Tueries de Toulouse : Autopsie de l’échec de l’intégration
« Je ne te demande ni ton nom, ni ta religion, ni ta race, mais dis-moi quelle est ta souffrance. »
Beaucoup d'interrogations sur le fait que la police n'a commencé à bouger qu'après le meurtre des enfants le 19 mars. Pourquoi pas avant ? La députée européenne Eva Joly commentant les affirmations circulant sur Internet laissant croire que le plan Vigipirate n'aurait pas été déployé si les victimes n'avaient pas été juives, en disant qu'elles étaient ´´indignes´´ : ´´Je crois que bien avant la confession, c'est l'horreur du crime et notamment l'exécution froide et préméditée d'enfants qui a poussé à réagir avec la plus grande rigueur.´´
Pour Christian Etelin l'ancien avocat de Mohamed Merah , tout n'a pas été fait pour le sortir de sa bulle, au contraire la police l'a poussé à se radicaliser. L'ancien avocat de Mohamed Merah regrette le dénouement de l'opération. « Tout n'a pas été fait dit-il pour rétablir un lien de confiance et le pousser à rendre les armes », juge t-il sur I Télé l'avocat qui questionne la stratégie employée par le Raid. « En jouant dit-il la carte de son épuisement, on l'a enfermé dans une position jusqu'au-boutiste, affirme-t-il avant de conclure. Il a semé la tempête, il est parti dans une bourrasque et on pouvait peut-être l'éviter. »
Mohamed Merah : le prototype de l'échec de l'intégration
Mohamed Merah est né le 10 octobre 1988 en France. Enfant, ses parents divorcent quand il avait cinq ans, adolescence troublée, plusieurs fois condamné en tant que mineur et à 18 ans il écope d'une peine de 18 mois en décembre 2007, il est condamné pour le vol d'un sac à main à 18 mois de prison ferme. Il aura tout fait, des larcins à la pelle mais un CAP de carrossier ce qui dénote malgré tout sa volonté d'intégration dans une société qui ne lui fait pas de place. Son institut de formation refusant de le réintégrer, impossible pour lui d'effectuer une partie de sa peine en semi-liberté. ´´ Après une tentative de suicide en 2008 à la maison d'arrêt de Seysses, Mohamed Merah est placé pendant quinze jours en hôpital psychiatrique. Il séjourne, ainsi, du 25 décembre 2008 au 8 janvier 2009 à Toulouse.
A part son avocat, Me Etelin, personne ne se rend compte de la dérive progressive. Sorti de prison, le jeune Toulousain tente de s'engager en 2010 dans l'armée, en vain. Selon son ancien avocat, cet épisode aurait largement marqué Mohamed Merah : « Cet échec avec l'armée, plus que la prison, lui donne le sentiment qu'il n'aura définitivement pas sa place dans la société française. Et c'est là qu'il se passe quelque chose. » C'est peu après qu'il part en Afghanistan. Un départ qui surprend Me Etelin : « Il donne l'impression d'être un jeune comme tous les autres : il sort, il boit, ne fait pas de prosélytisme et ne parle pas tellement de religion, ni avec ses amis, ni avec moi. Et pourtant, il part en Afghanistan. Quelque chose l'a donc fasciné pour qu'il y aille. »
L'envoyé spécial de Libération a recueilli le témoignage de Samir, un jeune qui a grandi avec le suspect de la fusillade de Toulouse. Selon ce dernier, Mohamed Merah ´´est croyant mais pas pratiquant. Il faisait le Ramadhan, c'est tout. Pour vous dire, il s'était fait une crête rouge l'été dernier. Pire que fashion, il était punk. » (...)« Je n'ai pas envie qu'on l'abatte car on ne saurait jamais pourquoi il a fait ça. Je l'ai croisé en boîte il y a trois semaines, il fumait une chicha. Quelqu'un qui va en boîte, ce n'est vraiment pas un salafiste. »
L'origine contrôlée : un marqueur identitaire indélébile
Cette dérive lente, sourde, malgré une présentation en surface « normale », est passée inaperçue par ses voisins. Il a donc pu se passer quelque chose qui fait que l'intéressé solde ses compttes avec la société qui le rejette en faisan un carnage où la religion n'a rien à voir, il tue indifféremment deux parachutistes musulmans, un parachutiste chrétien et des enfants juifs. Au nom de la défense de ses « frères » et des enfants palestiniens... La baronne Catherine Ashton « ministre des Affaires étrangères de l'Union européenne a eu le malheur de compatir avec les enfants de Ghaza. Elle sera vite rappelée à l'ordre par les Israéliens, mais aussi par les dirigeants palestiniens qui lui dénient le droit de parler de la souffrance des enfants de Ghaza.
