Une publicité de la Banque postale pour illettrés colonisés ?
Depuis que le Livret A a cessé d’être un produit exclusif de la Banque postale et des Caisses d’épargne et que d’autres banques le proposent désormais, une campagne publicitaire de la Banque postale est en cours : « Votre livret A mérite bien plus qu’une banque », prétend-elle vacharde envers ses concurrentes. Et six photos exhibent des personnages de tous âges vêtus du même tee-shirt blanc frappé du même slogan énigmatique « I ♥ LA ».

Un message codé pour initié
Ce message codé pour initié capte et retient évidemment l’attention. Composé d’initiales et du pictogramme d’un cœur, il intrigue. Hormis le cœur, substitut stéréotypé bien connu du verbe « aimer », les initiales restent mystérieuses jusqu’à ce que, intericonicité aidant, selon le cadre de référence de chacun, deux images connues sautent aux yeux. L’une d’elles est bien sûr celle des graffitis d’adolescents amoureux qui gravent ou écrivent sur tout ce qu’ils trouvent – du tronc d’arbre au mur d’un monument visité - leur promesse d’amour éternel. L’autre, provoqué par « I », le pronom personnel anglais à la première personne, est celle du slogan en usage pour la promotion des villes états-uniennes ; et dans ce cas, les lettres LA peuvent être les initiales de la ville de Los Angeles. Celles-ci paraissent même emprunter leurs couleurs vaguement bleu et blanc à la partie étoilée du drapeau américain, bien qu’il s’agisse d’un semis de logos de la Banque postale.
Une ambiguïté volontaire
Eh bien, non, on a tout faux ! La Banque postale n’est pas une filiale d’un secrétariat au tourisme états-unien. Elle a seulement joué de l’ambiguïté volontaire : il faut lire « I love Livret A » ! Et les six photos, par métonymie, montrent que cette déclaration d’amour intéresse paradoxalement six âges de la vie : le bébé, les garçonnets, l’adolescent, l’étudiant, la famille, les retraités. Un doute subsiste toutefois : seuls, les parents n’arborent pas le tee-shirt de leurs enfants, quand les retraités le font : sans doute la manie des graffitis romantiques leur est-elle passée alors qu’elle reprendrait chez les seniors. Mais serait-ce aussi que le Livret A s’adresse aux jeunes et aux seniors mais non à l’âge intermédiaire ? Il semble, d’autre part, que la Banque postale ait péché par sexisme, du moins dans le bureau de Poste où a été photographié ce montage : on compte huit représentants du sexe masculin pour trois du sexe féminin : les graffitis et l’offre ne concerneraient-ils donc pas les jeunes filles qui n’ont aucune représentante ?
Le réflexe d’identification à la mythologie états-unienne
Ce n’est pourtant pas cette anomalie qui sidère, mais la stimulation du réflexe d’identification à la mythologie états-unienne de la part d’une entreprise publique française, pour déclencher la pulsion de souscription. Et l’humour présumé de la démarche est impuissant à en tempérer l’incongruité. L’association par ambiguïté volontaire entre les initiales de Los Angeles et celles du livret A serait-elle donc la seule façon de faire croire à l’ultra-modernité du vieux livret d’épargne ? La clientèle visée aurait-elle, en effet, son esprit colonisé à ce point que seule une référence états-unienne serait en mesure de l’en convaincre ? La langue française leur serait-elle devenue moins familière que ce sabir d’illettré ? Ne serait-elle plus à leurs yeux qu’un dialecte de pays arriéré au regard de la langue de la première puissance technologique du monde ? Ne chercheraient-ils la distinction que dans le refoulement de la première et l’exhibition faite et fautive de bribes de la seconde ?
Faisant la leçon aux autres banques pour se prévaloir sur une autre affiche « de valeurs de solidarité et d’accessibilité » prétendument attachées au Livret A « depuis plus d’un siècle », la Banque postale ne se rend-elle pas compte qu’en fait, son slogan états-unien entre en contradiction avec elles ? Où a-t-on vu que Los Angeles est un modèle de ces valeurs et que le modeste livret A soit le placement le plus recherché au pays du libéralisme triomphant ? Les faillites en chaîne des banques américaines, actuellement emportées dans la tourmente des « subprimes », invitent même à penser le contraire. Puisque selon la Banque postale, « (le) livret A mérite bien plus qu’une banque », n’aurait-il pas aussi mérité bien plus qu’une publicité en sabir américain ? Paul Villach
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