Une publicité Lavazza un peu forte de café... à l’italienne
Faut-il que le café agisse comme un philtre pour que ne connaissent aucune borne les rêves publicitaires extravagants censés promouvoir sa vente. Le leurre d’appel sexuel qui lui est pourtant si éloigné, paraît lui être naturellement associé. Depuis 1985, la marque « Carte noire » se présente comme « un café nommé désir » dans de luxueuses mises en scène où le coup de foudre de son arôme précipite deux amants dans de beaux draps. « Jacques Vabre » choisit l’exotisme et se promène sur les hauts plateaux d’Amérique du Sud au son d’une ritournelle vaguement indienne quand il ne s’embarque pas sur un voilier pour une course océanique. « Malongo » se prévaut des idéaux du commerce équitable ou pratique la grosse farce en mettant "sous pression" au propre comme au figuré un personnage déguisé en grain de café « pour avoir un véritable expresso », dit la légende.
Lavazza innove dans ses affiches qui forment son calendrier 2009 signé de la photographe Annie Leibovitz et intitulé fort "italiennement" "The italian expresso expérience". Le café a beau être un produit importé. Le breuvage qu’on en tire est depuis longtemps naturalisé italien, même si Vienne, capitale de l’Autriche, depuis le siège turc de 1683, a quelques titres pour le contester. Le café est, en effet, une institution autant viennoise qu’italienne. Mais sans trop se soucier de l’amalgame entre marque et produit générique, Lavazza prétend dans sa campagne publicitaire en revendiquer le monopole et se glisser en douce parmi les emblèmes du patrimoine culturel de l’Italie.
Le leurre d’appel sexuel
Sept photos, pour une couverture et les douze mois de l’année groupés deux par deux, forment une galerie kitsch cocasse où l’attention du lecteur est captée par un faisceau de trois leurres agissant simultanément. Le leurre d’appel sexuel est évidemment omniprésent pour stimuler le réflexe de voyeurisme qui rive si puissamment l’image à sa victime : la nudité d’une jeune femme est offerte à des degrés divers dans six photos sur sept. Quant à la septième, une scène de baiser exhibe le plaisir d’autrui.
L’humour
Mais, même s’il saute aux yeux, le leurre d’appel sexuel n’est pas le leurre qui forcément retient l’attention. Des mises hors-contexte loufoques rendent sensible l’humour des scènes offertes et font sourire. Tous les personnages à une exception près, dans les lieux les plus inattendus, tiennent à la main, d’une manière ou d’une autre, le petit vase sacré qu’est la tasse de café. L’une des jeunes femmes s’inscrit même à l’intérieur d’une géante. Celle qui n’a pas de tasse à la main a fait d’une moitié de tasse un loup et s’en est masqué les yeux. Du coup, pour décerner la palme de la loufoquerie surréaliste, on est bien embarrassé : faut-il la remettre à la fille vautrée dans une assiette de spaghetti ou à celle qui marche à quatre pattes, une peau de bête sur le dos ?
L’intericonicité dans ses œuvres
Cet humour accompagne en fait un troisième leurre, l’intericonicité, qui fait tout le charme de cette galerie de photos. L’intericonicité joue ici à plein son rôle. Une image nouvelle est souvent la citation volontaire ou non d’une image connue. Selon son cadre de référence, le lecteur la reconnaît ou non. L’effet recherché par celui qui l’emploie est au moins quadruple : l’opération permet d’abord de retenir l’attention plus longtemps, ne serait-ce que le temps nécessaire à la reconnaissance. Ensuite, l’identification d’un objet connu rassure. D’autre part, son association à un autre objet inconnu vise à conférer à ce dernier les vertus attractives dont on souhaite le parer. Surtout, par flatterie à son insu, le lecteur est invité à se valoriser à peu de frais en se prouvant à lui-même sa culture.
C’est précisément ce que lui offre cette galerie d’intericonicités, sous réserve que la civilisation italienne ne lui soit pas totalement inconnue. L’épreuve de reconnaissance n’est toutefois pas redoutable. On est ici en présence de stéréotypes symboliques. L’assiette de spaghetti, par exemple, plat national italien, ne peut échapper à personne, même si quelques-uns seulement s’amuseront à y retrouver la Vénus de Botticelli qui a quitté sa coquille et glissé dans l’assiette de spaghetti. La jeune femme et son masque devant la piazza San Marco évoque bien sûr Venise. La scène du baiser avec le pont Saint-Ange devant Saint-Pierre de Rome en toile de fond est aussi évidente : peinture et cinéma s’y donnent rendez-vous. On reconnaît aussi aisément la mode italienne au mannequin planté au beau milieu d’un atelier de haute couture. La vue de cette fille à la robe trempée dans la Fontaine Trévi, rappelle sans peine la scène de Marcello Mastroianni et d’Anita Ekberg tirée de La Dolce Vita de Fellini. Peut-on hésiter davantage sur l’homme de Vitruve dessiné par Léonard de Vinci, même joué par une femme ? L’image en a été trop répandue. Seul peut poser problème le décor du Canope, un des bassins de la villa d’Hadrien à Tivoli près de Rome.
Enfin, qui ne saurait identifier dans cette fille à quatre pattes, seulement couverte d’une peau de bête, la louve avec Rémus et Romulus, mythe fondateur de Rome ? À ceux qui crieront au sexisme gratuit qui ravale ainsi la femme à l’état animal, on peut rappeler que « lupa » en latin signifie à la fois « la louve » et « la prostituée » pour le cri d’appel qu’elle lançait aux passants. Une version du mythe fondateur tend, en effet, à croire davantage à l’existence d’une prostituée qui aurait élevé les jumeaux plutôt qu’à une louve qui les aurait sauvés. L’image offerte a le mérite de réunir à la fois la version officielle merveilleuse et la seconde plus triviale.
Ainsi en sept stéréotypes symboliques sont illustrés des fleurons de la culture italienne : l’histoire, l’architecture, la peinture, la science, le cinéma, la gastronomie, la mode et la séduction. Pour la qualité prétendue de son café, la marque Lavazza aimerait bien retirer de cette compagnie somptueuse un égal prestige et entrer avec elle au Panthéon. La prétention, trouvera-t-on, est un peu forte de café car d’autres marques peuvent rivaliser avec elle. Pourtant, il faut lui concéder qu’elle s’y prend avec un humour qui fait songer à celui dont une certaine comédie italienne a fait sa marque de fabrique et où se sont illustrés Dino Risi avec Parfum de femme, Franco Brusati avec Pain et chocolat ou encore Ettore Scola avec Nous nous sommes tant aimés. Cette seule parenté ne devrait-elle pas suffire à ménager une place à Lavazza avec ses tasses de café, à défaut du Panthéon convoité, sur une étagère dans les cuisines d’un art de vivre qui a tant appris au reste du monde ?
Paul Villach
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