Universalisme versus Ethnocentrisme

Avoir précédemment rédigé un article sur « l’universalisme versus l’ethnocentrisme » permet d’entrer directement dans le vif du sujet. Proposons-nous ainsi d’expliciter plus avant l’une et l’autre des positions. Commençons par le camp des « universalistes » dont les plus vaillants bretteurs se recrutent dans le milieu journalistique enclin à cultiver une certaine sensibilité pour les peuples et cultures allogènes et dont le multiculturalisme induit un soutien naturel à l’immigration. Le camp opposé, celui des ethnocentriques, est appuyé par quelques intellectuels engagés dans une forme de combat pour la préservation de l’identité culturelle et historique du territoire qu’ils habitent. Le point de vue de ces derniers s’appuie souvent sur l’Histoire qui d’une certaine façon peut légitimer en tant que « Tout » objectif et idéal, une « intériorité » délimitée par les frontières nationales. Notons qu’en synthèse, la forme d’empathie qui anime profondément ce sociotype peut être constituée d’un mélange d’identité, de traditions réinventées, d’imprégnation de l’histoire du pays et de « territorialisation » instinctive.
Dans la première catégorie, citons quelques célébrités à l’instar d’Emmanuel Todd et Hervé Le Bras, Laurent Joffrin, Aude Lancelin et Edwy Plenel. Dans l‘autre, on trouvera le fameux duo Finkielkraut-Zemmour associé à Michel Houellebecq ou encore Michel Onfray, même si ce dernier peu loquace sur l’identité est assimilable à cette option, du moins pour la faction adverse, dans la mesure où son discours a été jugé comme étant propre à favoriser le FN. Cette façon de relier ses opposants au FN, attitude assez couramment qualifiée de point Godwin, constitue un amalgame usité à longueur d’éditoriaux par de fougueux journalistes à l’instar de Laurent Joffrin. Cette technique rhétologique à même un nom : la culpabilité par association. Elle permet de faire l’économie d’arguments tout en déstabilisant l’adversaire. Le discours de cette presse, appuyée par les actions de plusieurs lobbies anti-racistes et la posture d’une classe politique unanime, a formaté une part importante de l’opinion. Cette communication biaisée censée jouer en défaveur du FN - étiqueté « parti fasciste » - n’aura pourtant pas évité sa progression. Avec le recul, la technique semble même plutôt contre-productive. Si attaquer le FN frontalement a pour effet de le renforcer, il a ensuite semblé plus « utile » de s’en prendre aux idées véhiculées par certains intellectuels en périphérie. Ainsi, le succès du Front National aidant, ceux qui emploient les mêmes arguments que le FN sont-ils maintenant pris pour cible et considérés tout aussi haïssables et nocifs. Cet axiome, par définition n’est non démontré, demande d’autant plus de persévérance de la part des médias dans leurs efforts d’excommunication que les arguments en question demeureront invérifiables tant que le FN sera tenu à l’écart du pouvoir. La phrase : « […] tout ce beau monde conduit vers le Front national[1]…. » devient l’étendard parfait de cet amalgame dénoncé par un Onfray qui, peu accommodant quand il s’en insurge, ponctuait une de ses tirades radiophonique par le terme plutôt cassant de « crétin » lancé au visage du premier ministre Valls. On notera dans le même ordre d’idée la récurrente plaidoirie de Laurent Joffrin accusant Michel Onfray d’être le « meilleur auxiliaire » du lepénisme.
Tentons maintenant de tracer les contours des opposants : les ethnocentriques. Le présent article privilégie effectivement le terme « ethnocentrique » de préférence à celui de « raciste » par trop stigmatisant dès lors que l’on considère, comme c’est mon cas, que l’homme n’est ni pur animal, ni pure esprit et qu’il reste soumis à certains atavismes anthropologiques dont il ne semble pas en mesure de se départir aussi facilement. Ainsi, ce terme de « racisme » maladroitement surexploité par la presse universaliste et les politiques produit très certainement l’exact inverse de l’enjeu politique affiché. Il sert en effet de repoussoir et ne peut que renforcer les partisans du FN dans leurs convictions d’opposants incompris. Ainsi, même s’il subsiste toujours une poignée d’énergumènes nostalgiques de cette époque, le temps du racisme présupposé ontologiquement « génétique » accompagnant les propositions eugénistes semble tout de même avoir bel et bien sombrés avec le IIIème Reich.
Après OpinionWay et Ipsos qui avancent que « 70% des français trouvent qu’il y a trop d’immigrés en France », la médiacratie universaliste semble poussée dans ses retranchements dans sa volonté d’expliciter le phénomène de réaction identitaire mise en exergue sondage après sondage. Cette presse se sent ainsi pousser des ailes d’évangélistes laïques dont la mission est d’œuvrer sans relâche pour l’éducation des masses. Effectivement, « la plèbe » les inquiète quand elle se détache inexorablement de la position universaliste pour venir se coaguler autour des propositions identitaires. L’idée invoquée pour expliciter le mouvement dextrogyre[2] constaté est celui de la crise économique. De fait, l’argument porte puissamment tant il revêt pour beaucoup une importance particulière en ces temps de chaos économique. Comme le rapporte cette presse unanime, les français qui se considèrent de souche auraient spontanément trouvés un bouc émissaire dans l’immigré rebaptisé « migrant » dans la novlangue euphémisante. Pourtant, notons bien que les limites des enquêtes sociologiques sont vite atteintes en la matière. Ainsi, les études d’Emmanuel Todd et Hervé Le Bras s’orientent essentiellement sur des données quantitatives dont le qualitatif n’émerge pas facilement. Comment procéder à une analyse au cœur de l’identité intrinsèque des quartiers péri-urbains quand, dans une louable intention assimilationniste, les sociotypes ethniques sont prohibés par la politique institutionnelle ? L’étude approfondie des structures familiales permet-elle d’expliciter l’identité arabo-musulmane réinventée en banlieue des métropoles ? Les chiffres permettent-ils de mesurer le ressenti individuel ? La pertinence de certaines analyses, privées d’instruments de mesure inattaquables, peut probablement être remise en question. En effet, certains raccourcis de l’ouvrage de Todd intitulé « Qui est Charlie ? Sociologie d'une crise religieuse » ont été assez sévèrement critiqués après un réexamen des conclusions de l’auteur sur la base de l’analyse des données et des méthodes de calculs[3].
