Une Main invisible qui vise le bonheur d’exister des peuples, malgré les guerres. Du 1er Conflit mondial aux guerres en Ukraine et à Gaza
Les guerres qui ont jalonné le XXe siècle et celles qui se jouent aujourd’hui ont certainement un sens dans l’ordre logique de la marche de l’humanité dans l’histoire. Pour tenter de comprendre la marche du monde, partons du premier événement le plus marquant du XXe siècle, le premier conflit mondial 1914-1918 qui a précipité l’histoire d’une manière radicale a donné un nouveau sens au monde. Cet événement majeur de l’histoire moderne montre en fait que l’Histoire de l’humanité n’est pas « contingente », dans le sens « accidentelle », « fortuite », mais « contingente » dans le sens que le mouvement de l’Histoire de l’humanité relève d’un « ordre logique et cohérent ».
- La Première Guerre mondiale considérée courte s’est transformée en une guerre effroyable pour les puissances européennes
Les puissances européennes, en se déclarant la guerre en 1914, ne se sont pas représentées les conséquences qu’elles allaient provoquer sur leurs peuples et sur les autres peuples du monde. Elles n’ont vu que leurs intérêts immédiats, et les visées triomphatrices sur leurs adversaires. Cette guerre partie pour durer quelques mois s’est transformée en une longue guerre extrêmement épuisante, meurtrière, à laquelle ont été associés les peuples colonisés. Elle s’est révélée une véritable hécatombe. En 1917, toutes les nations étaient guerre, 17 millions d’hommes avaient été mis hors de combat dont un tiers tués, après trois années seulement de guerre.
Rien ne présageait que la mort de l’archiduc François-Ferdinand, l’héritier du trône de Vienne, le 28 juin 1914, suite à un attentat terroriste serbe, allait embraser l’Europe et étendre la guerre au monde, avec des dizaines de millions de morts et de blessés. Comme après l’attentat du 11 septembre 2001 contre le World Trade Center, à New York, rien ne présageait que les États-Unis et l’Europe (OTAN) allaient entrer en guerre en Asie centrale, et entraîner des réactions en chaînes dont les enjeux restent encore aujourd’hui toujours pendants.
En réalité, l’attentat terroriste en 1914 n’était qu’un prétexte pour les puissances occidentales pour déclencher la guerre. Toutes les puissances européennes s’y préparaient et y voyaient dans la conjoncture une possibilité pour tirer des avantages territoriaux et politiques. La prise de possession du monde a entraîné fatalement une compétition entre les puissances coloniales. L’exaspération nationaliste, le défaitisme ignoré, tout souriait aux puissances européennes, maîtresses du monde. Chaque peuple en Europe transposait l’enthousiasme de la domination qu’il avait sur les peuples des autres continents et sur les peuples européens voisins, perdant de vue que la guerre dans les colonies étaient inégale alors qu’entre les puissances européennes, le rapport de forces était en équilibre.
C’est ainsi que cinq longues années de guerre avec l’entrée des États-Unis au côté des Alliés dans le conflit ont eu pour conséquence l’élimination de 20 millions d’êtres humains, et autant sinon plus de blessés. Pour quel résultat ? Des puissances ruinées par la guerre, une Allemagne humiliée et s’apprête deux décennies après à prendre sa revanche. Des empires démantelés (d’Allemagne, d’Autriche-Hongrie et d’Ottoman) et enfin le réveil des peuples coloniaux qui a sonné avec l’affaissement des puissances coloniales. En 1919, le monde a changé, il n’était plus comme avant.
Posons-nous cette question : « Pourquoi l’irruption d’un conflit, considéré au départ par l’opinion publique, comme une guerre de quelques mois, sans grande conséquence pour l’ordre impérial européen, puis s’est transformé en une guerre effroyable, un désastre pour les puissances européennes ? » Surtout qu’un deuxième conflit mondial encore plus effroyable allait survenir vingt ans après.
