• AgoraVox sur Twitter
  • RSS
  • Agoravox TV
  • Agoravox Mobile

Accueil du site > Tribune Libre > Une crise au service d’une idéologie

Une crise au service d’une idéologie

« Ou comment l’idéologie du libéralisme économique est cause et conséquence de la crise qui ébranle le monde depuis 2008. »

 A partir des années 70, on assiste dans le monde à une résurgence du courant libéralisme au détriment du paradigme keynésien qui considérait l’état comme étant un acteur essentiel à l’équilibre des marchés. Ce nouveau libéralisme, principalement théorisée par Milton Friedman et Friedrich Hayek prône un désengagement total de l’état dans l’économie. D’après ces deux économistes d’influence, l’Etat en son rôle de régulateur des marchés serait au contraire une nuisance à l’équilibre des marchés. Selon eux, une fois que le marché, c’est-à-dire le point de rencontre entre l’offre et la demande est libéré de toutes contraintes, il atteindra naturellement l’équilibre et sera donc un terrain prospère à la croissance économique.  Pour parvenir à ce contexte favorable à la croissance ils préconisent donc un désengagement total de l’Etat dans l’économie. Cela se traduit par la privatisation des secteurs publics, la dérégulation financière, ainsi que la suppression des taxes et allocations, tout ceci étant considéré comme des entraves à l’équilibre du marché.

 Le libéralisme économique prend donc avec Friedman et Hayek un nouveau sens, qui très vite trouvera écho chez nombre de grands entrepreneurs et financiers. Ces derniers, y voyant un intérêt pécunier évident s’en feront les lobbyistes. Et en quelques années l’idéologie gagnera les politiques avec comme ambassadeurs Reagan aux Etats Unis et Thatcher au Royaume uni. L’Europe suivra par la suite et la finance mondiale connaitra son ère de dérégulation.
Les conditions à la crise qui touchera le monde par la suite furent ainsi posées. On se mit à faire beaucoup d’argent avec seulement de l’argent en prenant de plus en plus de risques. Toutefois la dérégulation avait permis de mutualiser ce risque par le biais de la titrisation, procédé par lequel on réunit diverses créances sous formes de titres financiers ensuite revendus sur le marché des capitaux. Ainsi l’éclatement de la bulle spéculative immobilière aux Etats Unis a mené à la crise des subprimes, la crise des subprimes à cause de la titrisation est devenue crise financière, et par effet domino la crise financière est devenue crise économique mondiale. Certain Etats, qui avait trop emprunté dans un contexte ou l’argent ne semblait pas cher sont devenus insolvable. C’est le cas de la Grèce.

 Toutefois, et c’est là que le bât blesse, on décide de soigner le mal par le mal. Personne ne dénonce la dérégulation financière, bien au contraire, on accepte de renflouer la Grèce à la condition qu’elle prenne un pas de plus sur le chemin du libéralisme économique. En effet, les contreparties des milliards d’euros accordés à la Grèce pour son plan de sauvetage s’inscrivent bien dans une logique libérale du fait qu’elles poussent vers un désengagement plus avancé de l’Etat dans l’économie.
Sous couvert de coupes budgétaire, l’Etat Grec diminue le montant des allocations versées, il réduit la couverture sociale, licencie ses fonctionnaire ou baisse leur salaires. De plus afin de lever rapidement des fonds, il privatise son secteur public, qu’il brade à bas prix à des investisseurs étrangers. Toutes ces mesures qui s’inscrivent bien dans une logique libérale sont grandement impopulaires et d’ailleurs la population grecque le fait bien savoir avec de nombreuses manifestations et émeutes. Aucun gouvernement ne pourrait être démocratiquement élu avec un tel programme.