La gestion de cette crise a montré que la fracture sociale à l'endroit des Français de confession musulmane est profonde. Pour Christian Salmon dans une interveiw au journal « Marianne » : « Loin de circonscrire le mal et d'en expliquer les causes, on généralise la peur. Loin d'éloigner la menace, loin d'apaiser la peur et de permettre un travail de symbolisation, on la fait surgir devant eux, on redouble le trauma, on rend la peur contagieuse. On vient de vivre plusieurs jours de psychodrame national, orchestrés par le président des effrois successifs, l'ordonnateur de la grand-peur nationale. On le sent bien désormais. Ce n'est pas la campagne seulement qui a été suspendue par les principaux candidats, c'est le sens, la capacité à débattre et à symboliser. Le storytelling de la peur se donne à lire pour ce qu'il est : un déni de démocratie. J'en veux pour preuve la débauche de récits médiatiques qui n'ont d'autre but de plonger le pays dans un ´´ Etat de Peur Totale´´. De sidération ».
Mohamed Merah est mort, mais l'affaire ne sera pas sans conséquences. Les origines et la religion de l'auteur présumé des tueries de Toulouse et Montauban ont déjà été récupérés comme arme politique. Madjid Messaoudene, conseiller municipal à Saint-Denis donne son avis et avertit des futures diabolisations. Nous l'écoutons : « Mohamed Merah est un jeune Français de 23 ans. La phrase aurait pu s'arrêter là mais il fallut rajouter ceci : ´´d'origine algérienne´´. Lorsque Claude Guéant a levé le voile sur l'identité de l'auteur présumé des meurtres perpétrés à Toulouse et Montauban, il n'a fallu que quelques heures pour que médias et autorités politiques reprennent l'information en insistant particulièrement sur ses fameuses ´´origines´´. Comme si cette information pouvait déterminer son fanatisme ou pire, légitimait son acte. » (1)
« Quand j'ai appris qu'il s'appelait Mohamed, j'ai su qu'on allait ramasser. Quand je dis ´´on´´, je parle de tous ces Français, nés et élevés en France et qui portent un prénom à consonance musulmane ou arabe. Or, Mohamed Merah n'était pas un ´´Français d'origine algérienne et musulman´´. Mohamed Merah était un fou furieux. Et les mêmes qui viennent nous parler d'intégration à longueur de campagnes n'ont cessé, de ramener le suspect présumé, à ses origines et à sa religion. Or, qu'on le veuille ou non, celui qui a commis ces crimes terribles était bel et bien français. Ce constat, si les politiques veulent le nier, témoigne tout de même d'un certain malaise vis-à-vis de la communauté musulmane. Difficile d'accepter la possibilité, que l'on soit un terroriste et un fou en puissance ou que l'on soit un étudiant brillant, d'être à la fois français et musulman ou français tout court surtout lorsque l'on s'appelle Mehdi. (...) À l'hypocrisie qui anime la classe politique soit disant ´´unie´´ dans la douleur, s'ajoute l'hypocrisie des représentants des cultes en France. Développer la haine de l'autre est la dernière chose à faire en cette période mais j'ai toutefois la sensation désagréable que, si communautarisme il y a, c'est ceux même qui le dénoncent aujourd'hui, qui l'ont grassement nourrie pendant des années, en délaissant les quartiers et en stigmatisant certains des enfants de la République. » (1)
K. Selim dans une contribution remarquable, met en garde lui, aussi, contre la diabolisation des musulmans : « L'insistance des médias français à mettre en évidence ´´l'origine algérienne´´ du tueur présumé de Toulouse n'est pas marquée seulement par le souci d'informer dans le détail. Cela semble obéir davantage à une volonté de marquer une altérité fondamentale, ´´l'origine algérienne´´ de l'auteur présumé des tueries l'emportant sur sa nationalité française, l'abolissant même. C'est un ´´autre´´ qui a commis le crime, un ´´étranger´´, pas un Français.