Au-delà de la guerre entre les puissances européennes, qu’en est-il des peuples d’Afrique et d’Asie qui représentent quelques 2/3 de l’humanité et, de surcroît, dominés par les puissances européennes qui représentent moins d’1/5 de l’humanité. N’y a-t-il pas une injustice manifeste entre les peuples ? Quel destin pour les peuples d’Afrique et d’Asie ? Quel destin pour les peuples européens transformés en chair à canon ? Deux peuples dominés. Les uns en « sous-peuples », les autres pour être « consommés » par la guerre.
Qu’en est-il alors de l’« essence » des peuples qu’ils tirent de l’« Essence » qui régit le monde et l’univers tout entier ? Un des grands philosophes de l’histoire, G. F. W. Hegel, disait : « Derrière l’apparence extérieure des événements, derrière tout ce que font les hommes, derrière tous leurs actes les plus absurdes ou les plus passionnels, se cache une « Raison », un « Esprit, qui mène le monde vers plus de liberté, plus de rationalité. »
Précisément, la première guerre mondiale apparaît comme une première réponse « contingente et positive » au désordre du monde. Par conséquent, la question n’est pas dans la puissance militaire écrasante des empires européens qui a mis des peuples dans une situation de « servitude » et de « négation », qui est un « Etant », mais la substitution d’un « Etant » par un autre « Etant » que la guerre 1914-1918 et la formidable puissance de guerre de l’Europe pour régenter le monde a fait éclore.
Les « contingences » qui ont permis l’expansion des puissances européennes vont opérer un mouvement inverse et provoquer, à partir de cet événement, une série d’événements qui, au prix de terribles souffrances pour les peuples d’Europe, marqueront la fin d’une époque, la fin de plusieurs empires européens.
- La crise de 1929
Crises et guerres sont des « accoucheuses d’histoire ». Pour Edgar Morin, l’histoire est « une succession d’émergences et d’effondrements, de périodes calmes et de cataclysmes, de bifurcations, de tourbillons des émergences inattendues ». Morin qui parle d’abîmes et de métamorphose, cette histoire qu’il a vécue, il le rappelle dans son livre « vers l’abîme » (L’Herne 2007) : « En 1929, la crise économique, conjuguée à l’humiliation des lendemains de la Première Guerre mondiale, a provoqué la venue au pouvoir d’Hitler, par des voies démocratiques. Ce n’est pas d’un pays arriéré qu’est venue la barbarie, mais de ce qui était la première puissance industrielle d’Europe, et qui était sur le plan culturel, la plus avancée ». Né en 1921, Edgar Morin a connu et participé à de grandes convulsions historiques. Si tout est vrai dans cette constatation de l’Histoire, il reste que Morin ne dit pas « pourquoi le monde a vécu l’abîme passée », et pourquoi la crise de 1929 est survenue alors que les seules grandes puissances économiques, à cette époque, étaient occidentales, le reste du monde était soit colonisé soit compter peu dans les relations politiques et économiques internationales.
Comment comprendre alors la crise économique de 1929, provoquée de nouveau par les puissances occidentales comme en 1914, lors du premier conflit mondial ? Est-ce une « fatalité » ? Est-ce qu’une « malédiction » pèse sur l’Occident ? Cette crise a fait l’objet de milliers d’analyses économiques mais n’a pas été transcendé, n’a jamais été au-delà des possibilités apparentes que la nature de cette crise exceptionnelle pouvait apporter comme connaissance dans la compréhension de l’évolution et du sens du monde.
Rappelons brièvement le contexte historique qui a fait « monter » la crise de 1929. Le premier conflit mondial terminé, leurs économies affectées par la guerre, les pays d’Europe devaient procéder à leur reconstruction. Les États-Unis qui avaient approvisionné et supplée au déficit de la production industrielle de l’Europe dans le monde durant la guerre sont devenus la première puissance industrielle du monde. Se fondant sur l’engagement des Alliés à rembourser les dettes qu’ils ont contractées durant la guerre, les États-Unis ont continué à financer et exporter des machines, des équipements et des produits agricoles vers l’Europe. Les capitaux américains drainés en Europe devaient « acheter la surproduction américaine », transformant l’Europe en « locomotive » pour l’économie américaine. Comme ce qui se passe aujourd’hui pour la Chine, elle prête ses excédents commerciaux aux États-Unis sous forme de placements en bons de Trésor américains pour que ces derniers importent des produits made in China.
