Une usurpation de pouvoir

Au sujet de la souveraineté, la Constitution de 1958 nous dit la chose suivante :
« Son principe est : gouvernement du peuple, par le peuple, et pour le peuple.
La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum ».
Ces mots, porteurs d’un sens commun, qui tentent de décrire notre condition politique et d’inscrire une vision de la gouvernance, sont aussi livrés à de possibles interprétations susceptibles d’apporter de larges variations à leur sens intrinsèque.
Ces mots restent donc soumis à la volonté de ceux qui dans les faits exercent le pouvoir, soumis à leur perception, leur conception du monde, leurs objectifs politiques, etc. Leur détournement le plus extrème par d’habiles pretidigitateurs du langage, passés maîtres dans l’art de la manipulation, peuvent conduire à leur totale corruption, à une société où les mots ne tentent plus de décrire mais de convaincre d’une réalité, où les mots au service de dirigeants sans scrupule s’affirment comme les vecteurs d’une illusion, d’une société où le mensonge s’institue vérité.
Ces mots ne sont en rien un rampart à notre condition politique. En effet, pouvons-nous dire de ces deux extraits de la Constitution qu’ils correspondent à notre condition politique ? Ne sommes-nous pas, dans les faits, soumis à la volonté des élus et totalement démunis de gouvernance ?
Pour la plupart d’entre-eux, l’élection constitue une adhésion, un plébiscite à leur programme, un sésame à leur action et instaure leur légitimité. Pourtant, leur score aux élections et plus généralement la participation au scrutin devraient interroger ce positionnement. Représenter est l’unique légitimité dont ils peuvent se prévaloir, ce rôle implique de renseigner puis de porter les attentes réelles de la population pour que sa volonté exprimée s’incarne dans les réalités de son quotidien. Sans une conviction profonde et une farouche volonté de l’élu de servir ces principes constitutionnels et donc la population, ces mots qui devraient être au coeur de l’action politique et guider le vote de nos représentants s’apparentent à des courants d’air.
Les mots de la Constitution désigne le pleuple souverain, pourtant de Pompidou à Macron (de Rothschild à Rothschild !), la politique à l’oeuvre vise sous la pression des puissances industrielles et financières à rogner les acquis de la population bien plus qu’à la servir.
La politique de l’endettement à l’oeuvre, bénéfique au marché, vise non pas à favoriser la société mais à la fracturer, jusqu’à mettre les individus en concurrence.
Cette mondialisation imposée par l’idéologie néolibérale, qui réclame toujours plus de précarité… pardon de flexibilité...et la mise à mort de notre système social, quelle population l’a réclamée ?
Le peuple souverain de plus en plus inféodé à une Europe de commissaires, nombreux à être passés par les milieux financiers américains et totalement imprégnés de cette idéologie. Ce projet européen rejeté par le peuple en 2005, nos députés l’ont voté et imposé par le traité de Lisbonne ! Belle exemple de souveraineté du peuple, belle trahison aussi des personnes sensées le représenter... Pour votre bien diront-ils en coeur ! 18 ans plus tard, nous pourrions plutôt dire « pour le bien surtout des marchands et des banquiers ». Quel chemin parcouru dans notre dépossession aussi bien individuelle que collective !*
Aujourd’hui les cabinets de conseil privés conseillent nos élus, les patrons de Blackrock (monstre financier) ou les géants du numérique se rendent à l’Elysée. Bill Gates, créateur de Microsoft, soucieux de notre santé, investit dans l’OMS. L’animateur du Forum de Davos, Mr Schwab, qui dans ses ouvrages nous présente notre futur, s’exprime au G20. Plus localement, le très médiatique Mr Attali, éminance grise du pouvoir depuis plusieurs décennies, diffuse sa bien-pensance… Autant de faits qui interrogent sur les coulisses des institutions et sur notre existence politique.
Tous ces gens (Elite autoproclamée !) se revendiquent bien sûr de l’esprit des Lumières, de la raison et des droits de l’homme mais depuis la Révolution ces puissances économiques n’ont de cesse avec l’aide de nos représentants de trahir ces valeurs et d’exploiter les hommes à des fins de profit… des avancées techniques certes, des avancées sociales issues de luttes acharnées aussi, mais des avancées en matière d’expression politique nullement ou si peu !
