Une campagne électorale sans media
Dans une campagne électorale où l’honnêteté intellectuelle et l’honnêteté tout court ne semblent pas être les priorités des candidats, les media paraissent avoir renoncé à leurs rôles d’arbitres et d’informateurs. Mieux, ils semblent contribuer à la désinformation ambiante, ce qui n’annonce rien de bon pour la démocratie. Il incombe au citoyen de reprendre en main ce système.
Imaginons, pour nous faire peur, que nous vivions dans un pays privé d’information, dans lequel le pouvoir politique filtrerait le contenu des publications données à lire au public. Le candidat du pouvoir aurait à sa botte les dirigeants des groupes de communication. Les organes officiels de régulation s’abriteraient derrière le prétexte de la morale et de l’équité pour censurer les journalistes trop bavards. Jour après jour, les journaux s’en tiendraient à des nouvelles consensuelles et bien éloignées des véritables préoccupations de la population. Certains livres gênants seraient envoyés au pilon avant même leur publication. Le soi-disant "débat", de toute façon médiocre par faute de commentateurs francs et avisés, éviterait soigneusement de pointer toutes les irrégularités commises par certains candidats, trop importants pour être jugés aussi futilement. Assis sur des montagnes de dossiers judiciaires enterrés depuis des lustres, on deviserait ingénument sur l’usage du drapeau ou la couleur des sous-marins. Cela sonne désagréablement familier ? A qui la faute ?
En premier lieu, il faut bien évidemment se tourner vers une classe politique qui semble avoir oublié toute la décence et toute l’éthique qu’exigent les fonctions de représentation politique. La France est une nation très portée sur la formalité, on y fait preuve d’un soin tout particulier pour respecter les protocoles et autres codes de bienséance. Ce qui, en un sens, devrait favoriser la neutralité des procédures et l’égalité des citoyens en droit a, malheureusement, eu plutôt tendance devenir la seule obligation pratique pour nos élus. Dans le même temps, la connaissance des arcanes du savoir-vivre, de la langue de bois et des réseaux politiciens est devenu un mode de sélection particulièrement efficace. La "classe politique" est ainsi devenue une petite élite fermée, protégée par les formalités d’un jeu politique, jamais contestée par des media pétris de conformisme. Confrontés à cette seule exigence de bienséance et décrits comme des surhommes inégalables, nos élus ont pu se laisser aller à leur hubris et aux pratiques répréhensibles correspondantes. Toujours dans la bienséance, cela va de soi. Les journalistes étaient ravis.
Les journalistes sont ravis parce qu’ils partagent avec les politiques ce même habitus, cette même manière d’être. Il l’ont souvent acquise dans les mêmes écoles. Travaillant dans des chaînes de "service public" ou dans de "grands quotidiens de référence", leur neutralité ne saurait être mise en doute. Seulement voilà : celui qui a connaissance d’un délit et qui ne le dénonce pas, est-il innocent ? Nos media se sont bien moqués de leurs équivalents américains, si misérables pendant la crise irakienne. Ils devraient peut-être balayer devant leur porte de temps en temps. Surtout pendant les campagnes électorales, ce n’est pas très propre, pas propre du tout. Reprenons quelques exemples : les affaires de la chiraquie ? Psschitt. L’affaire Clearstream, qui déshonore totalement le Premier ministre et la plupart des autres personnes impliquées ? Sans importance, apparemment. La censure du livre sur Cécilia Sarkozy ? Négligeable, semble-t-il. Les déclarations d’ISF des principaux candidats à la présidentielle ? Qui s’en soucie... L’appartement de l’île de la Jatte de M. Sarkozy, acheté par le maire de Neuilly au promoteur immobilier qui a construit la moitié de la ville de Neuilly, ce qui constitue au titre de la loi une "prise illégale d’intérêt", passible de prison ferme ? Seul le Canard Enchaîné l’a mentionné, et aucun autre media n’a pris la peine de le rappeler. L’accord de MM. Chirac et Sarkozy en vue d’assurer au premier une totale impunité après la fin de son mandat ? Passé à la trappe : quelques lignes sur les sites Web des grands journaux, vite effacées ; trente secondes dans le JT de France 3, rien sur les autres chaînes. On pourrait égrainer à l’infini les exemples de l’incurie de nos représentants et de la complaisance des media à leur égard.
Au final, le juge suprême est encore le citoyen et il a sa part de faute. Même mal informé, il a encore le pouvoir de s’exprimer par son vote. Plus qu’autrefois, il peut même clamer son indignation grâce à des technologies de communication facilement accessibles. Le citoyen français est libre d’agir en justice, de manifester, de faire connaître son point de vue. S’il n’en fait rien, c’est probablement un signe de plus que cette nation est désorientée, désabusée face à un monde qu’elle ne parvient plus à interpréter. L’enseignement que reçoit chaque Français en matière politique, juridique ou économique n’est sans doute plus à la hauteur des enjeux du XXIe siècle. Face à des media en oligopole et à une caste politique trop souvent immorale mais habile gestionnaire des apparences, les Français doivent s’ouvrir au monde, comprendre les expériences des autres démocraties, approfondir leurs connaissances des systèmes sociaux. Et les Français doivent se présenter aux élections - éventuellement, pourquoi pas, en fondant de nouveaux partis -, et en tout cas sanctionner plus durement les fautifs. La corruption n’est plus tolérable, pourtant elle se nourrit de l’indifférence. Dans un pays qui privilégie la responsabilité politique sur la responsabilité judiciaire, il appartient à l’électeur de se faire justice, ce qui implique qu’il se soit donné les moyens de juger. Pour sauver notre démocratie, il est temps que les Français accèdent à la maturité politique, car personne ne le fera à leur place.
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