Au milieu des années 1920, les pays européens, se relevant de la guerre et regagnant des parts de marché, ont commencé à se poser en concurrents à la puissance américaine. La baisse des exportations américaines vers l’Europe et la compétitivité européenne progressivement retrouvée eurent des effets négatifs sur l’économie américaine. Le problème de la surproduction, devenant le problème N°1 pour les firmes américaines, inhérent au rattrapage économique de l’Europe, s’est traduit par une baisse de la production industrielle et une hausse du chômage aux États-Unis.
N’ayant pas procédé à un réajustement structurel de l’économie, les argentiers américains ont usé de moyens financiers et monétaires pour doper l’économie américaine. Comptant sur la « main invisible », multipliant les instruments monétaires (baisse des taux d’intérêt, augmentation des liquidités, assouplissement des règles prudentielles…), les autorités monétaires ont ouvert la voie à une logique spéculative sans précédent sur les marchés. La hausse artificielle des actifs à Wall Street à partir de 1928, dans un contexte de conjoncture déclinante et de baisse des profits, a drainé les capitaux à court terme investis en Europe à la recherche de plus-values et fragilisé encore le système financier mondial.
- Une Main invisible gouverne les peuples
Tous les moyens utilisés pour masquer la crise économique n’ont fait que gonfler la bulle financière. La spéculation aux États-Unis, encouragée par la Réserve fédérale américaine (Banque centrale), a pris des proportions telles que les actifs, déconnectés de la réalité, ont atteint des valeurs folles plongeant la Bourse de Wall Street dans une hystérie générale. Pour rappel, la crise des subprimes en 2007, malgré les progrès faits dans le domaine financier, a provoqué une crise financière cataclysmique à l’été de 2008. Pourtant elle n’a pas atteint en ampleur et en profondeur la crise de 1929 où des dizaines millions d’emplois furent détruits. Comparativement à la démographie d’aujourd’hui, si cette crise avait survenu aujourd’hui, elle aurait détruit non pas des dizaines de millions mais des centaines de millions d’emplois.
Les autorités monétaires qui ont usé massivement des instruments financiers et monétaires et compté probablement sur la « Main invisible » d’Adam Smith pour réguler de nouveau l’économie, n’ont pas pris en compte que la « Main invisible » certes va effectivement résorber le déséquilibre (issu de la formidable spéculation qui a suivi la contraction de l’économie américaine), mais selon sa propre logique, c’est-à-dire en faisant plonger les États-Unis dans la plus grave crise économique et financière de leur histoire.
Vu le dégonflement excessif des actifs boursiers, on est en droit de se poser les questions : « Est-ce réellement la spéculation qui a été la cause première de la crise ? Où est-ce que la spéculation n’a été qu’un substitut économique pour masquer la situation déclinante de l’économie américaine ? »
La spéculation certes a étiré le cycle économique en dopant l’économie par un processus spéculatif sans création de richesses. Mais on ne peut masquer indéfiniment la crise, la vérité finit toujours par prendre le dessus. Et c’est ce qui s’est passé. Cependant, on ne peut s’empêcher de s’interroger pourquoi, après la guerre, l’économie mondiale était en pleine croissance (reconstruction de l’Europe, boom économique aux Etats-Unis, etc.), et juste après le rattrapage économique de l’Europe, la situation économique occidentale a commencé à péricliter.