 Nos politiques le savent bien, et c’est d’ailleurs pourquoi depuis plusieurs mois l’Europe était dans l’impasse. L’Italie et le Portugal étaient tous deux en grands risques de faillite, un plan de sauvetage était inévitable. Toutefois, l’Allemagne ne souhaitant pas être la bonne poire qui paye pour les autres demandait aux Etats en difficultés les mêmes contreparties que celles imposées à la Grèce. Ces derniers au courant de l’impopularité de telles mesures faisaient trainer les négociations. La crise européenne était dans l’impasse à cause de considérations purement politique. Si Angela Merkel pliait face à la nécessité de renflouer ses voisins sa cote de popularité partait au fond du gouffre. Il en était de même pour les gouvernements Italiens et Portugais, s’ils cédaient face aux exigences des Allemands, ils mettaient en jeu leurs propres côtes de popularité.
 La solution devait donc venir d’ailleurs. Et c’est Mario Draghi qui l’apporte, cet ancien de Goldman Sachs, désormais président de la Banque Centrale Européenne, annonce de façon unilatérale un programme illimité de rachat de la dette publique des pays de la zone Euro « sous conditions ». Cet homme issu des sphères de la haute finance, non élu, a fait ce que nos gouvernements n’ont pas pu faire à cause de la pression démocratique. L’Allemagne paiera bien la note au travers de la BCE et les conditions de rachat seront directement imposées aux gouvernements en déficit permettant à ces derniers de s’en dédouaner. La pilule est ainsi mieux passée. Les marchés ont été rassurés et l’opinion publique ne s’est rendu compte de rien.

Alors que la dérégulation de la finance mise en place par l’idéologie du libéralisme économique est la responsable de la crise qui ébranle le monde depuis ces quatre dernières années, on se refuse de faire machine arrière. Au contraire, on soigne le mal par le mal en contraignant les victimes du libéralisme économique à plus de libéralisme économique. Nos gouvernements sont face à un choix, celui de satisfaire les populations ou celui de satisfaire les marchés. Cette fois-ci ils ont réussi à concilier les deux en favorisant les marchés de façon détournée. On assiste la aux limites du capitalisme néolibéral, tel que Schumpeter l’avait théorisé, le succès de la doctrine mène inévitablement à la concentration des richesses, concentration qui finit par se faire au détriment de la masse du peuple et qui au final en déclenchera l’hostilité. Les indignés, « Occupy wall street », et d’autres groupes n’en sont-ils pas des signes précurseurs ?


Moyenne des avis sur cet article :  4.71/5   (14 votes)




Réagissez à l'article

8 réactions à cet article    


  • Jean-Pierre Llabrés Jean-Pierre Llabrés 24 septembre 2012 10:58

    À l’auteur :
    « On assiste la aux limites du capitalisme néolibéral, tel que Schumpeter l’avait théorisé, le succès de la doctrine mène inévitablement à la concentration des richesses, concentration qui finit par se faire au détriment de la masse du peuple et qui au final en déclenchera l’hostilité. »


    Qu’est-ce qui empêche les « pauvres » de s’enrichir pacifiquement par les mêmes mécanismes que les milliardaires ?

    En ces temps de crise, on ne cesse de parler de déficits budgétaires, de dette, d’inflation, de réduction des charges, d’augmentation des impôts, et cætera...
    Parmi nos « élites », il n’y a personne pour prononcer ce qui semble être LE gros mot absolu : ÉPARGNE ! ! !
    Pourtant, que ne pourrait-on faire avec de l’ÉPARGNE ? ? ?...

    Le Parti Capitaliste Français ( PCF ) propose une synthèse socio-économique permettant d’instaurer une authentique compatibilité entre compétitivité et cohésion sociale ; entre compétitivité et solidarité.

    Ce projet de « Refondation du Capitalisme & Instauration d’un Dividende Universel par l’Épargne » se compose d’un Objectif Principal et de deux Objectifs Spécifiques qui découlent de l’objectif principal.

    Objectif Principal :
    Acquisition Citoyenne & Collective du Pouvoir Économique en vue de la « Refondation du Capitalisme ».

    Objectifs Spécifiques :
    I)
    Transformer le « capitalisme ordinaire » en un authentique Capitalisme Écologique, Anthropocentrique, Philanthropique et Équitable.
    II)
    Faire bénéficier chaque citoyen, même mineur, d’un Dividende Universel évolutif qui, de facto, éradiquera définitivement le concept même de chômage ainsi que celui de la « lutte des classes ».


    • Robert GIL ROBERT GIL 24 septembre 2012 11:06

      Pour ceux qui ne connaissent pas, voici le résumé que Naomi Klein fait de la doctrine libérale de Friedman, son livre de référence “Capitalism and Freedom”, publié en 1962. Attention, c’est du brutal :

      http://2ccr.unblog.fr/2011/03/25/la-doctrine-friedman/


      • filo... 24 septembre 2012 11:33

        « Les indignés, « Occupy wall street », et d’autres groupes n’en sont-ils pas des signes précurseurs »

        Oui, je pense que c’est un bruit de fond et qui va monter ; inévitablement. C’est la fin d’un système qu’ont essayent semblant de redémarrer. 

        Je me souviens qu’en 1989 un visionnaire russe a dit : "Communisme et capitalisme ne sont rien d’autre que pile et face d’une même pièce. Alors nous laissons tomber notre communisme. Combien de temps vous croyez que votre capitalisme va tenir ?"

        Aujourd’hui voilà le résultat !


        • Marc Chinal Marc Chinal 24 septembre 2012 17:21

          "Communisme et capitalisme ne sont rien d’autre que pile et face d’une même pièce.« 
          .
          Pièce de monnaie, évidemment ! ;o)
          Dommage que les »indignés" n’aient pas de cervelle pour remettre en cause réellement le système plutôt que se faire infiltrer par des personnes qui n’ont qu’un but : maintenir le système du fric pour continuer à les gouverner.


        • Francis, agnotologue JL 24 septembre 2012 11:49

          Bonjour Yann,

          comme vous avez pu le constater, le premier à poster sur cet article est Llabrés, spécialiste opportuniste qui copie-colle systématiquement son tract imbécile à la forme peaufinée depuis belle lurette, sur tous les articles qui lui paraissent en rapport avec sa proposition inepte. A-t-il seulement lu votre article ?

          Ceci dit, j’invite les lecteurs a prendre connaissance du lien fourni par ROBERT GIL ci-dessus.

          Dans la même lignée, je me permets de poster ici deux liens qui ne sont pas sans rapport avec le sujet. Le premier est une réponse à ceux qui aiment bien les riches.

          Eurovegas : quand un multimilliardaire veut dicter sa loi en Europe (Par Emmanuel Haddad mai 2012) « … Bientôt un Las Vegas au cœur de l’Europe ? Le magnat états-unien Sheldon Adelson veut exporter les recettes qui ont fait sa fortune : des casinos géants. En échange de milliers de créations d’emplois (mitoitées), il exige la révision du droit du travail, de la protection sociale et même la remise en cause de la loi de prévention sur le blanchiment d’argent… Le projet Eurovegas verra-t-il le jour dans une Espagne déjà traumatisée par l’éclatement de la bulle immobilière ? »

          Le second est une excellente analyse de fond sur notre époque et la ’soi-disant’ crise.

          « La dette neutralise le temps, matière première de tout changement politique ou social » Par Agnès Rousseaux (6 septembre 2012) Emprunt, crédit, créanciers, débiteurs, déficits, remboursement, taux d’endettement, « pacte budgétaire »… La dette est partout, elle a envahi nos vies. Or la dette n’est pas seulement économique, elle est avant tout une construction politique. Elle n’est pas une conséquence malheureuse de la crise : elle est au cœur du projet néolibéral et permet de renforcer le contrôle des individus et des sociétés. « Le remboursement de la dette, c’est une appropriation du temps. Et le temps, c’est la vie », nous explique le sociologue et philosophe Maurizio Lazzarato … Certains textes du Moyen Âge expliquent que le crédit est un « vol du temps ». On disait alors que le temps appartenait à Dieu. Et que les créditeurs étaient des voleurs du temps de Dieu. Aujourd’hui, le temps appartient au capital. Avec le crédit, on fait une préemption sur l’avenir... En Italie, il est prévu de vendre chaque année pour 20 à 25 milliards d’euros de biens de l’État. D’ici dix ans, on aura tout privatisé ! … « On revient avec le crédit à une situation proprement féodale, celle d’une fraction de travail due d’avance au seigneur, au travail asservi. (Jean Baudrillard) » (La Fabrique de l’homme endetté).


