Une veille de Noël, cité Gabriel Péri
Malgré sa grande gueule, Abdelaziz Belkacem n’était pas le chef de la bande. Mais il en était l’un des membres les plus actifs, si toutefois ce terme pouvait être employé pour des individus qui, en dehors des trafics – principalement centrés sur la très juteuse vente de shit –, passaient le plus clair de leur temps à glander dans la cité en écoutant du rap. Une bande composée pour l’essentiel d’adolescents en rupture de scolarité et de jeunes adultes au chômage en quête de thune facilement gagnée.
Bien qu’il n’y eût pas de hiérarchie officiellement établie, on considérait Malik Brahimi comme le chef. Logiquement, le titre aurait dû revenir à Bakary Konaté. Les qualités physiques, et surtout l’ascendant de ce dernier sur les autres membres de la bande, en faisaient un chef tout désigné. Malheureusement pour l’Ivoirien, les blacks étaient trop minoritaires dans le groupe pour en revendiquer le leadership. À l’évidence, ce rôle ne pouvait revenir qu’à un rebeu, et cela d’autant plus que c’est Malik qui avait le contact avec le fournisseur de shit. Qu’à cela ne tienne, Bakary était de fait son premier lieutenant et celui qui faisait régner l’ordre dans les rangs.
Kaaris déversait ses anathèmes syncopés sur la cité Gabriel Péri. On appréciera en passant le caractère bucolique des appellations dont le conseil municipal avait affublé les six tours qui composaient la résidence. Tous les noms faisaient référence à une flore alpine inconnue de la majorité des habitants : Ancolie, Saxifrage, Asphodèle, Soldanelle, Androsace et Gentiane. Les élus devaient avoir fumé la moquette de la mairie le jour où ils avaient semé ces fleurettes montagnardes sur le ghetto de béton. Un ghetto où l’élément végétal se limitait à une maigre pelouse parsemée de détritus au milieu desquels tentait de survivre une poignée d’érables rabougris régulièrement compissés.
Assis sur les marches de la tour Asphodèle, quelques jeunes profitaient de l’avare soleil de décembre en écoutant d’une oreille distraite les couplets vindicatifs du rappeur. Il y avait là Malik, Bakary, Abdelaziz, Khaled, Omar, Nourredine, Boubacar, Sékou, Kévin, Ethan, ainsi que Hafida, Samira et Aminata, trois des égéries de la bande, et une brochette de gamins. De temps à autre, une conversation naissait, à propos de tout et de n’importe quoi : du PSG, du shit, du dernier CD de Wallace Cleaver, des bâtards du Moulin-Neuf. Elle s’éteignait très vite, le plus souvent au terme d’une bordée d’invectives surjouée. Bref, on s’emmerdait ferme en cette veille de Noël, à peine égayée par quelques guirlandes chétives…
Un paquet de Gitane vide vint échouer aux pieds de Khaled. Six étages plus haut, vêtu d’un simple marcel élimé malgré la froideur de cette veille de Noël, un quinquagénaire goguenard, la clope au bec, contemplait le groupe.
─ Eh alors, bande de parasites, z’avez rien à foutre ?
Nourredine répliqua du tac au tac :
─ Fais pas chier, Riton, ou tu vas t’en manger une quand tu sortiras de ton gourbi.
─ On pourrait lui couper les roustons à c’bouffon ! suggéra l’un des mouflets.
─ T’entends, Riton ? le môme Samy veut te couper les burnes. Moi, ça me plaît bien, cette idée.
─ Encore faudrait-il qu’il en ait, des roustons ! remarqua Bakary en déclenchant l’hilarité de la bande.
─ C’est ça, rigolez, tas de branleurs. Et toi, le bronzé, envoie-moi ta gonzesse, elle verra ce que c’est, un vrai mec.
Bakary répondit en dressant le majeur vers le ciel. Ce geste marqua la fin de l’incident.
Un témoin non averti aurait probablement vu dans ce bref échange l’illustration de rapports déplorables entre les jeunes de la cité et les locataires des tours. Il se serait trompé. Riton, comme la plupart des habitants, entretenait des relations parfois tendues, mais dans l’ensemble plutôt tolérantes avec la bande, l’apparente agressivité qui régissait leurs rapports relevant d’une forme de rituel incompréhensible aux non-initiés. La cité n’en comptait pas moins des têtes de turc vouées, dans le meilleur des cas aux provocations injurieuses de la bande, dans le pire aux atteintes physiques ou aux dégradations de biens.
Parmi les plus souvent molestés figuraient les Vinatier, un couple de retraités teigneux et vindicatifs qui reprochaient à la planète entière, avec toutefois une prédilection marquée pour les arabes, la déconfiture de leur bazar-quincaillerie, définitivement coulé par l’ouverture, cinq ans plus tôt, d’un hypermarché de bricolage Leroy-Merlin dans la commune voisine.
Autre victime privilégiée de la bande : Lucien Hardelot, un employé en comptabilité quadragénaire, étriqué au moral comme au physique. Celui-ci avait commis par deux fois l’erreur d’appeler les flics pour des motifs au demeurant oubliés de tous. L’incendie de sa Dacia un soir de printemps l’avait ramené à la raison. Il se contentait désormais de courber l’échine sous les insultes et les canettes de bière.
Pas question de courber l’échine en revanche pour la bête noire de la bande : Maxime Audubon, un facho notoire dont les provocations racistes suscitaient au cœur même de la cité l’indignation d’une population qui avait pourtant apporté 37 % de ses voix au Rassemblement National lors des derniers scrutins nationaux. Contrairement à Hardelot, Audubon n’hésitait pas à affronter la bande. Courageux mais non téméraires, les jeunes se contentaient de l’abreuver d’injures à distance, sans même oser s’en prendre à sa bagnole. Difficile d’aller se frotter à une armoire à glace armée d’un gun et en permanence protégée par un dogue allemand frisant les cinquante kilos. Qu’à cela ne tienne, cet « enculé-de-facho » ne perdait rien pour attendre…
Quelques femmes faisaient également partie des cibles de la bande. À commencer par la gardienne de l’ensemble, Géraldine Parmentier, dont le comportement d’adjudant et les fréquents coups de gueule prenaient les jeunes à rebrousse-poil. Ils avaient beau montrer les dents et grogner comme des fauves en cage face à leur dompteur, ils n’en cédaient pas moins aux injonctions de celle qu’ils menaçaient quotidiennement de réduire à l’état de hachis. En fait, mis à part les bordées d’insultes (qu’elle recevait avec la sérénité d’un philosophe stoïcien) et, de temps à autre, sa loge souillée par des projections de Tampax ou de préservatifs usagés, Géraldine Parmentier s’en sortait plutôt bien, compte tenu de l’animosité que sa fermeté suscitait.
Sans doute devait-elle à sa fille cette relative protection. À 17 ans, Vanessa était une jeune fille sans histoire dont la gentillesse constante et les brillants résultats scolaires imposaient le respect à tous. Il se murmurait même que le proviseur du lycée envisageait de la présenter à Sciences-Po dans le cadre de la CEP* signée par l’établissement. Malgré les commentaires perfides de Hafida et Samira, attachées à la ravaler au rang de taspé, plusieurs garçons de la cité la kiffaient en secret. Pas un pourtant ne l’aurait reconnu : à Gabriel Péri comme dans la plupart des cités, le sentiment amoureux avait été banni pour crime de ringardise et de faiblesse !
Bien que n’habitant pas dans les tours, Bernadette Chazalon constituait également une cible de la bande. Retraitée de La Poste où elle avait loyalement officié durant 40 annuités, Bernadette vivait, depuis le décès de son mari, seule avec son petit chien Scotty dans l’une des humbles maisons ouvrières qui jouxtaient la tour Ancolie, sur l’autre rive de la rue des Fédérés. Faute de voiture, elle allait, il n’y a pas si longtemps, faire chaque semaine ses courses en bus à l’hypermarché Auchan. Jusqu’au jour où la direction de la RATP, lasse de voir ses machinistes agressés et ses bus caillassés, avait profondément modifié le tracé de sa ligne pour éviter désormais tout contact avec la cité Gabriel Péri.
Cette décision, lourde de conséquences pour la vie locale, avait contraint Bernadette Chazalon à se rabattre sur les commerces de proximité, et notamment sur le Franprix de la rue Pierre Brossolette. Sauf à effectuer un long détour en contournant les ateliers de la DDE, Bernadette devait donc régulièrement traverser la cité jusqu’à la place Louise Michel où aboutissait la rue Pierre Brossolette. C’est alors que Bernie ou Bernie-la-timbrée, pour ne citer que ses deux surnoms les plus usités, subissait les attaques de la bande.
Au début, elle n’avait été en butte qu’à des moqueries irrespectueuses visant sa tenue vestimentaire, ses bijoux à deux balles ou son maquillage excessif. Il est vrai qu’au lendemain de son veuvage, Bernadette avait enfin pu se lâcher, et elle l’avait fait avec d’autant plus de frénésie qu’elle sortait d’un long tunnel de frustration. Rien ne l’empêchait plus désormais de vivre sa passion pour la couleur, son goût immodéré pour le clinquant, son irrépressible attirance pour les fripes, autant de penchants que feu Armand Chazalon avait condamnés au lendemain du mariage et fermement censurés durant leurs 26 années de vie commune.
Très vite, Bernie s’était mis à ressembler en toutes saisons à un arbre de Noël ambulant, à une caricature de plus en plus grotesque de la belle et séduisante courtisane dont le look vaguement oriental et les bracelets d’or hantaient ses fantasmes. Il n’en avait pas fallu plus pour déclencher les railleries des jeunes de la cité à chacun de ses passages au milieu des tours. Bernadette Chazalon ne l’avait pas supporté. Pour être excentrique, ce dont elle n’avait du reste aucunement conscience, l’ancienne postière n’en était pas moins femme et se montrait très susceptible dès lors que l’on se moquait de son apparence.
D’emblée, elle avait vertement répliqué à ces « petits cons ». Et plus elle avait répliqué, plus les moqueries s’étaient faites dures et méchantes. Jusqu’au moment où les injures avaient définitivement pris le pas sur les quolibets. Bernie-la-timbrée était alors devenue un souffre-douleur bien commode pour tromper l’ennui des jours. On mit sur le compte de la pauvre femme toutes les folies, toutes les bassesses, toutes les dépravations. Jusqu’au jour où l’un des beurs de la bande eut l’idée de l’accuser, pour le fun, de se livrer à des actes de zoophilie avec son chien Scotty, un teckel recueilli au lendemain de la mort de Chazalon. Le thème ayant plu, Bernie-la-salope dut désormais subir, y compris de la part des filles et des gamins, les allusions les plus graveleuses, les questions les plus sordides, les attaques les plus ignobles.
Abattue, humiliée, désemparée, la retraitée solitaire avait été, en deux ou trois occasions, tout près de craquer nerveusement. Malgré son apparence fragile, la veuve avait pourtant tenu bon. Elle avait en revanche versé dans un racisme de plus en plus radical, elle naguère si tolérante et si encline à aider les étrangers dans leurs démarches lorsqu’ils se présentaient à son guichet. Une aubaine pour les militants locaux du RN. Manipulée par leurs soins, Bernadette ne perdait plus une occasion, lors de ses visites au Franprix ou au marché hebdomadaire du cours Allende, d’exprimer sa rancœur contre l’immigration, de jeter l’anathème sur la communauté africaine.
Bernadette Chazalon était particulièrement remontée contre les beurs, de loin les plus virulents à son égard. Elle en voulait notamment à celui que les autres nommaient Abdelaziz, un grand escogriffe au crâne rasé, souvent coiffé d’une casquette hip-hop tournée vers l’arrière. Agressif, il était, depuis quelques semaines, devenu haineux à son égard, comme s’il avait un compte personnel à régler avec l’ex-postière. Ce n’était d’ailleurs pas faux, mais jamais la veuve n’aurait pu en imaginer la raison. Abdelaziz lui-même ne percevait que d’une façon confuse la ressemblance qui unissait Bernadette à sa grand-mère Yasmina, tuée en septembre dans son village natal lors du terrible tremblement de terre qui avait frappé l’Atlas au sud de Marrakech. L’une, honnie, était vivante ; l’autre, aimée, était morte.
Abdelaziz éprouvait en effet une profonde affection pour cette grand-mère lointaine. Il l’avait pourtant peu connue. Uniquement lors des rares séjours de la famille Belkacem dans le berceau familial. Ces séjours, trop brefs, avaient permis au garçon de découvrir, puis d’apprécier, la personnalité forte et attachante de cette femme dont l’apparence abrupte, à l’image des rudes paysages montagnards de la région, cachait des trésors d’intelligence et de sensibilité. Le séisme avait profondément choqué Abdelaziz, et la blessure n’était pas prête à se refermer : longtemps encore, la silhouette de la vieille femme, drapée dans son ample caftan rouge et bleu, continuerait de le hanter.
Booba puis Orelsan avaient pris le relais de Kaaris. Au rythme de la musique, deux adolescents s’appliquaient à taguer les rares espaces libres du hall d’entrée de la tour Soldanelle, sans se soucier le moins du monde des regards posés sur eux. Soudain, une violente explosion secoua le quartier. Une avalanche de verre dégringola de la tour Ancolie tandis qu’un nuage de poussière et de fumée s’élevait de l’autre côté de la rue des Fédérés, au-dessus de la rue Guy Môquet. Très vite, de nombreux habitants de la cité se massèrent sur les lieux. Presque tous les jeunes de la bande de Malik étaient là, silencieux au milieu des débris qui jonchaient la chaussée.
Devant eux, la maison des Grabowsky n’était déjà plus qu’un souvenir avec ses murs éventrés et sa toiture effondrée. Dévorée par les flammes, il n’en resterait bientôt qu’un amas de ruines fumantes. Par chance, aucun des membres de la famille n’était présent sur place : Grabowsky était sur un chantier de Villepinte au volant de sa pelle mécanique et sa femme à son poste de caissière à l’hypermarché ; quant à leurs deux gosses, Enzo et Milena, ils préparaient tranquillement le Noël du Centre aéré, sans se douter que leurs peluches ne formaient déjà plus qu’un insignifiant tas de cendres.
L’inquiétude immédiate venait de la maison voisine, celle de Bernadette Chazalon. La vieille cuve à mazout, brutalement renversée par le souffle de l’explosion, s’était disloquée en libérant le stock de fuel domestique livré quelques semaines plus tôt à la veuve en prévision de l’hiver. Une légère pente avait amené le ruisseau d’hydrocarbure jusqu’à la porte de la maison dont les panneaux de bois avaient été arrachés par la violence de la déflagration. Au moment même où l’un des badauds en faisait la remarque, un tison incandescent s’abattit dans la flaque noirâtre. Il y eut un grondement sourd. En un clin d’œil, un mur de flammes enveloppa la maison.
Surgie de nulle part, une boule de poils bruns déboula soudain du jardinet en gémissant. Scotty courait dans tous les sens, allant et venant comme un fou entre le cercle des badauds et la maison, en ponctuant ses courses d’aboiements de détresse.
─ Nom de Dieu ! s’exclama un voisin, Bernadette doit être chez elle.
Comme pour lui donner raison, Scotty agrippa le pantalon de Boubacar en essayant de tirer le garçon vers la maison. Le jeune black écarta le teckel sans ménagement. Désespéré, le petit chien fit une nouvelle tentative avec Nourredine.
─ Il est ouf, ce clébard, j’vais pas m’cramer la couenne !
À son côté, Abdelaziz semblait fasciné par le spectacle. Sous ses yeux, les rideaux de la salle à manger, mal protégés par des fenêtres presque totalement soufflées par la déflagration, s’embrasèrent brusquement. Des rideaux rouge et bleu. Comme le caftan de sa grand-mère. La silhouette de la vieille Marocaine se mit à danser dans les flammes, s’estompa, réapparut. Yasmina. Une autre silhouette vint se superposer à la première. Celle de Bernadette Chazalon. Yasmina. Bernie. Pâle comme un mort, Abdelaziz réalisa soudain à quel point les deux femmes se ressemblaient. Sans un mot, il s’élança vers la maison. Des exclamations fusèrent :
─ Ne tentez rien, jeune homme, laissez les pompiers agir !
─ Laisse béton, Abdel, on s’en balec de cette meuf !
Trop tard, le garçon avait déjà plongé derrière le rideau de flammes.
La veuve gisait inanimée dans la salle à manger, assommée lors de l’explosion de la maison Grabowsky par la chute du carillon qui trônait d’ordinaire au-dessus du canapé. Un filet de sang s’écoulait de son cuir chevelu. Conduit par le lambris, omniprésent dans l’habitation, le feu progressait à une vitesse incroyable. Le vaisselier s’embrasa. Dans la cuisine, le buffet en agglo mélaminé était lui aussi en flammes. Sans perdre un instant, Abdelaziz entreprit de soulever la vieille femme. Pas facile de se charger d’un corps inerte. Le jeune beur dut s’y reprendre plusieurs fois pour assurer sa prise. Une épaisse fumée avait commencé à envahir la maison. La chaleur était devenue étouffante. La gorge et les yeux irrités, Abdelaziz progressait difficilement vers la sortie lorsqu’il entendit les sirènes de pompiers. Devant lui, l’entrée, elle aussi lambrissée, était en feu.
Impossible de traverser ce brasier. Le jeune beur eut un mouvement de panique. Tant pis pour la veuve, il lui fallait sauver sa propre peau. Au même instant, le jet puissant de l'une des lances en batterie vint momentanément souffler les flammes du corridor. « Maintenant ! » lui cria de l’extérieur une silhouette noire dont le casque brillait au soleil. Abdelaziz fonça. L’explosion de la bombonne de butane le cueillit sur le seuil de la maison. Une énorme claque dans le dos le projeta avec son fardeau sur le sol de l’allée gravillonnée. Derrière lui, le couloir n’était plus qu’un amas de gravats.
Bernadette Chazalon ouvrit les yeux. Elle était allongée sur une civière entre une ambulance et un camion de pompiers. Une grande animation régnait autour d’elle. Un médecin et un jeune pompier lui prodiguaient des soins. De temps à autre, d’épaisses volutes de fumée occultaient le ciel de la banlieue. Il flottait dans l’air une forte odeur de brûlé. La veuve prit alors conscience d’une douleur dans le bras. Elle tenta de soulever le membre.
─ Ne bougez pas, lui ordonna le médecin, vous avez un bras cassé. Nous l’avons immobilisé dans une gouttière. Pour le reste, vous souffrez d’un traumatisme crânien et de quelques brûlures superficielles.
─ Que… que s’est-il passé ?
Sans attendre la réponse, la vieille femme tourna la tête sur le côté. Sa maison n’était déjà plus qu’une carcasse noircie et mutilée où les pompiers s’efforçaient de circonscrire les derniers foyers. Le jeune sapeur prit la parole :
─ Votre maison a été gravement endommagée, madame, et il est à craindre qu’elle ne puisse être sauvée. Cela dit, vous l’avez échappé belle : à quelques secondes près, il nous aurait été impossible de vous sortir de là.
Bernadette Chazalon soupira.
─ Je ne suis plus qu’une vieille mule inutile et solitaire. Personne ne m’aurait regrettée. Il ne fallait pas vous mettre en danger pour moi.
─ Je crois au contraire que vous comptez beaucoup pour certaines personnes. D’ailleurs, ce ne sont pas les pompiers qui vous ont tirée d’affaire, mais un jeune homme que l’on vient d’évacuer dans l’ambulance du SAMU. Il a risqué sa vie pour vous sauver. Croyez-vous qu’il l’aurait fait pour une « vieille mule inutile » ?
Durant quelques secondes, Bernadette resta silencieuse.
─ Savez-vous quel est son nom ?
─ C’est un jeune beur de la cité. Il s’appelle Belkacem. Abdelaziz Belkacem.
Bernadette Chazalon baissa les paupières. Des larmes se formèrent aux commissures de ses yeux.
* CEP : Convention d’Éducation Prioritaire
Note : Cette nouvelle est la reprise, modifiée et actualisée, d’un texte rédigé il y a 15 ans.
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