Une légitimité conférée à Mme Royal par le suffrage universel
C’est le moins qu’on puisse dire, certaines interventions de Mme Royal ne laissent pas indifférent. C’est sans doute parce qu’elles frappent juste. Son « contre-discours de Dakar » comme ses excuses à M. Zapatero pour se démarquer des propos injurieux tenus par le président Sarkozy, ont suscité dans la majorité une violence à la mesure du mal ressenti : on a même entendu des injures psychiatriques à son égard. C’est dire si la liberté d’expression en France commence à être vécue comme une anomalie par ceux qui croient s’être appropriés le pays.

Le paradoxe de l’expression de la volonté nationale
Car ce qui en jeu ici est un exercice de la démocratie qui laisse peu de place au droit d’opposition et à la liberté d’expression qui le conditionne. Il semble que la majorité actuelle ait perdu de vue que l’élection en démocratie à une majorité de suffrages n’est pas un sacre, mais la seule technique pacifique qu’on ait trouvé pour départager les candidats et désigner les dirigeants provisoires d’un pays. Avoir été élu président de la République donne seulement le droit d’assumer pour un temps limité les fonctions constitutionnelles de direction, d’incarner à l’intérieur comme à l’extérieur la légitimité du pouvoir et de parler au nom du pays dans ses divers engagements. Avec 53 % des voix en 2007, le Président Sarkozy est donc le représentant légitime de l’ensemble des citoyens français, le temps de son mandat.
Mais cette promotion implique que, quelle que soit son origine partisane, l’élu s’attache à correspondre à cette représentation générale de tous les citoyens. Les présidents de la Vème République depuis de Gaulle, ont veillé tant bien que mal, une fois en fonctions, à ne plus apparaître ostensiblement comme le chef du parti qui les avait conduits au pouvoir : il y allait de la crédibilité de leur fonction d’arbitrage, même s’ils y réussissaient inégalement.
Une représentation d’opposition légitimée par le suffrage universel
Les initiatives de Mme Royal ont donc le mérite de poser le problème de cette confiscation du pouvoir par une famille politique sous prétexte qu’elle a recueilli 53 % des voix en 2007. Car ce score en conséquence signifie que Mme Royal et les familles politiques qui l’ont soutenue, ont obtenu de leur côté 47 % des voix restantes. Et ce n’est pas rien. Si la légitimité de l’élu a 53 % est entière, faut-il pour autant enlever toute légitimité d’opposition à sa concurrente qui a totalisé 47 % ? Ce rapport de forces part-il en fumée au lendemain de l’élection parce que seule compterait la désignation des dirigeants légitimes provisoires ? C’est oublier que la démocratie se distingue de la tyrannie par la reconnaissance du droit d’opposition. Et comment ne pas reconnaître à celle qui a été sans doute devancée, mais qui a recueilli près de la moitié des suffrages, une position éminente dans l’opposition, aussi légitimée par le suffrage universel que l’est son rival dans sa fonction présidentielle ?
Qu’on le veuille ou non, une élection présidentielle aussi importante que la française, structure le débat politique pendant le mandat qu’elle inaugure. En ce sens, les initiatives de Mme Royal envers les Africains ou M. Zapatero ont une légitimité démocratique que n’auraient pas celles d’opposants non distingués comme elle l’ a été par le suffrage universel. Le Président parle évidemment au nom de la France quand il reproche aux Africains de « n’être pas assez entrés dans l’Histoire » ou qu’il brocarde des dirigeants étrangers. Mais Mme Royal, durant le mandat ouvert par l’élection présidentielle, n’a pas moins de légitimité pour exprimer son opposition.
Qu’elle ait à Dakar osé dire que la France ne se reconnaissait pas dans les propos de M. Sarkozy est bien sûr juridiquement faux. Mais qu’elle ait parlé au nom d’une autre petite moitié de la France, est politiquement fondé. Nul ne peut soupçonner Mme Royal d’avoir voulu faire oublier l’ordre constitutionnel français et tenté d’usurper un pouvoir présidentiel qu’elle n’a pas. C’est tout au plus un raccourci habituel qu’empruntent les familles politiques quand elles énoncent leurs préférences pour le pays : elles ont toutes, selon la formule du général de Gaulle « une certaine idée de la France. » Paul Villach
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