Une publicité de NIKE sur le rugby : nique ou panique ?
Douterait-on encore que le rugby suive les traces corrompues du football ? Il suffit de voir la publicité diffusée par l’équipementier sportif Nike à l’occasion de « la Coupe du monde de rugby 2007 ».
![](http://www.agoravox.fr/local/cache-vignettes/L300xH225/IMG_2740-830f7.jpg)
Cinq joueurs de rugby apparaissent sur fond noir en plan moyen, revêtus du maillot bleu frappé du coq gaulois côté cœur. Malgré la mise hors-contexte, on devine qu’ en petite foulée, ballon en main, ils sortent du tunnel des vestiaires pour entrer sur le terrain, fermement décidés à en découdre. Le slogan n’est ni plus ni moins qu’un vers du refrain de l’hymne national français : « Aux armes citoyens », suivi non pas du point d’exclamation attendu, mais de l’accent grave, logo de la marque Nike.
Patriotisme et nationalisme
Pour capter l’attention, on ne saurait plus activement stimuler le réflexe socioculturel conditionné du patriotisme, voire du nationalisme. Y a-t-il meilleur appel à la mobilisation générale que cet extrait de La Marseillaise quand une guerre est déclarée et que la patrie est en danger ? Ici, la guerre est « la Coupe du monde de rugby » et les « citoyens » français sont appelés à soutenir leurs valeureux champions qui vont combattre pour eux par procuration. La métonymie est explicite : saisis en pleine course, ces joueurs sont conscients des responsabilités qui pèsent sur leurs épaules : ils ne sourient pas ; les visages sont, au contraire, empreints de la gravité qui sied à l’honneur et à la rude mission de défendre le pays tout entier.
Un paradoxe bouffon
Le lecteur averti, en revanche, peut-il garder son sérieux plus longtemps devant pareille mascarade, tant le paradoxe servi relève du gag ? Comment ne pas pouffer devant cette contradiction apparente fantasque entre le slogan guerrier et les joueurs exhibés qui "jouent aux soldats", ou encore entre les armes réclamées et celles brandies par ces héros : un maillot et un short pour toute cuirasse, un ballon pour projectile, en dehors de leur carrure et de leurs mains nues ? En fait d’armes - c’est la solution cachée du paradoxe qui est soufflée - il ne s’agit que d’ équipements sportifs de Nike dûment estampillés de son logo. L’appel aux armes en question - heureusement ! - n’est guère que l’appel du bonimenteur pour appâter le chaland !
Le grotesque asssumé plutôt que l’humour
L’humour sauve-t-il du moins Nike du ridicule ? Peut-on le déceler dans cette façon dont « la marque à l’accent grave » parle gravement (les armes) de quelque chose d’aussi léger (maillots, shorts et ballon) ? Il semble que l’humour au pied léger s’accommode mal des semelles de plomb du grotesque : l’assimilation abusive d’une tenue de sport à des « armes » ne touche-t-elle pas au délire ?
La bourde aurait-elle échappé aux publicitaires de Nike ? Non, évidemment ! Ils savent au contraire à qui ils s’adressent. Cet amalgame qui fait d’un simple match une guerre symbolique, comme l’est déjà le football, est aussi familier des fans du rugby : quel est celui qui ne connaît pas l’autre cri de guerre, « le Haka », poussé par les « All Blacks » de Nouvelle-Zélande, dans la bonne tradition du rituel guerrier des Maoris et de bien d’autres peuples anciens ? Avant les engagements meurtriers, il visait autant à galvaniser les combattants qu’à faire peur à l’ennemi.
La loi d’airain de l’audience
On l’a analysé dans un précédent article, - « Quand le football tourne au massacre... » - cette stimulation du réflexe patriotique et/ou nationaliste en faisant d’un match une guerre symbolique vise, en fait, à impliquer affectivement les spectateurs pour accroître une audience après laquelle Nike court comme tous les annonceurs. C’est à cette seule condition d’audience la plus large possible que ces derniers et les chaînes de télévision, sous forme de droits de retransmission, acceptent de payer des sommes fabuleuses aux fédérations sportives devenues simples instruments de promotion au risque de corrompre le sport qu’elle pratique. Il faut donc faire croire à chaque fois que la patrie est en danger ou que la suprématie de la tribu, de la région ou du pays doit être affirmée à la face du monde. Le comble, c’est qu’elles y parviennent !
Une idéologie militariste goûtée de Nike
Cette idéologie guerrière est manifestement du goût de Nike. Car cette image militariste du sport a déjà été exploitée en 1998 à l’occasion de "la Coupe du monde de football". Le journal Le Monde du 14-15 juin 1998 l’avait déjà souligné : une affiche montrait, sur fond d’arc de Triomphe, - celui de la Défense à Paris ! - aux lignes droites de l’ordre chères aux régimes fascistes des années 30, la tête du footballeur Cantonna, en gros plan, le menton en avant, l’air martial. Par intericonicité, c’était au masque de Mussolini sur les affiches fascistes qu’elle faisait immanquablement penser (voir photos ci-contre).
Le fond de l’ignominie
Toutefois, si grâce à Nike on touche le fond du ridicule, celui de l’indécence, voire de l’odieux, a été touché par l’entraîneur de l’équipe de France de rugby, M. Laporte, futur secrétaire d’État aux sports. Le Monde du 10 septembre a révélé que, vendredi 7 septembre 2007, pour motiver sans doute l’équipe de France qui devait quelques minutes après affronter celle d’Argentine, il lui a été lu la fameuse lettre du jeune martyr Guy Môquet écrite à ses parents avant d’être fusillé comme otage par les nazis ! On voudrait éclater de rire quand on pense à la piteuse défaite qui a suivi ! Mais on en est empêché : à ce degré d’ignominie, d’inculture et de confusion mentale, on reste sans voix. Le football comme le rugby rendent fou, on le voit, quand ils cessent d’être des jeux et deviennent des instruments de promotion.
Nike sait pertinemment qu’il s’adresse à un public d’aliénés en présentant le football et le rugby comme des guerres symboliques. Pas de panique donc ! Nike se contente de faire la nique. Paul Villach.
Documents joints à cet article
![Une publicité de NIKE sur le rugby : nique ou panique ?](http://www.agoravox.fr/local/cache-vignettes/L620xH465/IMG_2741-1a227.jpg)
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