          • Ecométa Ecométa 24 septembre 2012 14:44

            « Ou comment l’idéologie du libéralisme économique est cause et conséquence de la crise qui ébranle le monde depuis 2008. »

            Excellente analyse de la situation : nous persistons dans l’erreur...

            A la fois cause et conséquence... c’est généralement ce que l’on appelle un véritable cercle vicieux et il se trouve que nous y sommes en plein : il nous reste à attendre que tout implose... car tout va forcément imploser !

            Le « libéralisme économique », qu’il ne faut pas confondre avec la « liberté économique », une liberté économique individuelle, qui, elle, implique une possibilité de choix économiques possibles, accessibles et acceptables à tous et pour tous et par seulement, à et pour, quelques-uns, des choix forcément divers et variés, et non relevant d’une pensée unique ; donc le « libéralisme économique », comme le « capitalisme financier » qui se regarde financièrement le nombril, ceci ne peut en aucune façon constituer une solution... mais bel et bien un problème : le seul et unique « problème » !

            Nous ne faisons pas réellement de l’économie, ceci, au sens complexe du terme, celui d’une logique d’ensemble, mais exclusivement du capitalisme, qui, plus est, exclusivement financier !


            • lowner 24 septembre 2012 18:59

              Tout ceci je l’ ai vécu en Amérique latine l’ Uruguay précisément ,le résultat est le même que nous constatons actuellement , privatisations a tout va des services publiques , vente des réserves d’ or , chômage de masse , appauvrissement de la classe moyenne et une bonne dictature pour finir .

              Evidemment les techniques se sont amélioré ce qui nous amène au système actuel .
              Donc , rien de très nouveau sous le soleil .Tout est une question de marketing , si je peux me permettre une citation qui vous fera peut-être pas plaisir :

               « A qui doit s’adresser la propagande ? Aux intellectuels ou à la masse moins instruite ? Elle doit toujours s’adresser uniquement à la masse ! La tâche de la propagande consiste non à instruire scientifiquement l’individu isolé, mais à attirer l’attention des masses sur des faits, évènements, nécessités, etc., déterminés. Ici l’art consiste à procéder d’une façon tellement supérieure q’ il en résulte une conviction générale. Son action doit toujours faire appel au sentiment et très peu à la raison.
              Toute propagande doit être populaire et placer son niveau spirituel dans la limite des facultés d’assimilation du plus borné parmi ceux auxquels elle doit s’adresser. Dans ces conditions, son niveau spirituel doit être situé d’autant plus bas que la masse des hommes à atteindre est plus nombreuse. La faculté d’assimilation de la grande masse n’est que très restreinte, son entendement petit ; par contre, son manque de mémoire est grand.
              Donc toute propagande efficace doit se limiter à des points fort peu nombreux et les faire valoir à coups de formules stéréotypées aussi longtemps qu’il le faudra pour que le dernier des auditeurs soit à même de saisir l’idée. » mein kampf, pp 180-182

              Vous voyez, hitler donnait la recette qui est appliquée sur nous aujourd’hui, et de celle qui a toujours été appliquée sur les masses domestiquées. :)

              • elmi 24 septembre 2012 23:27

                à ma connaissance, se plaindre n’a jamais résolu quoique ce soit :)

Ajouter une réaction

Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page

Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.


FAIRE UN DON

Auteur de l'article

Yann


Voir ses articles






Les thématiques de l'article


Palmarès