Ce que l’on doit comprendre dans ce processus de bulle spéculative qui a atteint des sommets, c’est que l’« offre mondiale » qui a augmenté n’a pas pu s’ajuster à la « demande mondiale ». La question pourquoi ? Puisque tout se joue dans l’équilibre entre l’offre et la demande mondiale. Pourtant, bien que la reconstruction de l’Europe a dopé l’économie américaine, et réciproquement l’économie américaine a eu des effets heureux sur l’économie européenne, en leur faisant retrouver la compétitivité perdue par la guerre, il demeure que l’Occident, en particulier les États-Unis, s’est trouvé confronté au « mur de l’absorption ».
En effet, les capacités industrielles avec le formidable essor industriel et le progrès technologique américain étendu à l’Europe ont créé un déséquilibre mondial puisque les capacités de production de l’Occident dépassaient les capacités d’absorption à la fois de l’Occident et du monde. Or, à cette époque, l’Europe et les États-Unis avaient une prédominance non seulement militaire mais aussi économique, à l’échelle mondiale.
Or, qu’en était-il du « reste du monde », à cette époque ? Bien qu’il contribuait pour une grande partie dans la production de richesses en Occident par les formidables gisements de matières premières, d’énergie et produits de base qu’il recèle et les millions de bras que les puissances exploitaient en Afrique et en Asie pour extraire ces richesses et les acheminer pour leurs usines en vue de leur traitement et leur consommation, le « reste du monde non seulement ne comptait pas dans le processus productif mais, de surcroît, il n’était qu’accessoire ». « Deux-tiers de l’humanité », sans droits, spoliés de leurs richesses, de leur force de travail, constituaient un sous-prolétariat, des laissés-pour-compte de l’Occident.
Cette situation nous fait dire que la crise de 1929 et la dépression des années 1930 sont apparues comme une nouvelle « réponse contingente » pour parer à cette situation d’iniquité envers la plus grande masse du monde. Il est évident que, sans la crise de 1929, et le conflit qui a suivi en 1939, les peuples colonisés auraient certainement attendu encore longtemps pour se libérer du diktat occidental. Aussi nous apparaît-il que de nouveau un « Etant » s’est substitué à l’ « Etant » d’avant 1929, et qu’en rebattant les cartes du monde, il entrait dans l’« ordre logique et positif de la marche du monde ».
- Le même processus se joue dans les guerres en Ukraine et à Gaza
Il est évident que l’on peut faire la comparaison entre les guerres mondiales et ce qui se passe en Ukraine et à Gaza où deux guerres localisées se jouent et l’Occident est partie prenante cherchant à s’imposer à tout prix au reste du monde. Le même processus est en cours sauf qu’il est à une échelle réduite. Ce que l’on peut dire que toutes les guerres que l’Occident a menées depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, aucune n’a été couronnée de succès. Il s’en est suivi toujours de triomphe au début mais ce triomphe a décliné progressivement pour se transformer en recul, puis en échec.
Les guerres en Ukraine et à Gaza sont en train de s’essouffler, et au final, ce sera toujours les peuples opprimés qui se libèreront. La marche de l’histoire ne relève pas des hommes mais de Celui qui a créé le monde, de Celui qui a mis le bien bien plus haut que le mal. Que si le bien existe, c’est que malheureusement le mal doit aussi exister, sinon le bien sans l’existence du mal ne serait rien, il serait sans sens. Donc le mal reste une fatalité pour les êtres humains, et doivent tout tant qu’ils le peuvent s’en préserver.
En fait, une Main invisible dans ce mouvement permanent du monde dont nous n’appréhendons pas ses desseins, mais ce sont ses « desseins » qui assurent, qui visent le « bonheur d’exister des peuples », malgré les guerres. Cette vision métaphysique du monde est bien une réalité puisque c’est de celle-ci que les empires européens ont dû leur disparition, au XXe siècle, et de celle-ci qu’est née la « Liberté » des peuples colonisés, la libération des peuples opprimés. L’humanité ne se régit pas comme elle veut, au-dessus d’elle, il y a bien une « Essence », une « Instance supérieure, une Instance suprême », ou comme énonce le philosophe allemand Hegel : « Il y a un Esprit qui mène le monde vers plus de liberté, plus de rationalité. »
Medjdoub Hamed
Chercheur
15 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON