Une « Nouvelle Science » émerge quatre siècles après Descartes
L’émergence d’une nouvelle science requiert, pour son développement et sa diffusion, la mobilisation des acteurs du monde de la science, de l’édition, de l’enseignement, ainsi que des moyens matériels. Les personnes souhaitant soutenir cette aventure, y participer, sont invitées à me contacter. J’ai un projet de création (à Bordeaux) d’une école dédiée au développement des approches nouvelles et transversales dans les trois champs du savoir, physique, biologie, sciences dites humaines.
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0) Si une nouvelle science doit advenir, elle se développera en utilisant les résultats de la science moderne mais sans elle ne se limitera pas à la maîtrise et la manipulation de la Nature et se refusera à n’être qu’une technoscience. La science dite fondamentale étudie les objets, élabore des théories ; elle conduit vers les applications technologiques mais aussi un savoir sur ces objets, ce qu’ils sont, d’où ils viennent, où ils vont et pour quoi. La nouvelle science devra expliquer l’origine et l’existence des choses (matérielles, vivantes) qui nous entourent et que nous pouvons observer, sentir, expérimenter, analyser. Connaître le sens et l’essence des choses. La vie n’est-elle que le résultat du hasard ou bien un principe directeur joue-t-il de son influence subtile pour finaliser le jeu de la matière, de la vie, de la civilisation humaine ? Vivre, est-ce uniquement lutter et survivre ou bien voir, produire un point de vue sur l’environnement ?
La méthode de Descartes a fait son temps ; élaborée comme un chemin pour résoudre un problème en plusieurs parties, elle a été érigée comme principe directeur pour la science expérimentale. Elaborée pendant le dernier tiers du XXe siècle, la méthode d’Edgar Morin a montré son intérêt heuristique et herméneutique, permettant de rompre avec les schémas simplistes de la science mécaniste. Elle a aussi montré ses limites et signé l’échec de la systémique centrée sur le paradigme de l’auto-organisation. Le temps est venu pour fonder une seconde systémique. Qui ira de pair avec la refonte du modèle synthétique de l’évolution contesté par les scientifiques lancés dans la quête d’une troisième voie. La physique est elle aussi en crise. La gravité quantique n’a pas été résolue.
1) L’homme est la seule espèce capable d’inventer et de façonner des outils pour un usage technique précis et efficace. Le silex, l’écriture, le fer, la roue, la catapulte, le char, l’épée, la flèche, la liste est interminable. Les grandes inventions signent les âges de la civilisation, s’invitant parfois dans les mythes (Eliade). Les religions et les régimes politiques s’enchainent et signent aussi les âges en se superposant aux inventions techniques. Parmi les grandes innovations, les unes renforcent les capacités physiques, mécaniques, matérielles de l’homme, les autres amplifient et même transforment les capacités de calcul du cerveau humain. Un instrument technique manipulé a un effet sur le cerveau ; les bricoleurs savent pertinemment qu’en étant appliqué à une tâche, ce n’est pas tant la main mais le cerveau qui fonctionne. La technique influence la pensée humaine à des degrés insoupçonnés, car elle modifie l’appréhension du monde et même elle est suivie de mythes. Mircea Eliade a remarqué que les religions antiques épousent le cours des inventions matérielles (interprétées comme puissance magique sans doute)
2) Au XVIIe siècle, une innovation majeure a changé le cours de l’histoire des civilisations, d’abord en Europe puis à l’échelle de la planète. Cette innovation ne peut être séparée de la mutation de civilisation opérée en Europe entre la guerre de cent ans et la Renaissance tardive. Cette invention n’est autre que la Science moderne, qu’il faudrait désigner comme sciences au pluriel tant le nombre de spécialités est devenu imposant, reposant sur la combinaison d’une chose et d’un dispositif instrumental pour l’étudier. Trois grandes figures annoncent la science moderne, le philosophe anglais Bacon qui prophétise l’utilisation de la nature, Descartes qui propose une méthode pour découvrir la solution à des problèmes en décomposant les parties et Galilée qui, après la loi céleste des aires de Kepler, découvre que les phénomènes mécaniques terrestres sont eux aussi réglés par des formules mathématiques. Si urbi et orbi est une formule définissant l’étendue de l’empire romain, à la terre comme au ciel serait la devise de la synthèse moderne réalisée par Newton qui, en un coup de génie, unifie la « gravitation céleste » et la gravité sur terre. La science moderne est sur les rails, les découvertes vont suivre à un rythme soutenu.
