Un regard philosophique sur la gravité quantique qui mène vers Dieu
1) Qu’est-ce la gravité quantique ? Est-ce que les cosmologistes savent ce qu’ils cherchent en manipulant les équations et modèles formant un ensemble hétéroclite de descriptions microphysiques à base de spin, matrices, fonctions d’onde, et une description macroscopique quelque peu absconse fournie par les tenseurs de la relativité générale utilisés par Einstein ? Je crois surtout que les physiciens cherchent à élaborer en premier lieu une théorie mixte permettant de combiner les modèles quantiques et le modèle cosmologique établi avec les équations d’Einstein vénérées telles de saintes écritures mathématiques. Autrement dit, les physiciens sont en quête d’une cosmologie quantique. Avec comme obstacle la rencontre de signes mathématiques incompatibles. Ce qui oblige à élargir le spectre de la modélisation théorique. On l’a noté avec le résultat le plus commenté dans ce domaine, la dualité AdS/CFT établie par Juan Maldacena qui relie deux représentations, l’une contenant la gravité et l’autre dans laquelle la gravité est absente. Autrement dit, deux univers jouent de manière coordonnée mais dans le second, la gravité n’intervient pas dans le jeu. Plus précisément, l’espace AdS gouverné par la gravité possède une frontière bord, horizon, surface disposant d’une dimension en moins, dont le jeu est gouverné par une théorie conforme du champ. Tout se passe comme si l’espace AdS représente le monde réel qui viendrait se « plaquer » sur une surface représentant sa carte. Mais cette carte est interactive. Tout se passe comme si ce qui est calculé (anticipé, mémorisé) sur cet horizon pouvait se projeter et former une géométrie spatiotemporelle contenant une dimension de plus. Cette dualité est parfois interprétée comme un dictionnaire permettant de traduire dans le second monde ce qui se passe dans le premier et c’est assez troublant, comme si le réel était dédoublé à l’instar du monde platonicien constitué du sensible et de l’intelligible.
Le cosmos AdS est conçu à partir de la gravité déterminée par l’équation d’Einstein R = T. Cette équation permet de modéliser un cosmos constitué d’un bloc et par dérivation, de retrouver la mécanique classique de Newton. La gravité d’Einstein est bien plus qu’une mécanique et désigne l’instance physique qui règle la disposition des masses et la « forme » que prend l’étendue. Les masses façonnent la scène sur laquelle elles jouent et la gravité désigne l’instance qui impose les règles de ce jeu. Mais nous ignorons comment ces règles peuvent se transmettre et comment les masses « communiquent », voire « communient » et « conspirent » en quelque sorte pour façonner un cosmos. La correspondance AdS/CFT est purement formelle. Il faudrait lui donner un sens physique en introduisant un champ permettant aux signaux d’être véhiculés.
Il y a une différence d’approche et de finalité entre la cosmologie quantique pratiquée par les spécialistes de la physique mathématique et la gravité quantique regardée et comprise avec une approche héritée de la philosophie de la Nature, mais néanmoins dérivée des savoirs scientifiques disponibles à notre époque. La gravité quantique sera conçue comme un dépassement des limites de la cosmologie des physiciens. Plus précisément comme un principe systémique qui, pour être efficient, utilise la transmission de signaux quantiques, de bosons, voire de fermions, et dont l’intervention ne se réduit pas au réglage des masses et du cosmos. La physique quantique est une physique des communications (Dugué, 2017b). La gravité quantique est alors une sorte de « colle systémique » permettant de produire un cosmos en utilisant des signaux et des champs. Colle, certes, mais qu’est-ce qui est collé ? En apparence, cette colle invisible réunit les morceaux de matière et les fait tenir ensemble dans une disposition ordonnée qui n’est pas figée mais mobile. A chaque moment, la disposition change. La gravité est donc aussi ce qui produit le collage des moments successifs du cosmos. Autrement dit, ce qui fait que le cosmos ne se disperse pas et que ce qui est projeté soit dissout, que ce qui arrive dans le temps soit retenu pour faire place à une autre arrivée. La gravité est ce qui retient le « Temps » pour laisser de l’espace. Temps retenu, ou dissout ? La physique nucléaire pourrait livrer quelques explications et permettre une formulation quantique de la gravité. Cette physique n’est pas étrangère à la gravité avec son modèle standard qui recèle des énigmes mais aussi qui est partie prenante dans la théorie du champ conforme CFT utilisée dans la dualité jauge/gravité (AdS/CFT).
La gravité post-relativiste est un principe naturel (physique) dont les effets tiennent en quelques mots. Solidarité de toutes les choses disposées et coordination de la manière dont les choses se meuvent dans le cosmos en se manifestant. Pour résumer, les choses de la nature dépendent de deux types de « colle », le magnétisme et la gravité. Ces colles sont dynamiques, elles sont basées sur des signaux, des communications. Chacune est efficace dans son champ d’intervention spécifique. L’électrodynamique est responsable des réactions chimiques, des liaisons diverses dont les effets cumulés et combinés produisent les propriétés des matériaux, des éléments chimiques, du vivant. Deux effets sont produits, attraction et répulsion. Les combinaisons se font et se défont avec des durées variables. La gravité est la colle du cosmos qui règle les masses. Ses effets ont une durée colossale rapportée à une vie humaine ou même la longue « histoire » de sapiens. Il est possible que la gravité ne soit pas une véritable interaction mais plutôt une émergence produite par un énigmatique jeu des deux « forces nucléaires », la forte et la faible. Ce qui signifie qu’il faudrait renverser l’approche et partir du modèle standard des particules et de considérer la gravité comme une émergence et un principe qui rend consistant l’ensemble. Un schéma permet de résumer la complexité du monde naturel et du cosmos.
Champ électrodynamique quantique
↑↑↑ ↔↔↔↔↔↔ ↔↔↔↔↔↔↔ ↑↑↑
Charges Magnétisme quantique Charges
Champ de gravité quantique
↑↑↑ ↔↔↔↔↔↔↔↔↔↔↔↔↔↔↔↔ ↑↑↑
Masses nucléaires ↓↓↓ Gravité quantique ↓↓↓ Masses nucléaires
Ce schéma qui résume l’univers interprété par les sciences physiques est aussi un schéma débordant sur la pensée philosophique. Il résume une première distinction entre les deux physiques, champs et communications, disposition (Dugué, 2017a). Il est de plus en connivence avec la doctrine des deux matières formulée par Plotin dans le sillage de Platon et Aristote. Cette doctrine paraît obscure mais pourtant, elle est assez claire, séparant deux domaines ontologiques explicités avec le doublet matière et forme, liés à deux « ordres » du temps. La matière corporelle est considérée comme dépourvue de vie, de pensée, avec le caractère de la mort. A l’inverse, la matière divine possède une « vie intellective », son essence est à la fois engendrée et inengendrée (on retrouve ce double caractère dans les autoconstituants décrits par Proclus dans les éléments de théologie). Ces deux ordres du temps ont leur corrélat cosmologique, renvoyant aux deux mondes décrits par Aristote, sublunaire et corruptible, supralunaire et éternel. La physique moderne n’a pas réfuté ce schéma, elle l’a juste actualisé avec un coup de théâtre ontologique. La matière corporelle est étudiée par la thermomécanique, elle va vers la corruption et la mort, comme l’indique la seconde loi de l’entropie. En revanche, ce qui correspond à la matière divine est étudié par la mécanique rationnelle, interprétée par Prigogine comme physique de l’être, par opposition à la thermodynamique vue comme une physique du devenir. Le coup de théâtre n’est rien d’autre que l’unification du ciel et de la terre par la physique de Newton. La matière soumise à l’inertie ou à la gravité possède en quelque sorte le caractère de la matière divine, autrement dit, déterminée par une essence et le principe du Kosmos, qui essencialise, alors que le Kronos est une puissance génératrice autant que corruptrice (voir sur ce point, Dugué, 2017b).
« La matière divine, en recevant la forme qui la détermine, possède une vie intellectuelle et déterminée. Au contraire, lors même que la matière des corps devient une chose déterminée, elle n’est ni vivante, ni pensante ; elle est morte malgré sa beauté empruntée. La forme des objets sensibles n’étant qu’une image, leur matière n’est également qu’une image (εἴδωλον). La forme des intelligibles possédant une véritable réalité, leur substance a le même caractère. On a donc raison d’appeler essence la matière, quand on parle de la matière intelligible : car la substance des intelligibles est véritablement une essence, surtout si on la conçoit avec la forme qui est en elle ; alors l’essence est l’ensemble lumineux [de la matière et de la forme]. Demander si la matière intelligible est éternelle, c’est demander si les idées le sont : en effet, les intelligibles sont engendrés en ce sens qu’ils ont un principe ; ils sont non-engendrés en ce sens qu’ils n’ont pas commencé d’exister, que, de toute éternité, ils tiennent leur existence de leur principe ; ils ne ressemblent pas aux choses qui deviennent toujours, comme notre monde ; mais ils existent toujours, comme le monde intelligible. » (Plotin, Ennéades, traité II, 4, trad. Bouillet)
Il n’y a qu’un pas, certes de 17 siècles, pour disposer d’une philosophie distinguant autant les deux ontologies (en l’occurrence l’être et l’existant) et les deux compréhensions du temps avec la distinction entre historicité et historialité avec deux notions, la temporalité et la temporellité, élucidées dans Etre et Temps par Heidegger. Autrement dit, le temps biographique du devenir et le temps kosmologique qui caractérise l’essence de l’Etre. La dernière carte du jeu ne sera pas jouée. Augustin et le de trinitate nous conduirait trop loin. J’espère que les éveillés du nouveau commencement auront accès à ces quelques lignes écrites sur la gravité quantique.
2) Si la mécanique quantique règle les communications entre « particules », la gravité est ce qui émerge lorsque les particules ou essences élémentaires finissent par d’ordonner et façonner un cosmos mobile. La nature se présente avec des régularités............................................
Dugué, B., L’information et la scène du monde, Iste éditions, 2017a
https://iste-editions.fr/products/linformation-et-la-scene-du-monde
Dugué, B., Temps, émergences et communications, Iste éditions, 2017b
https://iste-editions.fr/products/temps-emergences-et-communications
Traduction anglaise
http://www.iste.co.uk/book.php?id=1199
http://www.iste.co.uk/book.php?id=1332
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