamais arrêté d'en faire depuis leur indépendance. Demandez aux tribus disparues des Grandes Plaines de l'Ouest.
Pour les Européens, des guerres coloniales, il ne reste que peu de choses dans les mémoires. Elles se divisaient en mondes séparés. Celles de Londres ou de Paris, bien sûr, mais aussi de Lisbonne ou de Bruxelles, en Afrique. Qui se souvient du "Congo Belge", en dehors des amateurs de Tintin ? Alors que c'est toujours le pays africain le plus vaste.
L’oubli des « rapatriés » d’Algérie ne provoque de ressentiment que chez ces familles dont l’arbre généalogique a été déraciné d’Afrique du Nord. La « guerre mondiale française » dans les colonies d’Indochine et d’Afrique a provoqué des clivages qui expliquent mieux la France d’aujourd’hui que le rappel de l’Occupation devenu obsolète au moment où nos « meilleurs amis » sont germaniques, mieux encore, où nous formons avec eux le « couple exemplaire » censé être un exemple pour le monde. Pourtant, c’est en Afrique qu’on parle français et non pas de l’autre côté du Rhin. Et dire que de nombreux Français adopteraient la prussienne Merkel pour se priver de François Hollande. Ach !
Peu d'hommes s’engagent, aujourd’hui, sur un coup de sang ou de blues, dans la sainte guerre du moment. Alain Delon les a précédés, ces nouveaux recrutés à l’américaine par clips télévisés, quand, en Indochine, jeune engagé, seul et apeuré, il expulse sa rage de vivre sur des Jaunes devenant Rouges à Dien Bien Phu. Parce que ses ancêtres Blancs lui avaient noirci l’âme à hauteur de bedeau. On ne parle plus français en Indochine.
La réalité actuelle d’une « guerre mondiale » n’évoque rien à ceux qui pensent que l’Histoire est une donneuse de leçons. Ni 14-18, ni 39-45 ne peuvent aider le moindrement à comprendre ce qui est en jeu aujourd'hui.
Sans être exhaustif, on peut dire que la crise des missiles de Cuba de 1962 représente le cas d’école, maintenant bien documenté, de la Troisième Guerre Mondiale exemplaire, celle qui n’a pas eu lieu. Sinon, pas de documentation sur laquelle réfléchir.
Que les États-Unis puissent attendre plus d’un demi-siècle pour renouer avec La Havane montre que la folie est le bien le mieux partagé de l’humanité. Car Cuba a engendré une paranoïa durable aux USA. Paranoïa qu’en France on ne comprend toujours pas. Une frayeur sans commune mesure avec la réalité de la menace, une fois Khrouchtchev ayant troqué son retrait de missiles contre celui des États-Unis en Turquie.
Ensuite, le concept de « guerre mondiale » s’est benoîtement enlisé dans les multiples cafouillages électroniques qui ont terrifié Gorbatchev et Reagan au cours de leur première rencontre à Genève en 1985. Ils ont découvert que le départ d’une monstrueuse fusée anti-cité dépendait d’un éclair d’orage pris pour une attaque adverse par le merveilleux ordinateur de service analysant une image de satellite.
Ces deux hommes ont compris qu’il n’y aurait jamais de Troisième Guerre Mondiale mais une destruction accidentelle de l’humanité résultant d’une méfiance réciproque amplifiée par des systèmes automatisés de projection nucléaire. On leur doit la fin de la guerre froide à vocation chaude. Reagan est mort honni en Europe. Gorbatchev est toujours vivant mais presque personne ne s’adresse à lui avec reconnaissance.
Des seconds couteaux veulent aujourd’hui transpercer le moment sublime qu’ils ont ensemble fait exister pour engendre le bien de l'humanité. On les comprend ces amiraux et généraux américains de l'OTAN basés à Naples et qui veulent y rester. Pourquoi ne pas les démobiliser avec en cadeau un manoir tout neuf donnant sur le Vésuve ? Cela les distrairait de leurs excitations guerrières.
Ce serait surtout une assurance survie dans le monde qui nous entoure. Ces haut-gradés pourraient ainsi expier leur passif en regardant ce qu’est devenu la Libye et ensuite compter le nombre de migrants qui se noient sous leurs yeux dans les flots bleus de l’été. Et peut-être prendre le large pour les sauver. Eux aussi sont des êtres humains qui veulent perpétuer l'espèce. Reste à le prouver.
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