Une ambassade pour Villepin
C’est la troisième fois qu’un interlocuteur au fait de mes activités clandestines me demande pourquoi je ne fais pas de politique... Outre des raisons personnelles, j’en vois trois, qui n’en font peut-être qu’une : j’ai le cuir trop tendre, je n’aime pas outre mesure me battre pour une idée qui n’est pas « la mienne » et là, à l’instant, je ne suis pas certain d’avoir suffisamment de sang-froid...
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Quoi que l’on pense des sondages, et bien que je persiste à penser que le CPE était, au moins, sur une bonne voie, 68% de personnes interrogées contre cette mesure, une mobilisation plutôt réussie hier - malgré des violences lamentables - et qui le sera très certainement encore plus demain, un MEDEF qui suit du bout des lèvres, des parlementaires disciplinés mais pas convaincus au-delà du raisonnable... autant d’indicateurs que l’on ne peut pas politiquement ignorer.
On peut rêver de la stature de l’homme politique qui fait face, contre vents et marées, et qui adopte des mesures efficaces bien qu’impopulaires. Mais il faut être certain de le faire à bon escient.
Des parlementaires le disent déjà, Villepin est peut-être bien l’homme qui aura réussi la performance de faire perdre son camp deux fois en dix ans. Et, par voie de conséquence, les idées de ce camp. Villepin, qui ne fut jamais élu, qui les a qualifiés de "connards" durant tant d’années, est certainement porté à penser, dans le langage châtié qu’il affectionne, que ce ne sont que des "couilles molles". L’arrogance est mauvaise conseillère.
Une fois de plus, rappelons que l’UMP était favorable à un contrat unique, contrat qui proposait des garanties tangibles en échange de la flexibilité. Mais, qu’il s’agisse d’une conviction personnelle, dont on se demandera tout de même sur quelle légitimité il l’a assise, puisqu’il s’avère qu’il n’a pas consulté grand monde (pour ne pas dire personne), ou que, version sordide, cette orientation soit le fruit pourri des rivalités et positionnements qui l’auraient conduit à rechercher une solution différenciée pour se démarquer, Villepin a choisi une autre voie.
Une autre méthode. Il fut dit que le CNE était la première manche, le CPE la seconde, l’ultime bataille étant le contrat unique... On aurait donc commencé par faire des contrats différenciés pour en élaborer un unique. Suivez la logique. Moi, je suis déjà un peu paumé.
Admettons qu’il ait voulu sonder les oppositions, tester les solutions pour aplanir le terrain... J’y vois trois erreurs : la première est qu’une telle politique ne pouvait probablement pas montrer ses fruits à court ou moyen terme, la deuxième est d’avoir adopté une disposition spéciale jeunes. Ce n’est pourtant pas faute que Chirac en ait peur, des jeunes, et de leurs réactions, depuis un certain Malik Oussekine, et ce n’est certainement pas faute pour lui d’avoir prévenu le chevalier Bayard qu’il allait au devant des emm... La dernière erreur, c’est de ne pas avoir fait CPE et CNE ensemble, pendant les fameux "cent jours", et d’avoir lancé le plus mauvais étage de la fusée après que l’opposition eut eu l’occasion de se remettre d’aplomb.
Je ne critique pas le fond : je ne suis toujours pas certain que le CPE ne soit pas (n’ait pas été ?) fondé et qu’il n’était pas légitime de se colleter avec la spécificité du chômage des jeunes (au passage, on nous apprend côté syndicats que le chômage des jeunes serait un fantasme... qu’est-ce qu’il ne faut pas sortir, parfois !). Mais, sur la forme, Villepin a joué gros. Et j’ai le sentiment qu’il est bel et bien en train de perdre. Tout aussi gros.
Avec lui, c’est la droite qui est en train de se couper des jeunes. Belle perf’.
Villepin n’était déjà pas d’une popularité absolue. On peut penser qu’il est maintenant grillé. Comme le dirait Jacques, il a fait pschiiit. Et l’on peut se demander s’il ne va pas, maintenant, avoir les jambes sciées pour l’année qui suit.
Il est dans une "logique de rendez-vous" ? Laissez-moi penser qu’à l’heure dite, il risque de poser un lapin. A supposer même que le CPE entre en vigueur, je doute, pour diverses raisons, qu’il produise suffisamment d’effets en temps voulu. Et, à ce "rendez-vous", c’est l’ensemble de droite qui sera jugé, y compris celle qu’il aura tenté d’écraser du talon.
Alors, parce qu’il n’est pas un mauvais bougre, parce qu’il a montré des compétences en la matière, je propose une ambassade pour Villepin. Budapest, Bakou, Vientiane... Notez que je n’ai rien contre les ambassadeurs en place...
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Au-delà de son cas personnel, puisque, comme il l’a déclaré à Claire Chazal, il ne compte pas, il va surtout falloir prendre en compte ce qui a rendu possible la mobilisation : l’angoisse réelle des jeunes. Comme je le citais déjà ici, je reprendrais volontiers l’analyse d’Yves de Kerdrel, le Cpe, catalyseur d’angoisses collectives et sa conclusion :
"C’est la première fois, depuis des générations, que des jeunes ont la prémonition qu’ils vivront moins bien que leurs parents. D’où deux phénomènes extrêmes. D’un côté, 75% des moins de 30 ans déclarent vouloir être fonctionnaires. Ce qui est étonnant ! Et, de l’autre, un nombre record d’expatriations : 1 million de jeunes Français travaillent désormais à l’étranger. Deux phénomènes qui témoignent du climat anxiogène dans lequel baigne la jeunesse, et dont cette protestation autour du CPE n’est finalement que le catalyseur occasionnel. "
Sur bien des sujets, les jeunes ont probablement le sentiment de payer le chèque d’une croissance insouciante et, selon moi, de payer les conséquences du caractère trop tardif des réformes. Nous sommes restés sur un schéma qui fonctionnait durant les Trente Glorieuses, et les politiques, comme au concours hippique, ont fait dans le refus d’obstacle au moment de s’engager dans les réformes nécessaires. Le résultat est notamment la réforme - bievenue, mais trop tardivement - des retraites : non seulement nous travaillerons plus vieux, mais nous paierons aussi pour les retraites d’inactifs plus nombreux.
Le logement ? L’opposition au CPE a bien montré qu’il y avait une crainte à cet égard. On nous demande aujourd’hui tant de garanties, pour des logements si chers !
Les études ? 80% d’une classe d’âge au bac ! Le résultat ? Des chômeurs diplômés ! Ca fait plus class, à l’ANPE ! Prenons mon exemple de "favorisé" : pour faire ce que je fais, une licence suffisait, il n’y a pas si longtemps. Il faut désormais obligatoirement une maîtrise. Et encore : si vous voulez vraiment un job, on vous demandera un troisième cycle. Un troisième cycle ? Non, deux ! A force de dévaloriser les diplômes, on s’est retrouvé aujourd’hui à devoir en faire la collection complète, pour remplir son album Panini à présenter à l’employeur...
L’écologie ? Quelle joyeuse perspective, lorsque même le monde physique, terrestre, la nature, vous donnent la trouille ! Lorsque, à coups de "réchauffement climatique", on entretient l’idée que la Terre va peut-être bien devenir hostile à l’homme. Lorsque vous regardez "l’onde pure" d’un ruisseau en vous demandant si vous pouvez réellement envisager de vous y rafraîchir, lorsque les vaches sont folles, les poules grippées, que la ville pue le monoxyde de carbone...
De tout cela, il va falloir parler, et de toute urgence ! Parce que c’est bien cela qui inquiète les jeunes, même les mieux disposés. C’est non seulement utile pour les échéances électorales, mais aussi déterminant pour l’avenir du pays.
Un pays ne peut pas fonctionner avec une jeunesse terrorisée, une jeunesse trouillarde, une jeunesse qui cherche le statut le plus protecteur, la meilleure planque.
Parce qu’être jeune, ce n’est pas ça. Etre jeune, c’est avoir des tripes toutes fraîches, avoir des yeux qui brillent encore, faire des projets, et les entreprendre !
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