3) Descartes savait qu’il inventait un nouveau savoir, qu’il instaurait une sorte de commencement, et du reste, il fut plutôt secoué et même inquiet, comme en attestent ses trois rêves dans la nuit du 10 novembre précédant la saint-Martin. Newton codifia pour les siècles à venir la méthode dite inductive permettant de produire une théorie à partir des expériences, méthode parachevée par Popper. Depuis, des milliers d’ouvrages ont tenté d’expliquer ce que représente la Science dans nos existences et la production de transformations majeures amorcées pendant l’époque moderne et amplifiées avec les multiples révolutions industrielles après 1800. En vérité, plus nous utilisons la science, plus nous la pratiquons, plus son efficacité nous échappe, autant que son influence secrète sur nos âmes alors que la Nature finit par être comprise de manière superficielle et même fausse (comme un objet ou alors une chose objectivée, prolongement épistémologique de la res extensa cartésienne). Dans son étude sur les civilisations, Philippe Descola a expliqué que l’Occident moderne refuse d’accorder une intériorité à la Nature (contrairement à la doctrine scolastique médiévale ou aux cultures animistes). Pourtant, les découvertes de la physique quantique inclinent à penser que la matière possède une sorte d’intériorité.
4) Avec la force, le concept central de la mécanique rationnelle, c’est la masse. Le concept central de la philosophie, c’est la chose. Newton, Lagrange ou Laplace mesurent les forces, installent les masses dans un espace-temps et calculent les trajectoires. Kant, Hegel, Nietzsche, Husserl ou Heidegger interrogent la chose, la « chair » et « l’esprit » du monde. La masse est une représentation, une grandeur attribuée à la chose matérielle. La chose philosophique cherche à coïncider avec la chose réelle, avec son essence, sa qualité, ce qu’elle est. La masse, l’espace-temps, les forces, sont les notions fondamentales d’une science qui a perdu ses fondements métaphysiques. Cette science étudie non pas ce qu’est la Nature en son essence (comme c’était le cas dans la scolastique médiévale) mais ce que l’homme peut faire et fait de la Nature, comment il la manipule, la mesure, la calcule. La science moderne a triomphé dans le « faire », elle a perdu le sens de l’être et des essences. Ce triomphe a un prix, la méconnaissance de la Nature ramenée à un ensemble de composants dont l’essence est de faire, d’agir, d’interagir en utilisant des mécanismes physiques, chimiques, biologiques. Composants réglés par la cybernétique, fille cadette de la métaphysique selon Heidegger.
5) La notion de chose n’a pas disparu à la modernité. En réalité, la science repose sur la chose moderne, définie comme objet et la chose pensante, ou l’entendement, définit le sujet. La science moderne repose sur une mise à distance, une rétractation, une distanciation du sujet placé alors en position décalée pour manipuler et mesurer des choses en utilisant les outils mathématiques et les instruments, comme en d’autre temps les anciens se servaient du silex puis du burin, ensuite de la forge ou de la scie dentée. A l’époque de la thermodynamique et de la biologie moléculaire, la chose est devenue un système complexe. Avec un Tout et des parties.
(Aparté. Le principe de la science moderne a influé sur la politique. L’Etat est devenu une instance séparant la gouvernance de la société gouvernée, mise à distance, prise comme un ensemble de sujets de droit. Et maintenant, comme choses humaines soumise au calcul, aux statistiques, aux objectifs, à la santé. La nouvelle science érigée par les savants et philosophes du XVIIe siècle coïncide avec une période de troubles, guerres de religions à la fin du siècle précédent, guerre de Trente Ans, civile et politique, maladies, famine, Fronde en France. Les travaux d’Einstein ont accompagné la crise des empires puis la mécanique s’est développée avant la grande déflagration consécutive à 1929. Quid de la science dans les années 2020, en pleine crise Covid ?)
