Twitter and Co et la censure décomplexée
La suspension définitive d’un compte Twitter est comme la détonation d’une arme à feu : rapide, brutale et agressive. Au-delà de la perte de son compte, la méthode de Twitter met en lumière notre immense fragilité de citoyen dans une société du tout numérique et plus particulièrement du tout numérique non régulé.
Le 10 février 2022, à l’instar de milliers d’autres utilisateurs de Twitter, mon compte a été définitivement suspendu. Sans avertissement, sans graduation dans la sanction, le fait du prince ou plutôt du parvenu a frappé. Si parfois de bonnes raisons peuvent justifier la suspension d'un compte, la méthode est brutale et violente. Violente par sa soudaineté, violente par la perte occasionnée : ses abonnés, ses messages et son historique. Cette violence est vécue comme un autodafé numérique dans toute sa splendeur.
L’impossibilité d’un vrai échange avec Twitter
Une procédure existe pour contester la suspension d’un compte. Dans mon cas, le reproche de Twitter est « Violating our rules against ban evasion ». Peu habitué à ce jargon, j’ai demandé à un ami ce que signifiait ce motif de suspension. A ma grande surprise, il m’a indiqué que j’aurais « triché » avec Twitter en ayant créé un nouveau compte (celui qui vient d’être définitivement suspendu) alors que j’avais déjà été suspendu dans le passé. Le reproche est surprenant car dans mon existence, je n’ai créé qu’un seul compte Twitter, en mars 2020, et ce compte est celui qui vient d’être suspendu. A la violence de cette soudaine suspension définitive s’ajoute la désagréable surprise d’avoir été suspendu pour un motif erroné. Une sorte d’impasse semble se profiler car comment justifier de sa bonne foi dans une procédure qui fait de l’unilatéral et du discrétionnaire un mode de pilotage dans les relations avec les utilisateurs ?
Il ne s’agit pas de verser avec complaisance des larmes sur mon propre sort. Certes, je suis très ennuyé vis-à-vis des abonnés de mon compte. J'ai l'impression de les avoir « lâché », d'avoir fui sans un mot alors que cette « disparition » de Twitter s'est réalisée contre ma volonté. Si j’avais décidé de supprimer mon compte, j’aurais envoyé, par politesse, un message pour avertir de mon départ celles et ceux qui me suivaient. La méthode utilisée par Twitter pour fermer des comptes donne l'impression d’avoir été liquidé au fin fond d’un bois sombre d’une Allemagne de l’Est renaissante. Cette dernière image est très littéraire mais la tonalité est bonne. Il y a du déloyal, du désagréable et du malsain dans tout cela.
Les dangers d’une société du tout numérique
L’intérêt d’évoquer une expérience personnelle de censure de Twitter est de nous faire réfléchir sur la précarité d’une société du tout numérique. Se faire expulser brutalement de Twitter, ou de toute autre application, nous ramène à une considération que nous n’aurions jamais dû perdre de vue : si certains outils numériques assurent une mission quasiment digne d’un service public (favoriser les liens et la communication entre individus), ces outils sont privés et n’obéissent qu’à leurs propres règles. Il y a là tout le paradoxe d’un monde numérique nouveau qui se construit sur des fondations de sable car sans protection juridique adéquate des citoyens utilisateurs de ces applications. En effet, comment valoriser et donner des exclusivités aux outils et réseaux numériques si leurs propriétaires possèdent la capacité d’agir selon le fait du prince, c’est-à-dire en fonction de leur bon vouloir ? Une telle société fondée sur le tout numérique est une société des plus dangereuses car elle est régie par des personnes privées qui ont leurs propres logiques, valeurs, règles et humeurs. Une telle société est une société de la précarité maximisée, une société ou tout individu peut perdre en une fraction de seconde son passé, ses relations, son histoire, sa capacité d’agir et d’interagir et pour ainsi dire son identité voire sa vie sociale pour ne pas envisager plus. N’oublions pas que les projets numériques pour demain sont déjà en discussion : monnaie numérique, QR code fonctionnant comme base de données et d’identité d’un individu mais aussi comme clef d’accès à des lieux et des services. Le passe faussement sanitaire de M. Macron est l’exemple parfait de l’arme totalitaire en devenir. Le monde de demain où tout serait entre les mains d’acteurs dématérialisés et privés, est un monde de l’incertitude et de la précarité permanente.