Le fait que les premières victimes, des militaires français ayant la même origine maghrébine que lui, est quasiment insignifiant. Un jeune de 24 ans né en France, de nationalité française, reste ainsi marqué et identifié, cinquante ans après l'Indépendance de l'Algérie, par ses lointaines origines et surtout par sa religion ». (1)
« Cette ´´origine algérienne´´, poursuit K. Selim martelée comme une sorte d'empreinte génétique et ethnique du crime, qu' on n'arrête pas de ressasser qu'il faut éviter l'amalgame. Il est pourtant déjà là. Dans cette manière puissamment suggestive de servir l'information sur un délinquant à la dérive, comme il en existe par centaines dans les banlieues de l'ennui de France ou d'ailleurs. La France externalise le crime et se lave les mains de toute responsabilité. Au risque de mettre tous les musulmans du pays à l'index. Sur Facebook, en réaction à cette insidieuse ´´externalisation´´ hors de la nation française du tueur présumé, quelqu'un a suggéré ´´d'écrire de manière systématique : Nicolas Sarkozy, le président français d'origine hongroise. Jusqu'à ce qu'on y réfléchisse à deux fois avant de présenter telle ou telle personne comme étant d'origine maghrébine » (2)
« Nous pourrions ajouter à cette liste les politiques et personnalités qui ont des origines étrangères tels que le député Lionel Luca dont le père est roumain, Charles Aznavour, Michel Platini à qui on ne rappelle jamais leur origine sans parler de tous les Français qui ont la double nationalité française et israélienne...
Ainsi, la diabolisation concernant l'origine algérienne participe aussi de la stigmatisation. L'imam de la mosquée de Lyon, Monsieur Kabtane, met en garde contre le fait de désigner les Français musulmans par leur appartenance originelle. Ils ne sont pas de la deuxième ou troisième génération. Ils sont Français. On sent là aussi le désir de larguer les amarres avec cette Algérie qui sent le soufre et qui les marque d'une façon indélébile, combien ils feraient assaut d'allégeance poussant le curseur jusqu'à être invisible, en vain. La faute répréhensible et en l'occurrence c'est le cas, d'un des leurs, rejaillit sur l'ensemble des musulmans qui prêchent dans le désert en mendiant une situation la plus modeste possible dans la hiérarchie sociale.
Que conclure ?
« Les meurtres de Toulouse sont survenus à un moment où les politiciens français utilisaient un langage de haine. Au cours des dernières années de récession et de régression, il est devenu un truisme banal de la politique européenne de considérer que vous ne pouvez pas vous fourvoyer en allant plus à droite. Les politiciens à travers le continent ont trouvé une nouvelle formule magique de succès et de survie électorale en jouant sur la peur des étrangers et en particulier de l'Islam - le clin d'oeil et l'acquiescement qui veulent dire que l'immigration serait à l'origine de notre déclin économique et social. Ce n'est en aucun cas exclusivement un vice de droite. Quiconque a entendu le parti travailliste néerlandais récemment, aura des difficultés à se démarquer du démagogue Geert Wilders ».(3)
Pour nous, Mohamed Merah a commis des crimes, à ce titre, il aurait pu rendre compte à la justice, si on l'avait pris vivant. C'est aussi une victime. A ses différentes tentatives de s'en sortir, la République a répondu par la rigueur extrême. Il représente les épaves dormantes des banlieues et comme le dit David Pujadas au journal de France2, dans un souci de diaboliser : tout azimut : "combien y-a-t-il de Mohamed Merah en France ?" Ils sont nombreux dans ce qui est appelé, indifféremment les zones sensibles, les zones de non-droit, les Territoires perdus de la République qui, nous le pensons, doit plus que jamais mettre en avant sa forte volonté d'intégration. C'est à cette condition, le croyons-nous que la société française pourra donner à chacun - quelle que soit son origine - une égale dignité et lui permettre ce faisant, à ces Français musulmans en théorie égaux en droits et en devoirs de donner la pleine mesure de leurs talents à l'ombre des lois de la République.
Sinon à Dieu ne plaise, les Français musulmans -Français depuis n générations- mais toujours connotés par un marqueur indélébile d'une origine infâme, en l'occurrence algérienne dans le cas présent, seront les futures "variables d'ajustement" ethniques qu'un certain Adolphe Hitler avait appliqué à une autre population sous le regard indifférent voire complice des grands de l'époque.... A bien des égards, et comme je l'ai déjà écrit, les Musulmans du XXIe siècle auront -sous des formes diverses- mais au final la condition des Juifs du XXe siècle, sauf que cette fois-ci on ne peut pas dire que l'on ne savait pas....
1. Madjid Messaoudene, élu de Saint-Denis http://leplus.nouvelobs.com/contribution/508115-toulouse-mohamed-merah-va-nous-faire-mal-a-nous-francais-musulmans.html22-03-2012
Professeur Chems Eddine Chitour
Ecole polytechnique enp-edu.dz
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