6) Il est impossible de séparer la science de la conception du monde qu’elle induit. Deux inductions doivent être considérées, la première, épistémologique, conduit des expériences aux théories, notions, concepts, lois, la seconde, ontologique, mène des théories vers le dévoilement des principes générant et gouvernant les êtres et les phénomènes. La science antique et la scolastique médiévale sont des ontologies ; elles visent la connaissance de la Nature en se fondant sur l’expérience immédiate. En revanche, la science moderne introduit une séparation (mesures et instruments) entre l’expérience et la connaissance. Les modèles théoriques de la science moderne sont intermédiaires et introduisent un filtre entre le phénomène et le réel. Entre la chose manifestée et la chose-en-soi. Cette énigmatique chose-en-soi que Kant avait décrétée comme inconnaissable. Si la scolastique a cru achever la connaissance, la science moderne repose sur le principe d’un savoir en construction, provisoire, perfectible. La scolastique cherche l’accord (définitif) entre la chose et son concept, la science moderne repose sur l’ajustement du modèle à l’expérience. Descartes comprit très tôt comment certaines observations physiques ne collaient pas avec les principes dont se servaient les savants de la scolastique. Popper énonça trois siècles plus tard le principe de réfutabilité comme règle universelle gouvernant la science ; si les observations contredisent (réfutent) une théorie, alors il faut la remplacer et formuler une nouvelle théorie.
7) Est-il envisageable de voir émerger une nouvelle science, ou alors une nouvelle manière de penser et concevoir les choses de (dans) la nature ? Nous pouvons être certains que la conception de la matière et surtout de la vie ont évolué au fil des découvertes scientifiques. La question est de savoir si la Science suit un cours progressif, graduel, ou si la connaissance des choses acquise avec la science subira une disruption, affectant les trois grands domaines du savoir. Matière et cosmos, Vie, Homme et société.
Les processus quantiques, l’ordre dans la matière, les phases, les cristaux temporels.
La gravité quantique, ordre matériel aux échelles cosmologiques.
La Vie, les molécules, les cellules, les organismes, l’évolution.
L’homme, le cerveau, les sociétés, la technique ; civilisations, arts, religions. Autrement dit, les sciences de l’homme au sens le plus large, englobant les neurosciences, la sociologie, l’histoire et la philosophie de l’esprit.
La physique moderne a connu plusieurs crises pendant sa courte histoire, de 1600 à nos jours. La conception mécaniste héritée de Newton s’est effondrée avec la découverte de la physique des champs dont le principe est simple. Les sources disent au champ comment il doit varier, le champ dicte aux sources comment elles doivent réagir. Les phénomènes électromagnétiques furent les premiers à être capturés par une physique des champs. Puis, en transposant le principe au cosmos, Einstein établit l’absence d’une scène fixe de l’univers sur laquelle les masses seraient disposées. L’existence de la scène cosmologie est façonnée par les masses qui y jouent. La mécanique quantique a réfuté le modèle planétaire de l’atome. La thermodynamique du non-équilibre a fini par rendre caduques les principes de la physique newtonienne (Prigogine, La fin des certitudes). Lorsque les systèmes sont hors équilibre (qu’ils ont une quantité de progression), la troisième loi de Newton n’est plus respectée. La réaction n’est pas égale à l’action, une asymétrie se produit. La troisième loi de Newton découle des forces mécaniques de la matière, des corps qui se repoussent mutuellement, ne pouvant occuper une même position. Deux billes s’entrechoquant produisent des forces répulsives générées par un processus de type source, alors qu’une bille en chute libre est soumise à une force de gravité générée par un processus de type champ (la gravité produite par toutes les sources et dont on cherche le support physique). L’existence des champs et des sources dépend ainsi d’un principe fondamental d’asymétrie.