De même, le questionnement doit rester possible sur la posture intellectuelle visant à imposer un lien binaire de cause à effet entre crise et racisme, cette induction est pourtant devenue l’alpha et l’oméga des démonstrations journalistiques. L’assertion selon laquelle la crise demeure l’argument majeure explicitant à la fois le racisme et la poussée identitaire devrait pourtant pouvoir être révisée. De même, pourquoi cette presse omet-elle systématiquement de traiter plus finement le sujet de l’identité ? De façon équivoque et dépréciative, elle persiste dans un dédain manifeste de cette composante anthropologique qu’elle s’évertue à qualifier de racisme. Au vu des résultats de sondages, leurs analyses ne peuvent que la conduire à taxer arbitrairement de raciste le peuple français dans sa grande majorité ! Pour ma part, il me semble qu’une présentation plus raisonnée de la réalité consisterait à l’expliciter de la façon suivante : sur le terreau universel de l’ethnocentrisme, les lignes de fractures ethno-religieuses finissent par s’ouvrir par l’effet entropique induit pas le chaos économique. Dans le même temps, ces conflits amènent les communautés à se resserrer autour de leur noyau culturel.
En persistant à nier ce trait sociologique auxquels font référence les Lévi-Strauss, Godelier, Balandier s’agissant d’identité et de tradition, les médias décrivent un monde rêvé « d’universalistes », dont l’oligarchie intellectuelle serait dans l’obligation de composer avec une multitude d’individus décadents, à l’esprit rabougris et qui exhalent une odeur de rance dans l’espace commun. La rhétorique fortement teintée d’affect de cette micro-classe protégée est devenu le discours référent de la médiacratie et de l’autorité politique. Ce pouvoir auto-promue défenseur ultime du « droitdelhommisme » impose un idéal sacré de la « bien-pensance » annihilant au passage la liberté d’expression. Il est vrai que se réclamer du « siècle des Lumières » permet de se ranger sans discussion possible dans le camp de l’éthique triomphante où il est par trop malséant et vulgaire d’invoquer la moindre thématique du quotidien immanent.
Mais regardons de plus près la réalité de l’ethnocentrisme ? Après la 2nde guerre mondiale, le nombre d’Etats membres de l’ONU était de 51 en 1945 et passait à 193 en 2011. De fait, les frontières prospères autour d’un consensus parfois imparfait mais agissant : « Au total, plus de 10 % des frontières internationales actuelles ont moins d’un quart de siècle d’existence[4] ». Ce constat semble constituer un élément de poids tendant à démontrer que les universalistes perdent le combat dans la vraie vie. Cette débâcle les incite à investir, parfois avec hargne, un monde platonicien qu’ils ont transformé en dystopie[5]. Régis Debray dans son propos sur les frontières constate l’émergence "d’insurrections identitaires" présage d'un post-moderne archaïque, d’un ressourcement culturel, religieux et même ethnique. Les superstructures les plus récentes se décomposent au profit d’une forme régressive de réconfort bien ancrée dans nos cerveaux reptiliens. Le phénomène risque de devenir inextricable quand le communautarisme s’étend au sein d’un même territoire, Dalil Boubakeur, le recteur de la mosquée de Paris énonce que « le niquab qui se développe est une forme d'hyper-identification et de communautarisme ». L’incident récent en Corse où l’attaque de pompiers et de policiers a été suivie d’une réaction ethnocentrique violente d’une partie de la population locale dirigée contre une salle de prière souligne le risque d’apparition d’une nouvelle conflictualité qui, en retour, est susceptible de déclencher des réflexes « tribaux » de protection.
Deux positions s’opposent, l’une optimiste, appelons-la « l’approche Todd », l’autre pessimiste : « la ligne Zemmour ». En dépit des postures médiatiques, les deux camps énoncent des arguments pertinents aux conclusions très différentes : l’un annonce une assimilation heureuse, l’autre un conflit pouvant dégénérer en guerre civile. L’actualité le démontre, les antagonismes existent aussi bien entre communautés qu’au sein de l’élite intellectuelle où l’affect des différents acteurs entretien un climat exécrable paralysant l’expression d’arguments objectifs. Dans l’immédiat, l’issue des conflits demeure spéculative, les deux orientations idéologiques qui s’affrontent ne trouveront probablement leur exutoire qu’une fois purgés les contentieux qui recentrent les communautés sur leur quant-à-soi. Reste à savoir quelle opinion aura le dessus, et quand ?
Illustration sous licence Creative Commons : Arturo Zapata.
[1] http://www.regards.fr/qui-veut-la-peau-de-roger-martelli/article/finkielkraut-zemmour-houellebecq.
[2] Orienté à droite.
[5] Cf wikipedia : Une dystopie, également appelée contre-utopie, est un récit de fiction dépeignant une société imaginaire organisée de telle façon qu'elle empêche ses membres d'atteindre le bonheur.
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