Une si jolie publicité du Club Méd : même pour la Guadeloupe ?
La nouvelle campagne publicitaire du Club Méd rompt spectaculairement sinon avec les stéréotypes du moins avec les chromos usuels des voyagistes. Du coup, elle capte l’attention. Nul lagon bleu, cette fois, à sable blanc ou blond vers lequel, du tronc et des palmes, s’inclinent les cocotiers ! Nulle fille cuivrée non plus à demi-nue découvrant un maximum de formes voluptueuses sous un minimum de tissu !
Un paradoxe
Le leurre d’appel sexuel est ici au contraire très discret : des quatre photos, deux offrent seulement un gracieux visage féminin, de trois quarts, l’un de face, l’autre de dos. Les deux autres en plan moyen ou américain exhibent une jeune femme sans doute en maillot de bain. Mais qu’y a-t-il de plus sage que le maillot une-pièce de l’une et le bikini de l’autre avec un slip genre short et un soutien-gorge bandeau en écharpe flottante ?
Le décor où s’inscrivent ces jeunes femmes, est même paradoxal. Dans cette mise hors-contexte, on reconnaît tout juste la métonymie symbolique d’un cadre de vacances : un simple fond de ciel ou de mer, avec ou non l’ ombre d’une palme jetée sur les visages. Surtout, les couleurs sont étonnamment surexposées, comme blanchies par trop de lumière et de chaleur : ciel et mer en perdent leur couleur originelle jusqu’à n’être plus que beige rosé ou argentés. C’est tout de même contradictoire pour promouvoir un paysage tropical aux couleurs d’ordinaire si flamboyantes.
Une métaphore inédite : le leurre de l’exotisme comme vêtement
La solution du paradoxe tient évidemment dans la métaphore inédite choisie pour signer l’originalité du Club Méd. Ce sont les vêtements des jeunes femmes qui, en fait, par contraste sur l’arrière-plan volontairement éclairci, resplendissent du leurre de l’exotisme : chapeau à larges bords, maillots, foulard fourmillent en imprimé de paysages qu’offre le club : mer, bungalows en extérieur et intérieur, jour et nuit, couples et enfants main dans la main courant pieds dans l’eau.
La vie au Club baigne uniformément dans un bleu d’azur lumineux plus ou moins clair ou foncé. Le ciel et la mer en ont nourri la charge culturelle : à chaque scène est ainsi associée à la fois la fraîcheur sous la chaleur et la pureté, auxquels s’identifient les paradis tropicaux et les rêves d’ Éden qu’ils éveillent. Pour le vacancier qui y fait irruption quelques jours, le leurre de l’exotisme n’est donc plus simple objet de contemplation à distance. Le Club Méd promet de l’en revêtir, de l’en envelopper littéralement dans ses villages pour le transfigurer. Peut-on s’incorporer davantage à un paysage ?
La métonymie de la sérénité
Car, de cette symbiose entre l’homme et la nature exotique, promet encore le Club Méd, naissent sérénité et bien-être. La sensation en est donnée par une métonymie. Elle montre les quatre jeunes femmes saisies à un moment où le temps paraît suspendu : elles sont en contemplation. Trois feignent d’ignorer l’objectif et regardent le paysage, pour donner plus de fiabilité à l’ extase où les plonge ce qu’elles regardent, selon le leurre de l’information donnée déguisée en information extorquée ; une jeune femme, au contraire, adossée nonchalamment à un mur écrasé de lumière, à l’ombre d’une palme, fixe tranquillement des yeux le lecteur dans une relation interpersonnelle simulée par l’image mise en abyme, mais c’est seulement pour juger de l’effet que sa vue produit sur lui, le malheureux, resté sous un ciel d’hiver.
Pas de rire exubérant ! Non, un sourire discret, juste esquissé, éclaire doucement le visage de chacune : il respire la sérénité intérieure qui ne peut s’éprouver qu’en parfaite harmonie avec le monde. Pourquoi donc devant pareille merveille créée par ses soins le Club Méd devrait-il s’interdire l’outrance de l’hyperbole ? Qu’a-t-on à faire de prudences de langage devant un pur miracle ? À entendre son slogan, le Club Méd n’offrirait rien d’autre que « tous les bonheurs du monde » !
On est bien près de le croire, tant cette campagne publicitaire est un ravissement pour les yeux. Il faut même se secouer pour ne pas se laisser emporter tout éveillé par l’enchantement du rêve. À défaut, l’actualité cruelle peut y pouvoir. Avec son hôtel « La Caravelle », à Sainte-Anne, le Club Méd est implanté en Guadeloupe. Or l’île est en révolte depuis un mois. Serait-ce qu’il ne fasse pas si bon y vivre ? Le leurre de l’exotisme tomberait-il aujourd’hui le masque ? Sa particularité est justement d’être un leurre par omission : il exhibe les charmes d’une île tropicale dans le même temps où il en masque les graves inconvénients qui peuvent être aussi bien géologiques, climatiques, zoologiques, que socio-économiques. Un ancien livre de C. Lévy-Strauss a pour titre « Tristes tropiques ». L’adjectif est - hélas ! – encore d’actualité. Aujourd’hui, le mouvement social guadeloupéen contre la vie chère et l’exploitation en est à demander… 200 Euros d’augmentation de salaire. Pas de quoi, on en conviendra, séjourner à « La Caravelle » du Club Méd sauf à la plonge ou au ménage ! « Tous les bonheurs du monde » ne sont pas pour tout le monde, en Guadeloupe comme ailleurs. Paul Villach
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