La nouvelle science établira les principes et règles gouvernant l’asymétrie entre source et champ, étant entendu qu’une source est du genre singularité (topologique, ontologique) alors que le champ est un espace de continuité, d’étendue, de communications, de liens existentiels. Dans le champ, les signaux se propagent et dans les sources, ils sont sous formes complexes, combinées, sémantisées, condensées. Si la première systémique issue des années 1960 reposait sur la conjecture du Tout et parties, la nouvelle systémique sera fondée sur le doublet source et champ. Les sources se constituent, agissent, communiquent avec le champ qui est leur espace commun, en envoyant et réceptionnant des signaux. Les sources hors équilibre produisent une action mécanique et elles interprètent le champ. Elles sont des sources mécaniques et sémantiques, émettant des signaux se propageant de manière diffuse dans l’environnement ou alors en utilisant des « canaux moléculaires ». Les sources constituées dans le vivant produisent du sens, elles orientent l’action dans l’environnement, elles sont à l’origine du « sens commun » partagé entre diverses sources. Les sources dans un système inerte ne produisent pas d’action, elles sont réglées par le principe de moindre action, principe valable en mécanique rationnelle, électrodynamique quantique mais aussi thermodynamique de l’équilibre (voir les travaux de Louis de Broglie) et cosmologie (principe d’action stationnaire). Le principe de moindre action gouverne un monde inerte, obéissant de surcroît à la troisième loi de Newton, alors que les systèmes situés hors de l’équilibre sortent de ce cadre et son capables de créer une action sous forme de structure dans les matériaux. C’est surtout le Vivant qui invente ces actions sous diverses manifestations, la division des premières cellules, la croissance lente des végétaux pouvant atteindre les dizaines de mètres, ou alors la force mécanique des animaux aux tailles impressionnantes, alligator, éléphant, baleine.
8) Le paradigme du doublet source et champ englobe les avancées dans plusieurs sciences, physique, biologie et bientôt, les sciences sociales, sans oublier la métaphysique. Faire varier un champ, c’est envoyer dans l’environnement un signal, recevoir une instruction du champ suppose de recevoir par une interface un signal et l’interpréter, le décoder. Une transformation des savoirs est en marche et se dessine progressivement jusqu’au moment où l’accumulation des observations, des interprétations, des modélisations, engendre une rupture. Ce qui se dessine, c’est l’émergence d’une science des codes et des significations, cette science englobant alors l’ancienne science des mécanismes et des régulations. Des dizaines de scientifiques œuvrent dans le domaine de la biologie sémantique, désignée aussi comme biosémiotique (Kull) ou alors comme biologie des codes (Barbieri http://codebiology.org/). L’étude des codes montrent qu’ils ont été conservés au cours de l’évolution, ce sont des sortes d’invariants, à l’image des bosons qui dans le monde physique, sont les codes permettant aux interactions fondamentales de se transmettre d’un lieu à un autre. Cette biologie des codes permet d’enrichir les réflexions sur les ressorts de l’évolution. Elle s’inscrit résolument dans la voie alternative développée par une diversité de scientifiques, biologistes, évolutionnistes, philosophes des sciences (James Shapiro, Denis Noble https://www.thethirdwayofevolution.com/) De mon côté, j’ai explicité le rôle de l’information et des communications dans les différents mondes, physique, biologiques, sociétaux, avec des hypothèses sur le temps et les émergences (Dugué, 2017 http://www.iste.co.uk/book.php?id=1199 et 2018 http://www.iste.co.uk/book.php?id=1332)
La nouvelle science sera accompagnée d’une nouvelle vision du monde, de la matière, de la Vie et du cosmos, avec l’homme en position médiane. A la matière mécanique se combine une Matière sémantique, qui communique, un ensemble de sources insérées dans un champ. L’interface sémantique permet de recevoir et d’émettre les signaux devenus des codes. Ces interfaces sont en relation avec vers le cœur de la matière, source de l’encodage, de la mémoire et du décodage. Nous qui sommes en quête du sens de la Vie, nous allons comprendre la vie du Sens, la Vie comme puissance sur terre mais aussi ouverture vers le monde et décodage des situations. L’homme est non seulement un animal parlant et rationnel selon l’énoncé d’Aristote, un producteur selon Hegel, mais aussi un animal sémiotique, qui cherche du sens en cheminant le long de l’existence, qui veut donner du sens à son action, qui espère et se tourne vers l’avenir. Certains prétendent même décoder l’invisible, les dieux, le Dieu, ce qui est caché dans la nature, le cosmos, ou bien enfoui dans l’inconscient.
Avec la vie, la matière se met à voir le monde, l’environnement. L’homme est un animal qui voit et cherche à interpréter ce qu’il voit. Seul l’homme est capable de saisir la beauté du monde et de dire qu’un coucher de soleil, une fleur ou un papillon sont de belles « choses ». L’homme peut aussi observer, classer les animaux, les placer dans des ensembles phylogéniques, insectes, mollusques, reptiles, oiseaux, mammifères. Enfin, l’homme est l’animal qui s’efforce de décoder le monde et ce que font et disent ses congénères ; il observe et cherche des formes pouvant être pris comme signes et codes d’un monde qui a été créé ou se crée, ces codes pouvant être interprétés comme les indices d’une intention en œuvre dans l’univers. Ces codes définissent une situation ou alors permettent d’envoyer des instructions si bien que la recherche des codes dans la Nature permet aussi son exploitation, son utilisation, ainsi que le proposèrent deux philosophes décisifs pour la Modernité, Bacon et Descartes. Et pour utiliser la Nature, le plus efficace c’est de la mesurer et d’établir si des régularités gouvernent la série des mesures effectuées, ces régularités devenant alors les lois des modèles représentant la nature.
9) En guise de conclusion, une vue d’ensemble sur la Science et la vision du monde avec la grande controverse en vue. Il est indéniable que la méthode scientifique a produit des résultats en masse mais aussi induit une vision du monde axée autour des interactions, des mécanismes, avec une matière quasiment aveugle. En fait, le Mécanisme est plus une méthode qu’une vision du monde. Pour le théoricien de la biologie Marcello Barbieri, le Mécanisme suppose que la connaissance scientifique est obtenue en construisant des machines qui imitent ce que l’on observe dans la Nature. Et comme l’imitation ne coïncide pas avec l’original, alors les modèles mécanistiques sont forcément incomplets et amenés à évoluer en permanence. Un nouveau challenge émerge avec l’introduction en biologie des concepts d’énergie, d’information, de code et à terme, de significations. Barbieri reconnaît alors la pertinence des recherches effectuées en biosémantique deux décennies, recherche où il fut l’un des principaux acteurs dans ce domaine assumant l’héritage des thèses de Jacob von Uexküll. En revanche, il prend ses distances avec la conception « organiciste », autrement dit non-mécanistique, des processus biosémantiques (Barbieri, 2014).
Les codes sont associés aux transitions évolutives majeures, ils ne créent pas les disruptions évolutives, mais ils y participent, en les rendant possible, en façonnant un champ favorable à ces évolutions. Par exemple, le code histone a accompagné l’émergence des cellules eucaryotes dont l’ADN est compacté sous forme de nucléosomes et combiné à des protéines pour former la chromatine, mégastructure qui avec la séparation nucléaire, marque une différence colossale avec l’univers des bactéries. Les eucaryotes se sont assemblés pour former les deux grands règnes que nous observons avec nos sens, les végétaux et des animaux.
Les entités vivantes ou inertes se manifestent comme phénomènes avec des formes, des structures, des signes, des codes. Un code n’est pas une forme anodine ou arbitraire, il est émis lorsqu’il obéit à une intention à l’égard des entités occupant un environnement.
Les initiés à l’histoire des sciences verront dans ces débats contemporains une reformulation de l’ancienne controverse entre vitalisme et mécanisme héritée du XIXe siècle. Cette controverse mobilise cependant des moyens considérables et une somme de savoir sur les composants du vivant. Le mécanisme est plus complexe et intègre maintenant l’étude des codes et des déchiffrages. Le vitalisme est devenu en partie un sémantisme. La grande controverse concerne les processus de décodage et d’interprétation du vivant. Cette controverse s’explicite avec une question fondamentale, celle de la différence ontologique entre les formes, codes, signes, champs et les sources codantes et sémantiques. Pour le dire autrement, tout n’est-il que mécanismes ou bien faut-il envisager des processus échappant à une description mécanistique ? Dans la seconde option, l’hypothèse de processus physiques non conventionnels doit être envisagée. Ces processus intervenant dans la production des interprétations et s’il y a lieu, d’anticipations et de transformations au niveau le plus profond. Alors que pour le fonctionnement des mécanismes et des transmissions de codes, l’interaction électromagnétique est mobilisée, ainsi que dans les mécanismes électromécaniques observés depuis les bactéries et les cellules ciliées jusqu’aux animaux.
La nouvelle science n’a pas encore sa méthode mais elle dispose d’une vision, d’une conception des choses dépassant les cadres modernistes. Elle distingue deux pôles, source et champ. Ces deux pôles obéissent à des principes différents. La distinction source et champ est accompagnée d’une différence ontologique, ontophysique, ontosémantique. Les sources ont une mémoire expérientielle, elles codent pour transmettre des instructions, envoyer des signaux pour communiquer et réciproquement mais de manière asymétrique, elles réceptionnent des signaux pris comme codes d’une situation, d’un réel qu’il faut interpréter pour y participer. Les sources sont insérées dans un champ qui représente le lieu où les choses se manifestent comme objets, formes, et envoient des signaux transmis par les interfaces entre sources et champ. La rupture avec la science moderne est affirmée. Il n’y a pas de « continuité physique » stricte entre les sources et les champs, entre le monde manifesté et le monde invisible intériorisé des sources. Le monde de la vie, comme celui de la matière, est le reflet du sujet humain, constitué par une partie externe exprimée, manifeste, et une intériorité cachée, un monde intime, avec une mémoire stratifiée, ordonnée.
(Persona et anima disait Jung. La différence ontologique a comme conséquence une différence observée dans les expressions contemporaines, à travers les œuvres et les discours. La forme domine, la « com » disent les experts en communication, le contenu tend à disparaître et la forme se fait passer pour du contenu (Dugué, 2017, chap. 3). La communication sert à montrer que l’ego existe, occupe une place, influe, sans se préoccuper de la signification du message et de sa valeur intellective. Cela traduit la perte du sens profond de l’existence, l’occupation du champ sémantique par du bavardage).
La nouvelle science devra expliquer comment fonctionnent les sources, les archétypes, la mémoire, avec quelles règles physiques ou métaphysiques.
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Barbieri, M. From Biosemiotics to Code Biology. Biol Theory 9, 239–249 (2014). https://doi.org/10.1007/s13752-013-0155-6
Barbieri, M. Evolution of the genetic code : The ambiguity-reduction theory, Biosystems, Volume 185, (2019) https://doi.org/10.1016/j.biosystems.2019.104024
Dugué B. Information and the world stage, Wiley, 2017. (Dugué B. ; L’information et la scène du monde, Iste éditions, 2017)
Dugué B. Time, emergences and communications, Wiley, 2018. (Dugué B. ; Temps, émergences et communications, Iste éditions, 2017)
Dugué, B. Après le SARS-CoV-2, la révolution biosémantique en virologie
https://www.agoravox.fr/actualites/technologies/article/apres-le-sars-cov-2-la-revolution-231185
Annexe, extrait du discours de Descartes
« Mais, sitôt que j’ai eu acquis quelques notions générales touchant la physique, et que, commençant à les éprouver en diverses difficultés particulières, j’ai remarqué jusques où elles peuvent conduire, et combien elles diffèrent des principes dont on s’est servi jusques à présent, j’ai cru que je ne pouvois les tenir cachées sans pécher grandement contre la loi qui nous oblige à procurer autant qu’il est en nous le bien général de tous les hommes : car elles m’ont fait voir qu’il est possible de parvenir à des connoissances qui soient fort utiles à la vie ; et qu’au lieu de cette philosophie spéculative qu’on enseigne dans les écoles, on en peut trouver une pratique, par laquelle, connoissant la force et les actions du feu, de l’eau, de l’air, des astres, des cieux, et de tous les autres corps qui nous environnent, aussi distinctement que nous connoissons les divers métiers de nos artisans, nous les pourrions employer en même façon à tous les usages auxquels ils sont propres, et ainsi nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature. » (Descartes, Discours de la méthode, livre VI)
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