Si on en doutait, il suffit de rappeler le fameux Rapport 673 du Sénat qui par son contenu est un texte digne des rêves du plus sordide dictateur en devenir. Ce rapport se complaît à trouver des vertus à une société du tout numérique et de l’interconnexion généralisée des bases de données où en quelques secondes on désactive les citoyens en les privant de toute possibilité de se déplacer ou d’accéder à leurs comptes bancaires ou à leurs moyens de paiement (carte bleue bloquée). La menace n’est pas que virtuelle. Regardez les dernières déclarations du Premier Ministre canadien qui invoque la mise en place de pouvoirs d'urgence fédéraux jamais utilisés auparavant au prétexte de répondre à des manifestations à l'échelle nationale. M. Trudeau veut déclencher la loi martiale et donner l’autorisation aux institutions financières de bloquer les comptes en banque des citoyens récalcitrants. Répression et une fois de plus refus des négociations et du dialogue. Drôle de démocratie…
Une nécessaire régulation des outils numériques
Un argument est souvent avancé pour justifier de la liberté de Twitter et autres applications : ce sont des outils privés et ils font ce qu’ils veulent. Le problème est que les technologies permettant leur fonctionnement et leur diffusion doivent beaucoup à la recherche publique. Le problème est que ces outils sont devenus omniprésents dans le fonctionnement de nos sociétés au point de devenir presque des services d’utilité publique.
Ces outils ont acquis une telle position dominante dans les échanges et la communication que leur impact social et sociétal ne peut plus être ignoré. De fait, de par leur rôle et leur impact, ces outils ne peuvent plus fonctionner comme s’ils n’avaient aucun compte à rendre à la société et à leurs utilisateurs. Il y aurait une forme de perversité diabolique à laisser ces outils prendre une place prépondérante dans le fonctionnement de nos sociétés sans exiger une contrepartie de leur part en matière de règles de bonne conduite. En effet, il serait fort tentant de transférer au secteur privé des pans entiers du fonctionnement de nos sociétés pour expliquer que l’on ne peut rien faire contre des mesures coercitives ou non démocratiques au prétexte que ces acteurs privés peu vertueux n’ont de compte à rendre à personne. Il y aurait la une sorte de détour, d’artifice permettant à des Etats dit de droit de bafouer le droit en faisant assumer par des acteurs privés ce que ces Etats ne pourraient pas assumer directement : la censure ! Du reste, il est remarquable qu’en 2021, Twitter a enregistré un nombre record de demandes de suppression de contenus de la part de gouvernements. Il s’agit là de demandes officielles mais combien de demandes officieuses ou de suppressions spontanément initiées par Twitter qui connaît bien son impact et ce qui est attendu de lui par des pouvoirs qui le favorisent dans sa situation quasi monopolistique ? Les patrons des principales applications numériques de communication sont désormais reçus à l’Elysée avec bienveillance et surement avec quelques arrières pensées de complicité du pouvoir politique avec le pouvoir numérique.
La vieille épée de Damoclès s’est formidablement modernisée. Elle est devenue numérique et elle entend contenir notre existence et nos libertés dans ses codes et ses algorithmes. Difficile de ne pas voir se construire un monde sans émotion, sans empathie et dans lequel la toute puissance serait entre quelques mains. Il est vrai, aujourd’hui, la toute puissance est déjà entre quelques mains d’hyper milliardaires mais nous avons la possibilité de « nous en sortir » dans le monde physique. Mais demain, où « nous ne posséderons rien » selon les vœux du forum économique mondial, où tout sera dématérialisé et donc géré par quelques fournisseurs d’accès et de réseaux, comment s’en sortir si le monde physique devient un accessoire activé et désactivé par le monde du numérique, un lieu soumis aux dictats des « Twitter » d’aujourd’hui et de demain ? Si nous n’y prenons garde, un monde des plus violents, des plus inhumains et des plus dangereux va se construire sous les apparences du progrès technique et des éclats séduisants des surfaces lisses de nos écrans tactiles. Ne nous laissons pas abuser par les prouesses du numérique si ce numérique n’est pas contenu dans un système de valeurs qui protège tous les individus des décisions arbitraires et potentiellement néfastes pour les libertés et la vie.
La suspension définitive de mon compte Twitter est injuste mais elle est anecdotique au regard des dangers que je viens d’évoquer. Cette suspension a son côté bénéfique dès lors qu’elle pousse à hisser ses réflexions au-delà de son cas personnel et dans un élan prospectif sur ce que sera demain. N'oublions jamais : il n'y a pas systématiquement de fatalité à nos malheurs mais il y a souvent de désastreuses inerties qui favorisent ces derniers.
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