Une société au bord du vide
Un arrière-goût de Commune...
"Un jour il advient ceci que le belluaire distrait oublie ses clés aux portes de la ménagerie, et les animaux féroces se répandent par la ville épouvantée avec des hurlements de sauvage". Ainsi parlait Théophile Gautier des forcenés de la Commune de Paris.
Aujourd’hui, l’incompréhension va être la même. Et à juste titre, car comment comprendre ce déversement de violence qui balaie tout sur son passage, bâtiments publics en premier ? Il serait tentant de faire un personnage unique des émeutiers et des populations de ces quartiers difficiles. Difficiles à vivre, difficiles à comprendre, dificiles à maîtriser, difficiles à relier, difficiles à animer... Il serait tentant pour l’individu lambda de dire, "il y a eux et nous". Et devant cette violence inadmissible, ce sera bientôt "il y a eu contre nous". Tache d’huile ou pas ? Il est certain que des petits groupes vont essayer de propager l’incendie (et contrairement à ce que prétendent les médias, cela déborde déjà le Val-d’Oise puisque des incidents ont eu lieu hier aux Mureaux). Et comme les cendres de 2005 sont encore chaudes, il y a un vrai risque que l’incendie reprenne. L’accident mortel de deux jeunes sert de prétexte à une révolte froide qui s’organise quasi militairement, mais c’est bien l’émotion qui la guide. Quand on n’a rien à perdre, on peut bien tout risquer. Le nihilisme est de rigueur et faute d’ascension sociale possible, ce seront les faits d’armes qui donneront de la valeur et une hiérarchie dans la vie sociale des quartiers.
A chaque incident, à chaque émeute la violence monte d’un cran. En 2005, étrangement, les heurts en étaient resté aux échauffourées ; mais cette fois des tirs ont eu lieu. Grenaille, mais également gros calibre de chasse. Plus de 60 policiers blessés, cela ne s’était jamais vu ! La prochaine étape en toute logique, c’est un ou deux morts... Certains prétendent que retirer les forces de l’ordre du champ de bataille reste la seule solution pour apaiser les choses. Ce serait une capitulation républicaine qui laisserait la place à de véritables ghettos à l’image de ceux qui existent sur le continent américain. Le service public ne pourrait y subsister et ce serait laisser des centaines de familles à l’abandon total.
D’ailleurs tout cela est-il réellement circonscrit aux quartiers sensibles ? N’y a-t-il pas un malaise plus grand dans notre jeunesse ? Comment ne pas relier ce qui se passe chez les étudiants et chez les jeunes de banlieue. Certes, cela se passe dans des univers parallèles, mais le malaise n’est-il pas le même ? Celui d’une angoisse face à l’avenir ? Je pourrais écrire "quelle société allons-nous laisser ?" Mais ce constat est déjà dépassé, il me faut écrire "qu’avons-nous créé ?" Il n’y a jamais eu une véritable intention de régler les problèmes sociaux. Pire, la vitesse de la défragmentation sociale s’est accentuée. Dès lors, il ne pourra plus y avoir que des vainqueurs et des vaincus, et surtout des victimes. Même si les événements de Villiers-le-Bel venaient à s’éteindre dans les heures qui suivent, ce ne serait que partie remise puisque l’Etat refuse de se pencher résolument sur la question. La dotation aux communes ne cessent de baisser et le coût de la vie est encore plus sensible dans un quartier populaire que chez le salarié lambda ?
Un simple exemple : hier soir, j’étais au cinéma. Plus de 9 euros la place (UGC) ! Comment cela est possible ? Trois euros cinquante un sachet de chocolats ! Impensable. Si on converti ce chiffre dans nos anciens francs : 20 francs quelques sucreries ! Mais comment un gamin de quartier peut-il aller au cinéma ? Et dès lors, comment peut-il s’évader dans sa tête ? Comparer sa vision du monde étroite avec d’autres points de vue sur grand écran ? Comment peut-il triturer sa pensée et prendre conscience que d’autres manières de voir le monde existent ? Et ce n’est pas le nombre de librairies ridiculement bas sur ces territoires qui va proposer une alternative. Sans accès à la culture, point de salut. Sans capacité à relativiser sa propre place dans la société, aucune avancée possible. Ne reste alors que la frustration et donc la haine et la violence à la première contradiction. Quant à l’emploi... Faut-il en parler ? Vraiment ? Il y a parmi nous des gens qui n’ont rien de citoyen... Il y a parmi nous des êtres avides de rendements qui ne connaissent que la voie la plus rapide, la plus transversale, celle des délocalisations et des plans sociaux. Autre petit exemple : il y a à peine quelques semaines, le quartier du Vert-Bois à Saint-Dizier subissait lui aussi une énième émeute. Aujourd’hui, Miko (filiale d’Unilever) va supprimer la moitié de ses emplois sur ce site, jetant sur le pavé autant de familles. Vous pensez qu’il faut s’attendre à une dégradation du climat social chez les jeunes de Saint-Dizier ?
Et pour finir, elle est où Fadela Amara ? "On va pas se la raconter", à l’abri des lambris dorés de l’Elysée, la banlieue doit lui sembler bien lointaine... Un peu comme elle semblait lointaine à ces écrivains bourgeois du XIXe siècle qui invectivaient les Communards. Tiens, drôle de hasard... L’accident des deux jeunes a eu lieu rue Louise-Michel.
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