250 ans nous séparent de la Révolution et notre réalité politique est bien différente de celle annoncée. Le pouvoir attribué au peuple par les mots est en réalité un transfert de pouvoir de la noblesse vers les marchands. Une farce, une illusion, une tromperie, une manipulation des esprits où le peuple est un souverain totalement démuni, en état de soumission aux décisions d’élus, eux-mêmes soumis à des forces économiques puissantes.
Ces forces qui au XIXe siècle faisaient travailler les enfants dans les mines ou les filatures, aujourd’hui font fabriquer des baskets ou récolter du lithium dans les pays pauvres. L’état d’esprit est le même, l’exploitation n’a fait que se déplacer vers des contrées encore résignées faisant de la délocalisation des industries un moyen de déconstruction de nos acquis. Face à ses acteurs puissants et patients, capables de pervertir les plus belles idées au nom de leur profit, se rejoue en un éternel recommencement le cycle de l’exploitation de l’homme par l’homme ; rien n’est jamais acquis, de souveraineté nous n’avons point, nous sommes des enfants entre les mains de décideurs qui n’ont aucune considération ni pour les textes ni pour les hommes, et qui concoctent leur petite popote en cuisine entre personnes se disant responsables.
Nous produisons, nous consommons, nos vies alimentent cette vaste machinerie financière et industrielle et pourtant nous sommes exclus de tous les processus de décision. Nous ne pouvons agir réellement sur cette machine tant notre impuissance politique est grande.
Pourtant face aux excès de ce monde et aux crises qu’il engendre, c’est bien vers le peuple que l’on se tourne quant il faut sauver le trader RYAN.
Comble de l’ironie, ceux qui affichent bien souvent du mépris pour la population lui demandent des efforts depuis des décennies pour sauver un système totalement fou qui détruit sans jamais se réformer. A chacune de leur crise, nous payons la note. Dans cette comédie, l’argent des pauvres par l’impôt ruisselle vers les très riches. Pendant ce temps, les plus favorisés pratiquent « l’optimisation fiscale » et alimentent les paradis fiscaux, laissant dans un dernier élan de distinction sociale au classe moyenne l’enfer fiscal.
Leur mot d’ordre : « profiter » c’est-à-dire contribuer le moins possible à la société tout en bénéficiant bien entendu des infrastrucures collectives.
Avec toujours en arrière-plan l’idée que la loi du plus fort régit la nature, mais étonnamment, lorsque la révolte gronde et la crainte grandit, l’appel à la civilité, très vite ressurgit.
Nous assistons au déclin d’une civilisation engluée dans les mensonges de dirigeants s’inscrivant dans un matérialisme crétin. Une société du chacun pour soi qui petit à petit remplace une société de la contribution à hauteur de ses capacités.
Face à des mots vidés de leur substance, à cette mascarade politique de la représentation, à cette société de la posture, deux horizons semblent se dégager.
La population accepte ou subit cette imposture et ces dirigeants la réduiront par les normes, les lois, et les règlements à une sorte de servitude moderne rendue possible par un outil numérique de plus en plus performant, bien plus discret et pernicieux que les chaînes et le fouet du passé, mais tout aussi redoutable. Ou alors, nous tentons de réinvestir le champ politique pour dire stop à ce simulacre de souverainété et de gouvernance.
Face à ce genre de revendication, les élus se montrent extrèmement frileux tant il est commode pour eux de nous en tenir à l’écart, mais nous avons trop longtemps déserté le terrain politique, abandonné à leurs bons vouloirs notre destinée collective. Il nous faut prendre concience de notre impuissance politique et travailler ensemble pour déconstruire les discours, repenser les mots, définir le sens que nous leur accordons, comment nous les comprenons afin qu’ils deviennent l’expression d’une condition politique réelle, et qu’ils nous permettent d’affirmer notre vision du monde et de la société.
S’opposer à tout un monde qui trahit et pervertit le sens des mots pour nous imposer sa vision des choses, va devenir vital. Si nous n’instaurons pas ce rapport de force avec les dirigeants, notre devise, « liberté, égalité, fraternité » déjà malmenée, ne sera plus pour la majorité qu’illusion.
Les mots de la Constitution, victimes de détournements fallacieux visant à asservir, disent quelque chose de notre position dans l’architecture politique, il est urgent de leur redonner de la valeur, ils doivent avoir du sens dans nos vies, entrer en résonance avec la réalité de nos quotidiens.
* A écouter : Discours du 05/05/1992 de Mr Ph. Seguin à l’Assemblée Nationale.
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